Notre-Dame de Chrétienté : entretien avec Philippe Darantière, nouveau président de l’association

Publié le 27 Jan 2025
Chartres pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté

©Notre-Dame de Chrétienté

PhD 1 Philippe DarantièreLe samedi 18 janvier 2025, l’association Notre-Dame de Chrétienté a élu son nouveau président, Philippe Darantière, pour succéder à Jean de Tauriers, après 12 ans de mandat. Engagé dans l’association depuis 1989, père de famille et spécialiste de la doctrine sociale de l’Église, Philippe Darantière est aussi l’auteur de deux ouvrages (Pour une action politique catholique, 2004 et Le Technonihilisme, 2016). Entretien.

 

| Quel lien avez-vous tissé au fil des années avec le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté ? 

Je suis engagé dans le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté depuis 1989. Cette date est particulièrement marquante, car elle faisait suite à la décision de Mgr Lefebvre en 1988, qui a conduit à un éclatement du monde traditionnel. Certains ont choisi de le suivre dans son désaccord avec Rome, tandis que d’autres, dont faisait partie le Centre Henri et André Charlier (association historique du pèlerinage), sont restés dans une dynamique d’obéissance romaine.

À l’époque, la poursuite du pèlerinage exigeait un renouvellement des chefs de chapitres pour remplacer ceux qui avaient suivi Monseigneur Lefebvre. J’ai donc été très tôt chef de chapitre.

Puis mon arrivée en région parisienne pour des raisons professionnelles m’a permis de m’impliquer davantage à la direction des pèlerins au moment de la création de Notre-Dame de Chrétienté. J’ai travaillé à la formation des chefs de chapitre, une mission essentielle au moment où la nouvelle association prenait son autonomie par rapport au Centre Charlier. Et à la Pentecôte, je participais au service d’ordre du pèlerinage.

Quelques années plus tard, lorsque je suis parti vivre à Nantes, j’ai repris du service comme chef de chapitre. J’ai ensuite collaboré à la logistique, notamment au transport des pèlerins pendant plusieurs années. Cela correspondait à une période où nos enfants commençaient à participer pleinement au pèlerinage, et nous utilisions notre véhicule pour nous rendre en famille au pèlerinage et pour rendre service. Plus tard, mon épouse et moi avons été engagés dans le chapitre « propreté ».


| Vous avez eu la charge de la formation des chefs de chapitre. Quelles évolutions avez-vous constatées ?

Deux évolutions majeures ressortent, une technique et une plus humaine. Quand j’ai commencé, Internet n’existait pas. Nous communiquions avec les chefs de chapitre via un bulletin papier envoyé par courrier postal : La Gazette du Chef de Chapitre. Aujourd’hui, les outils numériques ont transformé notre manière de travailler. Ils permettent une communication rapide, ce qui facilite grandement l’organisation et la transmission des informations.

Dans les années 1990, les chefs étaient souvent issus du milieu traditionnel. Ils avaient une solide formation doctrinale, souvent favorisée par une tradition familiale féconde, et une conscience aiguë des enjeux liturgiques et ecclésiaux.

Aujourd’hui, les profils sont plus variés. Beaucoup rejoignent le pèlerinage après une découverte personnelle de la liturgie traditionnelle, parfois récente. Leur attachement n’est pas toujours ancré dans un contexte ayant favorisé la compréhension des enjeux, ce qui demande un effort supplémentaire pour les outiller sur le plan doctrinal et spirituel.


| Comment expliquez-vous cette évolution des profils ?

Cette évolution reflète le contexte ecclésial. Avec Jean-Paul II, le pèlerinage a pu continuer à exister malgré la méfiance d’une partie des autorités diocésaines. Sous Benoît XVI, le motu proprio Summorum Pontificum a joué un rôle clé. Ce document a permis une plus grande ouverture à la liturgie traditionnelle, favorisant une perméabilité où les catholiques dits « classiques » ont davantage découvert la messe traditionnelle.

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes pèlerins n’ont pas connu les combats liturgiques des générations précédentes. Ils arrivent dans une Église perçue comme affaiblie, sans vraiment en connaître les raisons, mais ils sont attirés par la beauté et la profondeur de la liturgie traditionnelle, qui leur parle immédiatement du sacré et de la transcendance.


| Et ce décalage entre les pèlerins et le contexte ecclésial actuel ?

Un événement comme Traditionis Custodes a eu un effet paradoxal : bien qu’il cherche à restreindre l’accès à la liturgie traditionnelle, il a suscité un regain d’intérêt et une prise de conscience. Beaucoup de catholiques découvrent ou redécouvrent cette forme du culte, qu’ils perçoivent comme belle et sacrée.

Depuis Traditionis Custodes, les effectifs du pèlerinage n’ont cessé de croître. Cela montre qu’il existe une demande forte pour cette liturgie et la spiritualité qu’elle véhicule. Face à cette évolution, nous travaillons à développer une pédagogie adaptée, en expliquant paisiblement nos racines, notre rôle dans l’Église et la continuité que nous proposons à travers cette forme liturgique immémoriale.


| Un départ des pèlerins depuis Notre-Dame de Paris est-il d’ailleurs envisagé, maintenant que la cathédrale est de nouveau ouverte ? 

Pour l’instant, cela semble difficile. Mgr Ulrich s’est opposé à la célébration de la liturgie traditionnelle à Notre-Dame de Paris. Il peut pour cela se prévaloir de l’appui de certains dicastères romains… Mais nous espérons qu’un jour, peut-être avec lui ou son successeur, une messe de départ pourra avoir lieu dans ce haut lieu spirituel qui fut dès 1983 le point de départ du pèlerinage.


| Comment appréhendez-vous la croissance des effectifs ?

Notre rôle est de répondre à cette croissance avec prudence et organisation. Si Dieu suscite une soif de foi et de vie liturgique selon l’héritage de la tradition, nous devons y répondre généreusement.

Cependant, cette croissance pose des défis logistiques. Nous avons dû diversifier les itinéraires, notamment le dimanche matin, avec deux parcours pour les adultes convergeant vers la messe. Les chapitres enfants et familles ont des itinéraires adaptés pour ne pas ralentir le rythme général. De nouveaux terrains vont être aménagés pour étendre les bivouacs.

Nous veillons aussi à ce que chaque pèlerin puisse avoir accès à la confession ou à un accompagnement spirituel. Nous ne visons pas seulement une croissance quantitative, mais aussi une croissance qualitative, un approfondissement. Cela implique de former des chefs de chapitre solides, capables d’encadrer et d’accompagner spirituellement cette nouvelle génération de pèlerins.


| Quel est le thème de cette année et comment a-t-il été choisi ?

Le thème de cette année, « Pour qu’Il règne, sur la terre comme au ciel », s’est imposé naturellement avec le centenaire de l’encyclique Quas Primas, qui institua la fête liturgique du Christ-Roi, car il correspond à notre vocation, inscrite dans les statuts de l’association : promouvoir le règne social du Christ.

Ce thème illustre parfaitement notre mission : incarner et promouvoir le règne du Christ dans toutes les dimensions de la société. Cet objectif rejoint les trois piliers de Notre-Dame de Chrétienté : « Tradition, Chrétienté, Mission ».

Mais 2025 est aussi l’année de plusieurs jubilés. Tout d’abord, le Jubilé proclamé pour l’Année Sainte 2025, et nous serons bien des « Pèlerins d’espérance » pendant ces trois jours de Pentecôte. Nous célébrons aussi les 1000 ans de la cathédrale de Chartres, avec une Porte jubilaire accordée par Mgr Christory qui sera accessible à tous les pèlerins, leur permettant de recevoir une indulgence plénière. Enfin, cette année marque les 350 ans des apparitions du Sacré-Cœur à Paray-le-Monial, et nous avons décidé de consacrer le pèlerinage et chaque pèlerin au Sacré-Cœur de Jésus le lundi de Pentecôte.


| Quel lien faites-vous entre la messe traditionnelle et le règne social du Christ ?

Notre attachement à la messe traditionnelle rejoint notre attachement à la doctrine du règne du Christ. Pie XI, dans Quas Primas, avait fixé la fête du Christ-Roi au dernier dimanche d’octobre, pour souligner que l’incarnation temporelle du règne du Christ dans la société devait précéder la fête de la Toussaint, le Christ venant en tête, les bienheureux formant la cour céleste qui vient à Sa suite.

La réforme liturgique a donné une dimension plus eschatologique à cette fête en déplaçant sa date au dernier dimanche de l’année liturgique, mais nous restons attachés à cet appel à œuvrer concrètement pour le règne du Christ ici et maintenant, et non pas seulement à voir Son règne dans la seule perspective des fins dernières.

 

>> à lire également : Mgr Schneider : Sur le règne éternel, universel et social du Christ

 

Maitena Urbistondoy

Maitena Urbistondoy

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