Liberté, égalité, fraternité : des notions dévoyées

Publié le 09 Jan 2017
Liberté, égalité, fraternité : des notions dévoyées L'Homme Nouveau

1. Liberté !

Telle est la première valeur de notre République qui s’est fondée sur le thème du Contrat social selon lequel il n’est de société que voulue. Les hommes s’associent en corps politique pour ne pas périr et se conserver dans leur nature d’homme libre.

Le problème réside dans la façon de comprendre la liberté.

La liberté telle que l’entendaient les révolutionnaires en 1789 était inspirée par la philosophie des Lumières. Ainsi ils considéraient, avec Sieyès, la société comme une machine ordinaire composée de rouages qu’il fallait « rejoindre » pour parvenir à l’harmonie. Dans ces conditions la liberté était la suppression de toute entrave qui empêchait le mouvement naturel de la machine. L’image de la machine et de ses rouages renvoyait à celle de la nation et de ses membres ; elle laissait entendre que la liberté de la première ne pouvait aller sans celle des seconds. Ainsi les constituants entreprirent-ils, dans la Déclaration de 1789, non seulement d’apporter des limites à l’exercice du pouvoir, mais de supprimer toute entrave à l’épanouissement de chacun en lui reconnaissant le libre exercice des droits de nature. C’est pour cela que, dès le début des évènements, des droits ont été reconnus à chacun avant même toute nouvelle constitution.

La Déclaration de 1789 dit bien que la liberté individuelle ne peut exister que dans une nation également libre et souveraine. (art. 3 et 6). Elle ne supporte aucune autre auto­rité qu’elle soit naturelle ou religieuse (art. 3). La légitimité de toute action politique repose désormais sur sa conformité à la liberté individuelle, c’est ce qu’exprime l’article 16 qui subordonne l’existence d’une constitution à celle de la « garantie des droits ».

La liberté révolutionnaire, on l’aura compris, est la liberté-émancipation individuelle.

De République en République

Ce parti pris émancipateur est repris par les constitutions qui vont suivre. C’est lui qui donne sa cohérence et son unité à la succession de nos diverses Républiques. Chaque fondation républicaine correspond à un nouvel obstacle à renverser. La Première République a détruit avec violence l’institution monarchique et son autorité pour faire de chaque citoyen une part du souverain. La Deuxième République de 1848 a renversé la monarchie oligarchique qui la précédait, jugée contraire à la liberté du peuple, par son affirmation du suffrage universel elle a manifesté le refus de tout privilège social. La Troisième République a rejeté l’Empire autoritaire de Napoléon III, ainsi que la tentative de restauration monarchique chrétienne. La Quatrième République s’est levée contre la République qui

avait été asservie par les Allemands, en même temps elle a rejeté la tentative contre-révolutionnaire du régime de Vichy. La Cinquième République a détruit une certaine idée de la république à caractère organique défendue par les partisans de l’Algérie française mais jugée contraire à la république-liberté.

Il est difficile de refuser de lutter pour la liberté tant elle est une exigence de notre nature. Mais ce choix comporte sa propre logique et nous en souffrons. En effet, une société qui se propose de réaliser un tel objet accepte difficilement de se lier par un quelconque lien. Cela explique la difficulté qu’a la République à s’enraciner de façon institutionnelle. Le désir de liberté est par nature infini, différent d’un individu à l’autre, chacun étant seul juge de sa satisfaction. Il introduit le subjectivisme dans le discours politique et par conséquent le relativisme. Nous avons simplement oublié que la liberté était non pas une fin en soi mais un moyen pour réaliser notre vocation.

Liberté ou libre-arbitre ?

En réalité, nous souffrons d’une mauvaise acception du concept de liberté. Lorsque la Constituante a déclaré en 1789 la suprématie de la liberté individuelle elle a confondu, libre-arbitre et indépendance, écrivait Marcel Clément. L’homme est libre d’une liberté qui est essentielle à sa dignité : en l’occurrence il s’agit pour lui de la faculté de disposer librement de lui-même : cette liberté est ce que l’on appelle le ­libre-arbitre. Elle ne doit pas être confondue avec l’indépendance selon laquelle l’homme ne reconnaît ni n’obéit à aucune loi au-dessus de lui. Or, c’est cette indépendance qui a été revendiquée à la Révolution. Chacun légifère pour lui-même. Les rapports sociaux deviennent de plus en plus difficiles ; nous finissons par être livrés aux passions de chacun, comme en témoignent l’avortement devenu intouchable, l’euthanasie en voie de réalisation, le « mariage pour tous » destructeur de la famille, la GPA et la PMA sources de la marchandisation des femmes et des enfants.

Il apparaît donc nécessaire de retrouver une loi morale objective universelle s’imposant à tous. Sur ce point, la Déclara­tion universelle des droits de l’homme de 1948 ne nous est pas d’un grand secours dans la mesure où elle ne renie pas le subjectivisme de 1789. Son article 21 § 3 commence ainsi : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ». La véritable liberté de l’homme est celle du ­libre-arbitre selon laquelle l’homme créé libre cherche naturellement son bien. Pour cela il est appelé à se soumettre volontairement à la loi morale de sa nature raisonnable, loi naturelle, seule capable de l’orienter vers son perfectionnement. L’exigence est la même pour l’ensemble de la société ; elle aussi tend vers son bien qui est le bien commun et doit obéir pour y parvenir à la même loi naturelle.

2. Égalité

L’égalité aussi a été déformée. Dans la devise républicaine il est entendu que l’égalité de tous doit l’emporter sur toute autre valeur.

Cette égalité a d’abord été comprise comme une exigence matérielle toute orientée vers la réalisation des conditions de vie. Ne connaissant pas les fins spirituelles de l’homme elle n’a donc conduit qu’à produire et répartir les biens matériels de manière à assurer la justice. C’est le socialisme qui n’a retenu que les buts matériels de la société.

Dans ces conditions la morale a été discréditée comme activité personnelle. Les devoirs indivi­duels ont été oubliés au profit du seul devoir social de la collectivité envers l’individu. Le socialisme ne s’occupe que des injustices matérielles, laissant de côté les misères morales. Ainsi la destruction de la morale familiale qui est entreprise depuis des décennies et, actuellement réactivée, entraîne une série de maux catastrophiques pour l’ensemble du corps social. On dépense beaucoup d’argent pour venir en aide à des enfants, des étudiants isolés, démunis. Mais on ne recherchera pas à renforcer la structure familiale traditionnelle qui a fait ses preuves au long des siècles, à lui laisser les moyens d’entretenir elle-même ses enfants et ses anciens. La société se substitue à autrui et pratique l’assistance et la distribution des revenus. Substitué à la famille, l’État devient totalitaire.

L’égalité voulue par Dieu

Pourtant, l’égalité existe : c’est l’égalité des hommes créés par Dieu et revêtus de ce fait d’une dignité. Notre Déclaration de 1789 déclare que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cette égalité nous la trouvons aussi dans la Déclaration américaine de 1776, mais avec une nuance. Les hommes sont « créés égaux » et « pourvus par le Créateur de certains droits inaliénables ». Ici l’égalité vient de Dieu. Dans le cas français c’est la volonté humaine qui fonde le droit ; chacun se réclame de cette égalité mais sans en préciser le fondement moral. Le texte de 1789 ne re­connaît en effet la souveraineté d’aucun Dieu ; il affirme même dans son article 10 que la religion n’est qu’une opinion.

Cette égalité aboutit au fait qu’il n’y a de légitimité que dans le suffrage universel et que les différences naturelles doivent être abolies. Les distinctions de nationalités, sexes, civilisations, âges, sont des discriminations susceptibles d’être punies par la loi. Elles sont dénoncées comme racistes. Une législation s’est développée pour réprimer le racisme. Grâce à elle, les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes droits, les hétéros et les homos aussi, si bien que la communauté nationale ne peut plus être défendue en tant que telle.

Dans son discours prononcé aux Lucs lors de l’inauguration d’un monument en souvenir du martyre vendéen, Soljénitsyne a bien montré que la liberté absolue de notre devise républicaine était irréalisable car « dans la vie sociale liberté et égalité tendent à s’exclure mutuellement et sont antagonistes l’une à l’autre ». En effet si l’on veut imposer une égalité de tous dans toutes les compétences on n’aboutira qu’au nivellement par le bas. Cela explique en particulier les « performances » de plus en plus catastrophiques du système éducatif français. Par contre, si on laisse les hommes exercer leurs dons et se distinguer des autres, les différences de talents se manifestent certes, mais au lieu d’être montrées du doigt comme des inégalités à supprimer, elles sont vécues comme complémentaires et fécondes.

Ces inégalités sont effectivement source de vie pour la cité. Elles justifient la nécessaire hiérarchie, l’autorité principe unificateur du groupe, l’existence de communautés organiques permettant à leurs membres d’avoir des fonctions avec des responsabilités propres. La première de ces communautés est la famille que l’État doit simplement reconnaître et protéger.

3. Fraternité

Il y a une ambiguïté sur cette valeur. Fondamentalement la fraternité est une valeur familiale. Or, l’idée révolutionnaire de contrat social dans lequel les individus s’associent pour rester aussi libres qu’auparavant va contre cette valeur. Chacun est en effet attaché à son individualité. Dès l’origine, notre République a d’ailleurs été marquée par le massacre de ses ennemis qui n’avaient alors aucun droit.

Le mot fraternité a été ajouté sous la Deuxième République, dans le Préambule de la Constitution de 1848, alors que la question sociale était brûlante. La fraternité est normalement source de devoirs. À cette époque elle signifiait l’urgence qu’il y avait à recréer les liens sociaux. Dans ce texte constitutionnel la problématique des devoirs semble être mieux assurée que sous la Première République ; il « reconnaît des droits et devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives » et la « Famille » est citée comme étant l’une des bases de la République. L’entrai­de fraternelle est ainsi prévue pour la réalisation du « bien-être commun ». Mais, finalement ces devoirs vont se résumer en droits sociaux, à savoir l’assistance pour les plus démunis. L’ensemble très faible est assorti du consentement à l’impôt, seul véritable devoir du citoyen.

L’histoire républicaine montre, que dès l’origine, les droits sociaux dus par la collectivité ont pris le relais des devoirs individuels. Bien loin de réaliser la fraternité, ce choix n’a cessé de favoriser l’étatisme qui est en train d’absorber toutes les forces vives du pays.

Seule une société organique enracinée dans le réel de la nature humaine peut nous permettre d’en sortir ; ce réel nous dit que l’homme est relation, animal social. La fraternité est un mode privilégié des relations existant au sein de la famille. Cette famille est la cellule de base de la société car chacun y trouve en naissant tout ce dont il a besoin. La fraternité a donc besoin pour exister d’une vision organique de la société considérée comme formant un tout analogue à un corps. Cette métaphore permet d’exprimer l’indispensable unité de finalité et d’action du corps social, en même temps que la pluralité et la solidarité de ses membres. Ce modèle a toujours été celui de la France jusque 1789. Il convient, pour connaître la véritable fraternité, de retrouver les principes de vie organiques qui ont fait leur preuve.

Ainsi la fraternité a besoin que les divers membres du corps social soient reconnus dans leurs réalités familiale, professionnelle, communale, régionale, mais aussi nationale. Il convient donc de trouver un mode de représentation capable de traduire ces diverses réalités de manière à ajuster les intérêts particuliers des groupements concernés au bien commun du corps social. L’amitié politique est à ce prix. Le système électoral actuel ne prend en compte que les individus qui ne se voient pas représentés dans leur réalité quotidienne. La crise actuelle du régime des partis montre combien il est urgent de le repenser. Par exemple, le rôle social de la famille est à redécouvrir. Jusqu’à ce jour la République n’a jamais admis le suffrage familial. Les quelques combats qui ont été menés en ce sens depuis 1848 l’ont toujours été dans une perspective utilitaire et individualiste pour tenir compte d’une valeur sociale jugée supérieure du père de famille ; ils ne l’ont jamais été pour rendre à la famille son autorité sociale. Il en est de même pour la représentation professionnelle. Acceptée à contrecœur dans le Conseil économique de la Troisième République, elle n’a jamais été admise à jouer un rôle positif dans la recherche d’un véritable bien commun du corps social. Quant à la représentation des collectivités territoriales, le terme décentralisation ne doit pas faire illusion. Les diverses réformes réalisées en la matière montrent toutes un renforcement de l’idéologie égalitaire centralisatrice au détriment des réalités locales ; les intercommunalités récentes devraient à cet égard permettre d’effacer un peu plus la commune du paysage de la France.

Repenser l’ordre social

Pour parvenir à la fraternité il faut aller plus loin et repenser l’ordre social en conformité avec un ordre naturel donné, soumis à la loi naturelle qui participe à la loi divine. Dans cet ordre les membres sont reliés les uns aux autres par des liens d’interdépendance et non de conflit, ce qui est conforme à la dignité de l’homme. L’État reconnaît les diverses communautés qui composent le corps social, depuis la famille jusqu’aux communautés territoriales en passant par les groupements professionnels. Indispensables à l’épanouissement de chacun, ces communautés ont des fonctions et des responsabilités qui les rendent complémentaires. En outre, elles ont le droit de disposer d’elles-mêmes en vue de leur fin. C’est le fameux principe de subsidiarité qui interdit à l’État de leur retirer les fonctions qu’elles sont en mesure de remplir elles-mêmes. À l’heure actuelle, ni l’État, ni l’Europe ne respectent ce fameux principe qu’ils n’ont pourtant de cesse d’invoquer.

Ce qui manque à nos responsables c’est une connaissance en profondeur des grands principes organiques que nous venons d’évoquer, à savoir le respect de l’ordre naturel créé par Dieu, le service du bien commun et l’exigence du pouvoir, la reconnaissance des communautés naturelles organisées de façon hiérarchique. Ces principes sont seuls capables de relier les hommes entre eux, pour une vie bonne. C’est pour cela qu’ils sont principes de civilisation.

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