Les piscines de Lourdes, dont l’accès avait été interdit au temps du Covid, vont enfin ré-ouvrir, après que les autorités du sanctuaire en ont profité pour en rénover l’accès et l’utilisation. Voilà qui offre l’occasion d’inviter les pèlerins à entrer dans une riche symbolique qui s’inscrit dans la révélation biblique et le quotidien de la vie chrétienne.
L’eau dans la Bible et les sacrements
L’eau est, par excellence, le symbole de la grâce. Elle donne la vie ou en est le canal, désaltère, purifie, c’est-à-dire lave ou, sans contradiction parfois, submerge et détruit. Nombre de pages de la Sainte Écriture l’illustrent et l’enseignent. Ainsi, quatre fleuves jaillissaient d’une même source dans le paradis terrestre pour irriguer et féconder la terre (Gn 2) ; le général syrien Naaman, souillé et rongé par la lèpre, se plongea dans le Jourdain à sept reprises à la demande d’Élisée et en sortit purifié (2 R 5) ; les hommes méchants furent engloutis par les eaux du déluge quand l’arche préservait Noé et les siens (Gn 7-8).
La prédisposition naturelle de l’eau à porter ces significations plurielles et cependant congruentes, Dieu l’utilisait – il continue… – pour manifester sa présence et exercer sa souveraineté. Cette ordination de la Providence a reçu avec Notre-Seigneur sa vertu symbolique plénière : dans la vie chrétienne, l’eau est l’instrument et le signe de la grâce baptismale et de son action ; comme goutte jointe au vin du calice, elle appelle les fidèles à s’associer au sacrifice du Christ – parce qu’ils en sont dignes ; elle coule en un fin filet purificateur sur les doigts et le cœur du prêtre avant que ne commence le sacrifice proprement dit de la messe.
Puis, parce que la foi se déploie en charité et que nous devons aimer comme Jésus nous a aimés, l’eau est aussi ce verre que nous tendons au plus petit de ses disciples (Mt 10, 42), celle avec laquelle, agenouillés, nous lui lavons les pieds comme le Maître et le Seigneur nous l’a appris (Jn 13).
Bernadette et la source
L’eau de Lourdes s’inscrit dans cette articulation des réalités visibles et invisibles où l’élément naturel figure la vie surnaturelle, dans l’acte ou le temps où celle-ci perfectionne l’ordre naturel et humain. Parce qu’elle traversa le Gave – comme les Hébreux la Mer Rouge –, Bernadette s’approcha de la grotte où une « petite demoiselle » (ce fut à contrecœur qu’elle consentit à parler d’une jeune fille) lui apparut pour la première fois, le 11 février 1858. Lors de la seconde apparition, pour conjurer ce qui n’était peut-être qu’une ruse du Démon, elle l’aspergea d’eau bénite.
Puis vint la capitale neuvième apparition, le 25 février : « Elle me dit, raconta Bernadette, d’aller boire et de me laver à la fontaine » ; non pas au Gave, mais vers le fond de la grotte, près de la roche : « J’y fus et j’y trouvai un peu d’eau comme de la boue, si peu qu’à peine je pus en prendre au creux de la main. Trois fois, je la jetai tellement elle était sale. À la quatrième fois, je pus. » Deux jours plus tard, Bernadette buvait à nouveau de cette eau, dorénavant plus claire et abondante ; deux jours encore, et ce fut le premier miracle : dans la nuit qui suivit la douzième apparition, Catherine Latapie plongea son bras déboîté dans l’eau et s’en trouva guérie.
Et puisque la grâce et ses fruits sont les prémices de la gloire, les signes et les sacrements la préfiguration de la vision béatifique et de l’éternelle union, ce fut de l’autre côté du Gave – puisqu’on lui en avait interdit le franchissement – que, le 16 juillet, Bernadette vit une dernière fois l’Immaculée Conception (son nom depuis le 25 mars). Ce n’était là ni un retour en arrière, ni une parenthèse qui se fermait, mais désormais l’attente patiente, l’espérance forte d’un bonheur qui serait certainement donné, puisqu’il lui avait été promis par Marie. Celle-ci ne l’abandonnait pas, ne s’éloignait pas : « Il me semblait que j’étais devant la grotte, à la même distance que les autres fois, je voyais seulement la Vierge, jamais je ne l’ai vue aussi belle ! »
Marie lui demanderait, pour le reste de sa courte existence terrestre, de se tenir avec elle au pied de la Croix – Juxta crucem tecum stare, redisons-nous avec les mots du Stabat Mater. « Pour les pécheurs », comme au jour où, la première, elle avait bu l’eau de Lourdes et s’y était lavée. Se tenir auprès de Marie à la Croix, et la regarder au Ciel, comme saint Jean exilé qui, de Patmos, par-delà le bras de la Mer Égée qui le séparait d’Éphèse et de la maison de la Vierge, contemplait lui aussi la Belle Dame : « une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles » (Ap 12, 1).
Aux piscines de Lourdes
Les piscines de Lourdes vont donc ré-ouvrir, et l’on pourra se plonger de nouveau dans cette eau du torrent, en plus que de la boire. L’eau de Lourdes n’est pas une eau baptismale, et l’immersion dans les piscines ne recommence pas le baptême, n’en a pas l’efficacité sacramentelle. Cette eau n’est même pas l’eau bénite par un prêtre, elle n’est donc pas directement l’un de ces sacramentaux qui accompagnent la vie des sacrements, en étendent le domaine et en accroissent les fruits à la mesure de notre foi.
Et pourtant ! Cette eau nous est bien donnée par le ciel et, de l’eau bénite elle partage en quelque manière la connexion à la foi et à l’espérance, selon l’affirmation catégorique de Bernadette : « Il faut avoir la foi, il faut prier : cette eau n’aurait pas de vertu sans la foi ! »
Cette eau du Gave et de la source, des robinets où l’on boit et des bouteilles que l’on remplit pour en rapporter à ceux qui n’ont pu se déplacer, cette eau que nous aussi nous franchissons – et peu importe que, matériellement, ce soit sur un pont fait de main d’homme – pour ensuite nous y plonger dans l’une des piscines ; cette eau dont Bernadette est pour nous le Moïse et l’Élisée, parce qu’il est en nous des souffrances et des peines qui crient vers Dieu, des lèpres à purifier, des esclavages dont nous devons être délivrés ; cette eau, nous finirons par la traverser en sens inverse pour nous en retourner chez nous : nous poserons alors un dernier regard vers la statue dans sa niche, vers la Belle Dame qui demeure en ce ciel que nous espérons et qui se tient dans ce ciel que sera redevenue notre âme, car nous n’aurons pas manqué de recevoir l’absolution miséricordieuse de nos péchés, comme une rosée bienfaisante et régénératrice, un fleuve d’eau vive, vivante et vivifiante.
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