L’eugénisme en passe de faire partie des droits de l’homme

Publié le 09 Mai 2012
L'eugénisme en passe de faire partie des droits de l'homme L'Homme Nouveau

Entretien avec Thierry de la Villejégu, Directeur de la Fondation Lejeune

Propos recueillis par Adélaïde Pouchol

Pouvez-vous rappeler les grandes lignes de l’affaire Kruzmane ?

Il s’agit de la plainte d’une jeune mère de Lettonie qui s’est retournée contre son médecin au prétexte qu’elle aurait été mal informée des risques liés à sa grossesse. Le médecin aurait manqué à l’obligation de lui prescrire un test de dépistage de la trisomie. Après avoir accouché d’une petite fille trisomique, elle a porté plainte devant la Cour Lettone. Ayant perdu devant la juridiction de son pays, elle a porté plainte devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Selon elle, son enfant handicapée porte atteinte à la vie de famille. Ne nous trompons pas, derrière l’affaire Kruzmane, plane la tentation de l’eugénisme, qui demeure absolument contraire aux droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la Convention européenne.

trisomique italie facebook b8ce5 eugénisme

Quelles sont les échéances ?

Au niveau du calendrier, la date de rendu du jugement n’est pas connue car les délais ne sont pas rendus publics comme la plupart des  affaires pendantes à la CEDH et le jugement aura lieu sans audience. Nous savons simplement que la procédure est d’ores et déjà en cours à l’heure actuelle et les juges peuvent étudier le cas à tout moment.

A quel titre la Fondation Lejeune est-elle impliquée dans cette affaire ?

Nous voulons faire valoir la réalité de la situation des personnes handicapées et de leur famille en rendant public leur témoignage, celui de parents qui acceptent sans condition leurs enfants handicapés, et affirment que la vie de leurs enfants vaut la peine d’être vécue. Les familles que nous soutenons et côtoyons sont révoltées à la perspective insoutenable qu’un bébé atteint d’une trisomie 21 dépisté in utero soit sujet à un tri acharné et in fine à l’eugénisme. Elles veulent s’opposer à la violente stigmatisation dont elles sont victimes à travers cette affaire.

Etes-vous les seuls à porter ce combat ? Est-il centré seulement sur la trisomie ?

Des associations un peu partout en Europe partagent notre point de vue et notre expérience. Elles ont souhaité s’unir à cette action. L’enfant de Madame Kruzmane est une petite fille trisomique, ce sont donc les associations de défense des personnes trisomiques qui se sont exprimées les premières. Pour autant, la trisomie n’est que l’avant-pointe des maladies qui seront dépistées demain et deviendront elles aussi objet d’eugénisme, en toute légalité. C’est pourquoi d’autres organisations de personnes handicapées, attachées au respect de la vie se joignent progressivement à cette action.

Si l’eugénisme devient un droit, dépister les enfants handicapés deviendra très certainement un devoir… qui mettrait en péril l’objection de conscience !

Bien sûr, et vous avez raison d’aborder ce point. Par une surenchère juridique et législative, on assiste à la disparition organisée de la liberté de conscience. Si l’eugénisme devenait un droit fondamental, une pression certaine pèserait sur la liberté de conscience. Qui demain s’opposera à un droit fondamental ? A Nuremberg, les accusés ont justement été condamnés parce qu’ils avaient obéi aux ordres sans recourir à leur conscience.

Comment concrètement la Fondation se mobilise-t-elle ?

Nous avons un rôle de coordinateur auprès des personnes handicapées et de leurs familles, en lien avec les associations concernées. Le travail est immense, à cause de la diversité de langues et de cultures malgré notre unité autour de la cause que nous défendons. Nous devons les informer de l’enjeu, et les inviter à agir. Inviter chacun à se sentir concerné par la question de l’eugénisme des personnes handicapées, pour, à son tour, en parler autour de lui et contribuer au changement des regards et des comportements.

Nous devons à la fois faire valoir notre position, la diffuser largement et engager des actions de communication auprès des médias.

Est-ce la première affaire de ce type qui soit portée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme ?

Bien au contraire, les affaires de ce type se multiplient. Cependant c’est bien la première fois que la question de la reconnaissance de l’eugénisme est aussi ouvertement posée. Le simple fait que la Cour ait accueilli cette demande sans la rejeter d’emblée souligne bien que le danger de cette reconnaissance est réel. Ce serait un péril pour l’Europe.

Pourtant, en France, déjà 96 % des trisomiques dépistés sont avortés, cela ne changerait finalement pas grand-chose…

La pratique est extrême en France mais le serait encore plus si l’eugénisme devenait un droit, en particulier par rapport à l’objection de conscience. Jusqu’à présent, dans les législations nationales du moins, l’initiative de l’interruption médicale de grossesse n’appartient pas à la femme. Elle est décidée collégialement par le corps médical. En aucun cas il ne s’agit d’un droit de la mère, même si c’est elle qui donne son accord in fine. La jurisprudence de la CEDH veillera certainement, nous l’espérons, à ne pas donner de droits à des pratiques eugénistes. Si la plainte de Madame Kruzmane est rejetée et que le droit qu’a chacun de vivre est réaffirmé, même avec un handicap, la France sera conduite à réfléchir à sa politique de dépistage systématique de la trisomie 21 qui est la plus radicale du monde.

Adelaide Pouchol

Adelaide Pouchol

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneSociété

Nos raisons d’espérer

L’Essentiel de Joël Hautebert | Malgré l’effondrement des repères et la crise des institutions, il demeure des raisons d’espérer. On les trouve dans ces hommes et ces femmes qui, par leurs vertus simples et leur fidélité au devoir d’état, sont capables d’assumer des responsabilités au service du bien commun.

+

espérer vertu
À la uneSociétéFin de vie

Euthanasie : « Pierre Simon voulait faire de la vie un matériau à gérer »

Entretien | Alors que le Sénat reporte une nouvelle fois l’examen du projet de loi sur la fin de vie, l’essayiste Charles Vaugirard publie La face cachée du lobby de l’euthanasie (Téqui). En s’appuyant sur les écrits oubliés de Pierre Simon, fondateur de l’ADMD et ancien grand maître de la Grande Loge de France, il dévoile les racines eugénistes et prométhéennes d’une idéologie qui, selon lui, continue d’inspirer les lois bioéthiques contemporaines.

+

euthanasie pierre Simon
SociétéPhilosophie

La logique, un antidote à la crise de la vérité

C’est logique ! – Entretien | Dans son nouvel ouvrage Devenir plus intelligent, c’est possible ! (Le Cerf), François-Marie Portes invite à redécouvrir les outils logiques de la tradition antique et médiévale. Pour lui, apprendre à définir, énoncer et argumenter n’est pas réservé aux spécialistes : c’est un savoir-faire accessible à tous, indispensable pour retrouver le goût de la vérité dans un monde saturé de discours trompeurs. Entretien.

+

penser portes intelligent logique
SociétéLectures

Maurras, pour la Nation, contre le racisme

Entretien | En août, les éditions de Flore publiaient un petit livre d'Axel Tisserand, Maurras, pour la Nation, contre le racisme. À cette occasion, Philippe Maxence s’est entretenu avec l’auteur, agrégé de lettres classiques et docteur en philosophie, au sujet de Charles Maurras (1868-1952).

+

charles maurras racisme nation patrie
SociétéPhilosophie

Le Centre culturel Simone Weil : redonner à la médecine son âme

Entretien | Créé par des professionnels de santé pour leurs confrères, le Centre culturel Simone Weil propose des formations alliant médecine et philosophie. À l’occasion de son séminaire de novembre, il invite praticiens, étudiants et aidants à redécouvrir la vocation profondément humaine et éthique de la médecine face aux défis contemporains. Présentation par François et Marie Lauzanne, pharmaciens et fondateurs du centre.

+

Centre culturel Simone Weil médecine
SociétéBioéthique

« 40 Jours pour la Vie » : prier et jeûner contre l’avortement

Initiatives chrétiennes | Depuis le 24 septembre et jusqu’au 2 novembre, des bénévoles se relaient chaque jour devant l’hôpital de Port-Royal, à Paris, pour prier le chapelet et jeûner dans le cadre de la campagne internationale 40 Days for Life. Clotilde Chompret, responsable de l’antenne parisienne, explique le sens de cette démarche de témoignage public et ses fruits spirituels.

+

40 jours pour la vie