John Milton (1608-1674), écrivain anglais sans cesse réédité comme classique, est pourtant l’auteur d’un chef-d’œuvre aussi unique qu’étrange. Esprit tourmenté et brillant, mêlé de près aux convulsions politiques de son époque, tôt atteint de cécité, il exprima dans Paradis perdu des conceptions toutes personnelles du Bien, du Mal, de la Chute et une fascination pour Satan peu audibles pour ses lecteurs anglais puritains.
Les Belles Lettres, dont on sait combien elles contribuent à sauvegarder les classiques de la littérature mondiale, pas seulement les Grecs et les Latins, ont réédité au printemps dernier, dans une version de luxe bilingue, Paradise Lost, Paradis perdu, de Milton. Mais cette épopée, chrétienne, même si le christianisme de son auteur a parfois d’étranges dérives, est-elle encore accessible aux lecteurs actuels ?
S’égaler à Homère et Virgile, telle est l’ambition qui taraude dès sa jeunesse John Milton. Inutile de dire qu’elle est démesurée. L’étonnant est qu’elle ne l’abandonnera jamais et que, la maturité venue, alors que, d’ordinaire, l’adulte voit ses limites et renonce à ce qui lui apparaît désormais inaccessible, l’écrivain anglais, brisé par les échecs de ses engagements politiques et une cécité qui le plonge dans la nuit, lui interdisant de lire et d’écrire par lui-même, entame la rédaction de ce poème épique en 12 chants, suivi plus tard par Paradise regained, Paradis retrouvé, qui n’ajoutera rien à sa gloire.
Milton affirmera dans la présentation de la première édition, en 1667, que le sujet de son poème est la désobéissance et la chute de l’Homme, tenté par Satan, puis sa rédemption. Autant le dire d’emblée, cette façon de présenter le drame, car c’en est un, et capital, est quelque peu biaisée, afin, sans doute, de ne pas offusquer le très puritain public anglais de son époque.
En effet, s’il est…