L’objection de conscience en question(s)

Publié le 16 Juin 2016
L’objection de conscience en question(s) L'Homme Nouveau

Le « droit » à l’avortement inscrit par Marisol Touraine dans la loi Santé 2015 pose le problème de la légitimité de l’objection de conscience pour les professionnels de la santé.  Le même problème apparaît avec le « droit » à l’euthanasie en train d’être voté au Canada. Un raz-de-marée qui va s’amplifiant…

Des médecins canadiens veulent carrément abolir l’objection de conscience au nom de la persécution « éduquée » dont parlait le Pape François il y a peu (1) : « C’est la persécution qui coupe à l’homme la liberté de l’objection de conscience. » Le Pr Udo Schuklenk et le Pr Riccardo Smalling (de l’Université de la Reine dans l’Ontario), affirment que « forcer les patients à vivre selon les valeurs des objecteurs de conscience constitue une violation inacceptable des droits des patients ». Ils citent le bioéthicien américain R. Alta Charo : « Revendiquer un droit absolu à l’autonomie personnelle tout en gardant le contrôle monopolistique d’un bien public constitue un abus de confiance du public… ». Mais aussi Hobbes : « La loi est la conscience publique par laquelle (un citoyen) a déjà entrepris d’être guidé. » Conclusion : si un médecin se sent en désaccord avec les lois, il doit démissionner, commente Yves Daoudal sur son blogue : « Ce qui importe, c’est ce que la société a déclaré légal, pas les insondables diktats de la conscience individuelle. »

Loi civile vs loi morale

Paradoxalement, l’objection de conscience est appelée à l’interdiction chez les philosophes idéalistes – cartésiens ou kantiens – du primat de la conscience ! Lequel primat produit politiquement les philosophes du contrat social (Rousseau, Hobbes…), avec l’impératif catégorique de la loi civile, sur laquelle aucune loi morale ne saurait primer (comme avait réagi Jacques Chirac à Veritatis splendor), parce que la volonté générale tient lieu politiquement de loi morale, à laquelle les consciences individuelles doivent se soumettre totalitairement. C’est ce que Benoît XVI a appelé la dictature du relativisme. Oxymore ou paradoxe ainsi analysé par Mgr Jean Laffitte : « La société idéologiquement tolérante ne peut tolérer l’objection de conscience, car celle-ci échappe par quelque manière à son empire. (…) elle n’est plus en mesure d’accepter en les honorant les valeurs supérieures qui s’expriment en son sein. Elle choisit alors des valeurs consensuelles, dont certaines, infailliblement, la conduisent à la mort. » (2).

En rendant la vérité subjective et optionnelle (sans distinction objective du bien et du mal), trop d’objection de conscience tue l’objection de conscience, parce qu’au fond la conscience demeure toujours réflexive et relative, ne peut constituer un primat, une source de vérité en tant que telle, au risque du désordre et de l’anarchie. Retour au réel, à l’expérience et à leur primat philosophique ! En ce sens, l’objection de conscience constitue aujourd’hui pour les catholiques davantage un argument ad hominem qu’un argument décisif, bien fondé. N’oublions pas qu’elle fut d’abord la revendication des libertaires et des anarchistes (antimilitaristes) à qui le pouvoir politique imposait bien une certaine contrainte au nom du bien commun. Non pas que suivre sa conscience, son intuition subjective, ne soit pas primordial, comme nous y incite saint Thomas d’Aquin (« Dieu a remis l’homme entre les mains de son conseil », Ecclésiastique), mais cela ne peut être invoqué comme une pleine et ultime justification au caractère principal et obligatoire, nous rappelle Jean-Paul II à sa suite dans Veritatis splendor (3).

La conscience, porte de la vérité transcendante

Si la conscience est première dans l’ordre de genèse et mérite d’abord le fameux toast du cardinal Newman (avant celui porté au pape), c’est en tant qu’elle est capable de reconnaître et exprimer l’accessibilité et la force contraignante de la vérité transcendante (en dehors d’elle), laquelle demeure première dans l’ordre de l’être : Dieu le veut ! La justification ce n’est pas l’autojustification et l’autonomie néokantiennes, enseigne le philosophe réaliste, c’est l’affirmation de la réalité naturelle et surnaturelle qui est la vraie, qui est la seule colonne vertébrale. Comme l’écrivait Jean Madiran : « Notre témoignage ne peut demander que subsidiairement le respect de notre conscience individuelle. Il demande essentiellement le respect de la Création et de la parole de Dieu. » On est témoin (ou martyr) de l’Amour divin et de sa loi avant de l’être d’une objection de conscience ! Telle est par exemple notre respectueuse objection (car il y en a une) à l’objection de conscience de divorcés « remariés » reprise par Amoris laetitia.

1. « C’est quand l’homme est persécuté non pas pour avoir confessé le nom du Christ, mais pour avoir voulu manifester les valeurs du Fils de Dieu. C’est une persécution contre Dieu le Créateur, dans la personne de ses enfants ! Et ainsi nous voyons tous les jours que les puissances font des lois qui obligent à aller sur cette voie, et une nation qui ne suit pas ces lois modernes, ou au moins qui ne veut pas les avoir dans sa législation, en vient à être accusée, à être persécutée “poliment” » (12 avril à Sainte-Marthe).

2. Mgr Jean Laffitte, Tolérance intolérante ? Petite histoire de l’objection de conscience, Éd. de l’Emmanuel, 64 p., 4,30 e.

3. Aussi est-on surpris de voir l’abbé de Tanoüarn défendre (sur son blogue) la nouveauté d’Amoris laetitia en accusant Jean-Paul II dans Veritatis splendor de développer « une morale “objectiviste”, kantienne dans son déploiement catégorique, ignorant les ressources prudentielles de la morale aristotélicienne et oubliant la casuistique catholique » !

Voir sur ce sujet le hors-série n° 19 de L’Homme Nouveau : Quand le mal devient légal…, Objection de la conscience, 68 p., 7 €.

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