Comme le précédent, ce Sanctus est réservé pour les solennités. Il est très différent, emprunté qu’il est au 4ème mode, ce qui le range automatiquement dans les pièces mystiques du répertoire grégorien. Mais il faut reconnaître que nous sommes en présence d’une pièce splendide, peut-être le plus beau de la série des 21 Sanctus grégoriens.
Les sources manuscrites sont assez peu nombreuses et surtout françaises ou italiennes. On le date du XIème siècle au moins. C’est, semble-t-il, l’âge d’or de la composition du Kyriale. Mais au vu des sources, ce Sanctus 3 apparaît beaucoup moins connu et répandu que le Sanctus 2.
Commentaire musical
À l’inverse du Sanctus 2, où on a vu que les trois Sanctus formaient un schéma ascendant puis descendant, ici, c’est le contraire. Les premier et troisième Sanctus, identiques tous les deux, jaillissent et encadrent un second Sanctus beaucoup plus modeste et intérieur. On a donc un schéma descendant puis ascendant.
Mais la courbe des premier et troisième Sanctus est une merveille en elle-même qui mérite d’être soulignée : la mélodie part du Sol, touche le La, monte vers un double Do puis redescend vers le La, le Sol (donc réalise ici une courbe parfaite) en continuant sa progression descendante vers le Mi. On dirait une belle feuille d’automne ou une plume d’oiseau, portée doucement par le vent, montant, descendant, remontant, puis finalement touchant terre de façon si délicate.
Ce premier Sanctus est magnifique, d’emblée, très chaud, très contemplatif, très intérieur. L’erreur, ce serait de se précipiter vers le double Do et donner le sommet en force. Au contraire, toute l’intensité est dans la courte montée qui précède. Le sommet, lui, est arrondi et doux, ce qui donne une atmosphère vraiment merveilleuse. C’est ici que l’on peut mesurer la différence entre la force et l’élan. Il n’y a pas de force, mais de l’élan.
Il y a de l’intensité spirituelle jusque dans les piano de la voix. Ce Sanctus est contemplatif, et dément l’idée reçue trop facile d’un Sanctus obligatoirement sonnant et éclatant. Non, il y a plusieurs formes de plénitude, et celle que nous propose ce Sanctus est remarquable de maîtrise, de pureté, de silence même.
Donc beaucoup de douceur jusque dans l’élan pourtant bien marqué des premier et troisième Sanctus. La difficulté, c’est que souvent, après l’intonation, le chœur rentre sur le deuxième Sanctus, qui, lui, doit être absolument pris piano. Il ne manque pas de fermeté, avec son double Sol, mais il culmine sur ce Sol, il est donc très doux, de même que le Dóminus Deus Sabaoth, une merveille, qui suit le troisième Sanctus.
Tout est calme sur ces trois mots qui désignent le Seigneur des armées. Quel beau paradoxe exprimé ici par la mélodie ! L’accent au levé de Deus, dans ce contexte, avec le déploiement qui suit sur la syllabe finale, est une splendeur à lui tout seul. C’est large, intérieur, mais plein de vie pourtant.
Et le paradoxe se poursuit sur les mots suivants : pleni sunt cæli et terra : là encore on part piano. On va monter, certes, vers le mot glória, admirablement mis en lumière à l’identique des premier et troisième Sanctus, mais ce départ doux et piano est très expressif. Ce n’est que sur la cadence redondante de terra que le crescendo s’amorce pour aller cueillir l’accent de glória. Là encore, l’intensité est sur le podatus Sol-La. Le double Do, lui, est cueilli en douceur.
Les deux hosánna in excélsis sont identiques, et pleins de douceur, eux aussi, reprenant la mélodie de Dóminus Deus Sábaoth. Un départ piano, une petite montée en crescendo sur l’accent et une retombée très douce vers la cadence.
Quant aux mots benedíctus qui venit in nómine Dómini, ils n’ont pas l’expression de la phrase précédente. Il y a un élan vers le Do, à partit du Sol et du La, mais tout est simplifié, ici, et on revient vite vers la paix et la douceur qui rayonnent en dessous du La. Notons que Dómini reprend la mélodie de Dóminus dans la première phrase. On a ainsi de nombreux petits motifs entrelacés qui donnent à cette composition un caractère très étudié. Et pourtant, quelle liberté, quelle souplesse dans la ligne mélodique et intensive ! C’est un chef-d’œuvre, assurément.
Au total, un incomparable Sanctus, plein de majesté, de noblesse, de douceur délicieuse, de paix. C’est la vie contemplative qui chante, sans fièvre aucune, sans trépidation. Le chant grégorien démontre ici que la louange peut jouer sur un registre plus profond, et qu’elle n’y perd rien. Il n’y a aucune perte d’énergie, l’élan est tout spirituel, il monte vers l’infini avec la sérénité d’un ange.
Pour écouter :
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