Né pour être tué

Publié le 06 Déc 2013
Né pour être tué L'Homme Nouveau

Comme pour une petite dizaine de vos frères et soeurs, vous avez été conçu dans une éprouvette à partir des gamètes de vos parents pour pallier leur stérilité et répondre à leur désir d’enfants. Vous êtes bien vivants, vous possédez déjà toutes les potentialités pour grandir et devenir un homme accompli mais vous n’êtes à leurs yeux comme à ceux des médecins qu’un embryon. Vous n’avez pas été choisi pour être implanté et faire l’objet d’un projet parental, peut-être parce que vous aviez des prédispositions à telle ou telle maladie ou parce que vous aviez les yeux bleus plutôt que verts. Qu’importe, vous êtes seulement un embryon surnuméraire, vos parents vous ont donné à la science. Vous êtes disséqué, découpé, analysé, vous êtes la matière première de la recherche. Fin de l’histoire. Sauf si…

Vous avez été conçu dans la même éprouvette mais c’est sur vous que vos parents ont jeté leur dévolu. Vous avez été implanté dans le sein de votre mère et menez une existence paisible dans ce cocon conçu spécialement pour vous. Tout allait bien jusqu’à ce que vos parents décident de se séparer et donc de vous avorter pour ne pas avoir d’enfant à charge. Vous avez 12 semaines et, le Planning familial le jure sur l’honneur, c’est un âge formidable pour mourir. Vous êtes de trop, vous ne faites finalement plus l’objet d’un projet parental : vous n’existez plus. Sauf si…

Vous êtes désirés par vos parents. Dehors, tout s’agite pour vous, on peint la chambre du bébé, on achète biberons, vêtements et mille et une choses pour celui qui sera au centre de toutes les attentions. Le terme tant attendu est arrivé, vous avez poussé votre premier cri, Maman est ravie, Papa aussi. Mais le médecin ne l’est pas. Les premières analyses révèlent de graves maladies, votre état de santé va empirer de minute en minute. Vous êtes promis à la mort. Vous souffrez, les larmes coulent sur les joues de vos parents. De toute façon vous allez mourir, assurent les médecins. Autant accélérer la fin qui n’en finit pas de venir. Votre existence est un calvaire pour les autres et, puisque la piqure létale n’est pas encore autorisée en France, les médecins ont proposé à vos parents, trop effondrés pour se prononcer, de ne plus vous alimenter ni vous hydrater. Ils appellent cela « refus de l’acharnement thérapeutique », c’est en réalité une mort par omission des soins les plus élémentaires. Sauf si…

Vous êtes né lourdement handicapé mais les médecins ont réussi in extremis à vous sauver. Du haut de vos 7 ans, vous avez réussi l’exploit, formidable de nos jours, d’échapper aux tueurs en série de la société moderne. Vos parents ont la chance de ne pas demeurer dans l’un de ces pays du tiers-monde où certaines femmes sont parfois stérilisées de force… Hélas, ils sont partis habiter en Belgique pour des raisons professionnelles. Bon an mal an, vous menez votre existence fragile mais cette année, votre état de santé s’est brusquement dégradé. Les séjours à l’hôpital se multiplient et si certains soignants sont formidables avec vous, d’autres vous parlent avec un air très docte de liberté, de dignité, de maîtrise de la vie. Vous n’y comprenez pas grand-chose mais vous avez mal, terriblement mal et vous aimeriez que cela cesse. La douleur tant morale que physique vous empêche de réfléchir sereinement et vous demandez à mourir alors qu’au fond, ce n’est pas la mort que vous souhaitez mais l’apaisement de vos souffrances. Les médecins sont heureux, ils se sont battus pour que vous puissiez poser un tel choix et vos parents sont pétris de bons sentiments, dépassés par la situation mais surtout empoisonnés par l’esprit du temps. Cette liberté que vous n’avez pas encore eu le temps de mûrir et de comprendre, on vous l’offre comme un cadeau empoisonné et voilà que pour la première fois de votre existence, les adultes autour de vous s’empressent de vous obéir. Vos parents vous disent adieu, vous assurent que c’est mieux ainsi et que c’est beau la liberté. Ils sont effondrés mais on leur a dit que c’était ça, la dignité. Une piqûre a suffi, vous êtes mort.

Sauf si… La vie vous sourit. Jeune fille de 15 ans, vous avez réussi jusque-là à passer entre les mailles du filet. Par chance, vous étiez désirée et en bonne santé. À l’école, vous venez d’apprendre que la terre est surpeuplée, que les hommes épuisent les ressources naturelles et qu’il n’y aura bientôt plus de quoi nourrir les milliards d’êtres humains qui grouillent sur l’ensemble du globe. Le professeur vous a parlé de la santé reproductive et de tous ces moyens qui permettront de limiter les naissances, il a déversé tout son mépris sur ces femmes des pays pauvres qui mettent au monde de trop nombreux enfants. Votre cœur s’est serré, tiraillé entre l’instinct maternel et la nécessité de limiter le nombre d’hommes sur terre. En attendant, vous êtes à peine femme et pas encore mère, c’est une belle journée qui s’annonce… Mais à quelques kilomètres de chez vous, règne une zone de non-droit absolu, la banlieue est devenue un enfer. Vous êtes une femme, blanche qui plus est, et vous venez de contrarier, par votre seule existence, une bande de jeunes qui passaient par là. Vous avez reconnu le meneur de cet escadron de la mort. Il avait déjà été condamné à plusieurs reprises pour meurtre mais la justice a décrété que l’homme n’était pas dangereux. Il vient de vous poignarder après vous avoir violée. Fin de l’histoire.

Sauf si… Vous êtes un homme de 25 ans, fraîchement recruté dans une entreprise qui marche bien. Vous avez passé un quart de siècle sur cette terre, heureux car désiré, choyé et suffisamment bien instruit pour trouver un travail. Vous ne mesurez peut-être pas votre chance mais vous venez d’entrer dans la tranche d’âge et de situation dans laquelle, statistiquement, vous avez le moins de chances d’être tué par l’État ou par ceux qu’il n’a pas voulu empêcher de le faire. Vous travaillez donc vous cotisez, vous rapportez de l’argent au système, vous le faites vivre donc il vous laisse vivre pour l’instant. Mais quelques dizaines de feuilles d’impôts plus tard, vos cheveux ont blanchi mais vous êtes encore en pleine forme. Vous pensez à votre tante en Belgique, atteinte d’Alzheimer à qui l’on a offert la piqûre létale en guise de cadeau d’anniversaire pour ses 68 printemps. Il y a des antécédents familiaux, vous pourriez aussi contracter cette maladie, et vous vous gardez bien d’aller poser ne serait-ce qu’un orteil en Belgique de crainte que l’on vous fasse passer de vie à trépas pour cela. Et puis un jour, tout s’est arrêté. Vous avez survécu à l’accident de voiture mais vous êtes plongé dans un profond coma depuis des mois. Votre femme tient à vous, courageuse elle vient vous voir chaque jour et donnerait tout l’or du monde pour saisir sur votre visage ne serait-ce qu’un clignement de paupière. Vos parents sont présents aussi, courageux dans l’épreuve. La famille s’est réunie autour de vous  et si la douleur est réelle, des liens incroyables se sont tissés entre les uns et les autres. Mais vous coûtez cher à la Sécurité sociale, vous encombrez un lit alors que les hôpitaux sont déjà bondés… Une infirmière a décidé cette nuit de vous injecter une substance létale par intraveineuse, ni vu ni connu, et annoncera demain votre mort à la famille. Fin de l’histoire.

Sauf si… 90 ans que vous vivez. Votre peau est ridée, vous n’y voyez plus très clair, vous devez avaler chaque jour une demi-douzaine de comprimés et gélules en tous genres mais ce qui vous fait mal, c’est la solitude. Vous ne voyez plus vos enfants suite à quelques conflits familiaux, votre mari est mort et votre joie de vivre avec lui. Secrètement, vos petits-enfants vous appellent Mamie Grincheux et ne vous accordent un sourire qu’au moment des étrennes de Noël. Ce matin, vous êtes tombée dans l’escalier, votre tête a cogné violemment le sol et plusieurs os de vos fragiles jambes se sont brisés. À l’hôpital, ils vous ont soigné tant bien que mal, ont stoppé un début d’hémorragie mais vous êtes désormais ce que certains appellent un « légume », incapable de communiquer avec le monde extérieur. Seuls les organes vitaux font encore péniblement leur office mais les mois passent et vos enfants en ont assez de vous voir le visage si paisible, dans un sommeil qui dure bien trop longtemps à leur goût. C’est pour ça que ce matin, lassés d’attendre leur héritage, ils ont choisi de vous débrancher.

Fin de l’histoire.

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