L’intervention du Président de la République devant les évêques de France et une partie (sélectionnée) du monde catholique français, le 9 avril dernier aux Collège des Bernardins, n’a laissé personne indifférent. Beaucoup y ont vu une remise en cause de la laïcité, « un joyau » selon le nouveau patron du Parti socialiste, Olivier Faure. D’autres, au contraire, ont salué l’évènement. Le catholique Jean-Pierre Mignard, par ailleurs avocat de profession, a ainsi défendu la démarche d’Emmanuel Macron. Bien entendu, les réseaux sociaux se sont enflammés sur le sujet, chacun donnant son opinion sur l’éventuel coup de canif macronien à la laïcité. Des bons Pères ont répondu non, la main sur le cœur. Des députés se sont, au contraire, indignés. Mais à vrai dire, ce n’est pas tant le Président de la République qui pose problème que les catholiques eux-mêmes.
Sur le discours d’Emmanuel Macron, je renvoie à l’analyse de Thibaud Collin en fin de ce numéro. Concernant les catholiques français, cette rencontre s’inscrit à vrai dire dans un long processus dont elle ne représente au fond que la dernière étape. Parmi d’autres, trois aspects peuvent être soulignés.
1°) Le catholicisme français est en voie accélérée de communautarisation.
Encore religion de la majorité des Français, le catholicisme en France se communautarise. Bien que l’on ait pris soin de ne pas l’assimiler aux dîners du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) ou aux dîners de rupture du jeûne pendant le Ramadan, organisé par le Conseil français du culte musulman (CFCM), cette rencontre installe le catholicisme dans le rôle d’une religion parmi d’autres.
À son corps défendant ? Peut-être ? Mais l’évènement s’inscrit dans un tel flou (relevé par la grande presse) que le résultat va bien dans ce sens. Nous assistons à un rétrécissement du champ de vision du catholicisme français, désormais plus enclin, au moins en action si ce n’est en intention, à défendre ses intérêts qu’à assumer l’intégralité de la défense du bien commun, temporel et spirituel. Il s’agit bien de la dernière étape du processus d’absorption-neutralisation du catholicisme français.
2°) Le catholicisme français a totalement intégré (définitivement ?) le « droit nouveau » dénoncé par Léon XIII.
Connu comme le pape du ralliement, Léon XIII n’a eu pourtant de cesse (cf. l’encyclique Diuturnum) de dénoncer le « droit nouveau » issu de la modernité et de sa traduction politique qu’est la Révolution française. Parce qu’hégémonique, ce « droit nouveau » a- t-il rendu illégitimes et caduques toute contestation et toute opposition à ce qu’il est et à ce qu’il représente ? À vrai dire, la question n’est même pas posée par les représentants actuels du catholicisme et c’est là tout le problème.
Alors que l’on se gargarise facilement aujourd’hui de paroles et de gestes considérés comme « prophétiques », pourquoi n’entendons-nous toujours pas cette forte parole du pape Léon XIII : « Les théories modernes sur le pouvoir politique ont déjà causé de grands maux, et il est à craindre que ces maux, dans l’avenir n’aillent jusqu’aux pires extrémités. »1
Nous y sommes et à plus soif ! D’où la simple question : à quand la réévaluation de notre rapport au « droit nouveau » et à ses conséquences ? À bien considérer, il y a là une tâche bien plus urgente que de recevoir le Président de la République, avec le risque de tomber non seulement dans une action de récupération mais plus encore d’intégration-dilution dans la République idéologique.
3°) Les catholiques, défenseurs de la vérité, héritiers des martyrs, ont peur du conflit.
Sous prétexte de réalisme, nous ne cessons de redire que nous sommes minoritaires. Et, c’est exact ! Pour autant, ce constat doit-il entraver tout combat en faveur de la vérité ? Et l’idée même de combat ? Croyons-nous encore seulement que la vérité existe et qu’elle n’a rien à voir avec le consensus ? Déjà Péguy pouvait écrire en son temps : « Parce qu’ils n’ont pas le courage temporel, ils croient qu’ils sont entrés dans la pénétration de l’éternel. »2 Depuis longtemps maintenant, nous sommes en fait des dhimmis de la modernité et de la laïcité. Nous espérons encore ne pas connaître une autre « dhimmitude ». Mais éviter l’une n’empêche nullement de sortir de l’autre.
1. Ou cette autre sentence, extraite également de l’encyclique Diuturnum et qui s’applique face à l’avortement, l’euthanasie, etc. : « Il n’existe qu’une seule raison valable de refuser l’obéissance ; c’est le cas d’un précepte manifestement contraire au droit naturel ou divin, car là où il s’agirait d’enfreindre soit la loi naturelle, soit la volonté de Dieu, le commandement et l’exécution seraient également criminels. »
2. Œuvres en prose complètes, édition de Robert Burac, Gallimard/La Pléiade, 1988, III, p. 1367. Extrait de Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne.