« Nous devons rétablir la vérité sur la mort et la fin de vie », entretien avec Claire Pellissier, psychologue clinicienne en soins palliatifs

Publié le 11 Mar 2015
"Nous devons rétablir la vérité sur la mort et la fin de vie", entretien avec Claire Pellissier, psychologue clinicienne en soins palliatifs L'Homme Nouveau

Entretien avec Claire Pellissier, psychologue clinicienne en soins palliatifs et porte-parole du collectif « Soulager mais pas tuer ».
Propos recueillis par Adélaïde Pouchol

Comment est né le collectif « Soulager mais pas tuer » ?

Le mouvement « Soulager mais pas tuer » regroupe des soignants, des personnes handicapées ou âgées, des professionnels du grand âge et d’autres citoyens usagers du système santé, tous concernés par la protection des personnes les plus vulnérables. Ce mouvement est parrainé par Philippe Pozzo di Borgo, à l’origine du film Intouchables. Il est soutenu par une dizaine d’associations. Nous y comptons notamment « 100 % vivants » qui rassemble des personnes handicapées, Alliance Vita, l’Association pour la protection des soins palliatifs contre l’euthanasie (APSPE), Convergence Soignants Soignés et Soigner dans la dignité (SDD) qui rassemble plus de 620 étudiants des professions médicales. Ce mouvement demande le maintien de l’interdit de tuer, fondement de la confiance entre soignants et soignés, et la mise en œuvre par les pouvoirs publics d’un plan de développement des soins palliatifs sur tout le territoire pour soulager et accompagner les personnes dans le respect de leur dignité.

Quels sont les objectifs du collectif ?

Soulager mais pas tuer, c’est d’abord la volonté de réunir tous ceux qui s’opposent à l’euthanasie comme à l’obstination déraisonnable dans le soin, et qui se mobilisent pour le développement des soins palliatifs. C’est également la volonté de former et d’informer pour pouvoir agir. Nous voulons expliquer, résister et mobiliser !

Vous êtes opposés à « toute forme d’euthanasie », qu’est-ce que cela signifie ?

Nous sommes opposés à l’euthanasie explicite et active mais également à toute forme d’euthanasie plus insidieuse, par exemple un arrêt arbitraire de l’hydratation et de l’alimentation du patient, avec pour intention non pas de le soulager mais d’abréger sa vie.

L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation peut donc dans certains cas soulager le patient ?

Ce sont des situations assez rares mais il y a parfois des cas de fin de vie où l’alimentation et parfois aussi l’hydratation artificielles font plus de mal que de bien au patient. On peut alors décider d’arrêter l’un ou l’autre ou les deux (une alimentation artificielle peut s’avérer douloureuse alors que l’hydratation peut rester bien supportée), non pas pour tuer mais bien pour soulager la personne. Ce qui nous inquiète, donc, dans le nouveau projet de loi sur la fin de vie, c’est le côté systématique de la qualification de l’alimentation et de l’hydratation comme traitements, susceptibles par conséquent d’être interrompus à n’importe quel moment. Cela est justifié par le fait de « ne pas prolonger inutilement la vie ». Cette condition d’arrêt est susceptible d’engendrer des dérives euthanasiques.

Comment, dès lors, qualifier l’alimentation et l’hydratation artificielles ?

Pour un médecin, la distinction entre soins et traitements est floue : elle dépend de la situation particulière du patient ! La vraie question n’est pas tant celle de la qualification que de l’intentionnalité : l’arrêt de l’alimentation et/ou de l’hydratation est-il fait pour soulager ou pour tuer ? Le nouveau projet de loi, délibérément imprécis sur ce point, ne limite pas la possibilité d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation aux seuls cas de toute fin de vie. Mais prendre cette décision pour une personne qui n’est pas en fin de vie, c’est vouloir précipiter sa mort, comme dans le cas de Vincent Lambert, par exemple. Si on le fait pour lui, beaucoup d’autres patients sont exposés à mourir de dénutrition et de déshydratation. Derrière ce geste, il y a le regard porté sur la vie du patient, que l’on considère dénuée de sens. C’est très grave !

Le nouveau projet de loi parle aussi de sédation profonde jusqu’au décès. Qu’est-ce que cela implique ?

La sédation profonde est actuellement réglementée par les recommandations de la Haute Autorité de la Santé (HAS) et autorisée dans des moments de souffrance très forte qui ne peuvent être apaisés autrement, ou dans des situations de détresse terminale. On ne peut évidemment laisser un patient mourir d’étouffement sans le soulager et cela peut impliquer la sédation. Mais la sédation telle qu’encadrée par la HAS est un dernier recours, réversible et pouvant toujours être réajustée en fonction des besoins du patient. Elle permet de l’endormir à certains moments tout en gardant une possibilité de relation par intermittence qui a elle aussi une portée thérapeutique, notamment sur le plan psychologique. Dans les services qui savent prendre en charge la douleur, ces sédations sont assez rares. La sédation profonde et terminale jusqu’au décès, autorisée par le nouveau projet de loi, lie directement la pratique de la sédation à la mort. Elle a un caractère irréversible et n’est pas restreinte au cadre strict de la toute fin de vie. Administrée pour soulager la souffrance, elle est légitime mais ne l’est plus si c’est pour « ne pas prolonger inutilement la vie » comme le dit le texte de loi. Cela signifie que l’ « utilité » de la vie du patient intervient dans la décision médicale. En outre, beaucoup de médecins disent que les patients pourraient craindre des fins de vie accélérées par surdosage, ou que d’autres se voyant refuser l’euthanasie peuvent demander à dormir jusqu’à leur décès.

Vous parlez de services qui savent prendre en charge la douleur. Ce n’est pas le cas de tous les services de soins palliatifs ?

Il y a de grandes inégalités en France dans la prise en charge palliative et dans la formation dispensée aux soignants, alors qu’elle devrait être obligatoire et régulière. Des moyens sont mis en œuvre dans certaines régions en fonction de la volonté politique des dirigeants. Cela fait trois ans que la question du développement des soins palliatifs est en statu quo. Il n’y a certainement pas besoin de cette nouvelle loi, aussi dangereuse qu’ambiguë.

La loi Leonetti de 2005 est elle-même ambiguë sur la question de l’alimentation et de l’hydratation…

Effectivement, mais elle avait le mérite d’être claire sur la question de l’intentionnalité. La nouvelle loi systématise ce qui posait déjà problème. En outre, elle contribue à véhiculer une image erronée du médecin, celui dont on devrait se méfier. Il est évident qu’il est important de donner la parole au patient, d’autant qu’il y a encore de trop nombreux cas d’obstination déraisonnable. Mais il ne faut pas pour autant introduire un rapport de force entre soignant et soigné. Cette relation est fondée sur la confiance, sur l’interdit de tuer aussi ; celui-ci sécurise le malade et sa famille. J’ajoute, pour en avoir fait l’expérience de nombreuses fois, que les directives anticipées sont un sujet délicat. La personne ne sait pas quels seront ses désirs en fin de vie, elle ne sait pas quelle sera sa capacité de résilience. Je pense à cette dame qui nous avait dit en entrant dans le service qu’elle souhaitait « en finir rapidement » lorsqu’elle deviendrait dépendante à cause de sa maladie. Et finalement, lorsque la dépendance est arrivée, elle s’est découvert une force incroyable, son regard sur la souffrance a changé. Son fils m’a dit : « Je ne l’ai jamais vue aussi vivante. »

Comment, dès lors, envisager la fin de vie ?

Tout est dans la relation soignant-soigné, dans l’écoute et dans l’accompagnement. Les soins palliatifs sont un accompagnement de la personne jusqu’au bout de sa vie, jusqu’au terme naturel de sa vie. En tant que psychologue je peux témoigner des immenses bénéfices pour le patient et sa famille d’une prise en charge globale : physique, psychique, sociale et spirituelle. Si cette prise en charge existe, les demandes d’euthanasie disparaissent.

Les derniers moments de la vie sont précieux, nous avons tous des choses à vivre jusqu’au dernier moment. La fin de vie n’est pas uniforme, c’est un processus au cours duquel nous évoluons. Il y a des moments de souffrance psychologique, d’angoisse intense. Cette souffrance peut être écoutée, accompagnée. Il serait inquiétant de répondre par un geste médical violent, le fait d’abréger la vie ou une sédation trop rapide, à des angoisses qui peuvent être soulagées et qui laissent ensuite la place à des moments riches, de transmission, d’échanges familiaux, d’épanouissement.

Comment expliquer le peu de mobilisation contre le projet de loi sur la fin de vie ?

La mort est un tabou. Lorsque je dis que je suis psychologue en soins palliatifs, les gens sont souvent gênés… Les gens ne se mobilisent pas, non pas parce qu’ils ne se sentent pas concernés, mais parce que la question de la mort nécessite beaucoup de réflexion et réveille des peurs. Par ailleurs, dans le débat public, la question posée aux Français a été truquée. Si l’on vous demande : préférez-vous mourir dans d’atroces souffrances ou en bénéficiant d’une sédation continue jusqu’à la mort ?, vous choisirez la sédation ou l’euthanasie ! Nous devons rétablir la vérité sur la mort et la fin de vie. Il existe une alternative possible, l’accompagnement et les soins palliatifs. C’est cela qu’il faut développer. 

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