La pause liturgique : Séquence Veni Sancte Spíritus (Pentecôte)

Publié le 31 Mai 2025
veni sancte spiritus grégorien séquence
Traduction 1 / Viens, Esprit-Saint, et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière.
2 / Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs.
3 / Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur.
4 / Dans le labeur, le repos, dans la fièvre, la fraîcheur, dans les pleurs, le réconfort.
5 / Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles.
6 / Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti.
7 / Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé.
8 / Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé.
9 / À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés.
10 / Donne mérite et vertu, donne le salut final donne la joie éternelle. Amen. Alléluia.

 

Commentaire spirituel

En ce matin de Pentecôte, l’Église est réunie au Cénacle, autour de Marie et des Apôtres. Toute recueillie dans le silence de sa prière, elle attend la réalisation de la grande promesse que son Époux lui a faite et qui doit la combler du don de l’Esprit-Saint. Elle attend mais aussi elle invoque avec flamme Celui dont la présence animera sa vie jusqu’à la consommation des siècles.

Comme il fait bon, pour l’Église de tous les temps, de revenir au Cénacle où tout a concrètement commencé pour elle. Comme il est délicieux pour nous de nous retrouver, dispersés parmi toutes les églises de la Chrétienté, dans les cathédrales, comme dans les églises de villages, de missions, de communautés religieuses, dispersés mais tous unis dans une même prière ardente dirigée vers la troisième Personne de la Trinité qui doit achever dans nos cœurs l’œuvre du Seigneur Jésus.

La Communauté primitive de Jérusalem contenait en germe toutes les communautés de tous les temps. Aujourd’hui comme depuis deux mille ans, nous sommes dans l’attente de la venue du Saint-Esprit, comme au début de chaque année liturgique nous attendons la venue du Sauveur. La Vierge Marie est au milieu de nous, comme Mère de l’Église, et c’est elle qui, dans son Cœur tout pur et tout aimant, centralise nos prières, les unit et les élève vers son Fils.

Et un jour, un homme de génie a composé cette prière qui par la suite a été insérée dans la liturgie de la Pentecôte, et est devenue la séquence, non seulement du dimanche de la Pentecôte, mais de toute l’octave, à l’instar de la séquence Víctimæ paschali laudes de Pâques.

La séquence Veni Sancte Spiritus est l’œuvre d’Étienne Langton, archevêque de Cantorbéry, qui l’a composée vers l’an 1200. C’est une prière absolument merveilleuse et complète, qui chante, dans un climat de paix et d’amour, l’événement intérieur de la Pentecôte, source vive et profonde destiné à jaillir à la surface de l’histoire en un élan missionnaire sans limites et sans frein.

Ce poème à la fois intime et chaleureux, est non seulement une des plus belles prières chrétiennes, mais aussi un chant parfaitement construit, qui comporte dix strophes composées chacune de trois vers contenant le plus habituellement trois mots, sans toutefois cet esprit de système qui est si étranger à la poésie antique. Trois vers de trois mots : cela fait penser immanquablement à la Sainte Trinité dont nous invoquons précisément ici la troisième Personne de façon toute particulière.

Du point de vue de sa structure verbale, les deux premiers vers de chaque strophe riment entre eux ; le troisième vers fait revenir la même rime tout au long de la pièce. Là aussi, on peut trouver dans ce choix poétique un sens divin : les deux premières Personnes de la Trinité sont un unique et identique Principe de la troisième Personne, l’Esprit-Saint procède indissociablement du Père et du Fils qui ne font qu’un dans cette Procession. Quant à lui, l’Esprit-Saint, il est Celui qui se diffuse dans toute l’Église, ce qu’exprime, d’une certaine manière, l’identique rime de tous les troisièmes vers.

Du point de vue de son rythme verbal, cette fois, on remarque que chaque vers est composé de deux spondées ou formules spondaïques de deux syllabes (plus ou moins régulières), et d’un dactyle de trois syllabes (qui lui est parfaitement régulier, c’est lui qui assure la perfection de la rime et du rythme). On a donc, du point de vue verbal, à chaque vers et de façon systématique pour le coup, une succession de deux fois deux syllabes et de trois syllabes qui forment donc un ensemble de sept syllabes, ce qui ne manque pas d’évoquer, bien sûr, les sept dons du Saint-Esprit :

Veni Sancte Spíritus                           Consotor óptime                            tuórum filium

Ajoutons que, le plus souvent, l’accent du dactyle est souligné mélodiquement par un neume.

Spíritus, litus, dium, etc.

Le plus souvent mais pas systématiquement, cette fois non plus, car on rencontre des vers qui sont parfaitement syllabiques :

Reple cordis íntima                Nihil est in hómine                 Sana quod est sáucium, etc.

Tout cela relève de la matérialité du chef-d’œuvre, et l’on voit combien cette matérialité est déjà imprégnée de spiritualité. Mais il est évident que la beauté de cette séquence lui vient principalement de son contenu doctrinal. On a comparé souvent le Veni Sancte Spíritus et le Veni Creátor qui sont les deux prières à l’Esprit-Saint les plus sûres (parce que liturgiques) et les plus riches. Toutes deux sont éminemment contemplatives.

L’hymne Veni Creátor est toutefois plus théologique, plus ferme, on pourrait dire plus dogmatique, plus didactique et instructive.

La séquence Veni Sancte Spíritus est plus humaine, peut-être, plus tendre et plus humble, plus spirituelle, plus uniquement prière, pourrait-on dire, même si son texte contient, lui aussi, bien des vérités sur la nature et le rôle l’Esprit-Saint, mais plutôt dans sa relation avec notre nature blessée et en profond besoin de Lui.

La première strophe évoque la luminosité et la pureté de cristal de l’Esprit-Saint. Il est Lumière incréée et nous lui demandons juste que soit dirigé vers nous un rayon de sa lumière. Ensuite, nous le supplions de venir (trois fois le verbe veni…) en l’invoquant sous une forme litanique qui nous le fait considérer de façon très belle comme Père des pauvres, Dispensateur de dons, Lumière des cœurs.

Et la litanie se poursuit, sans les veni qui restent au nombre significatif de trois : l’Esprit-Saint est le Consolateur par excellence, le doux Hôte de nos âmes, une adoucissante Fraîcheur. Il est le Repos dans le labeur, la Modération dans la fièvre, la Consolation dans la peine. Tous ces titres, au nombre de neuf (trois fois trois…) sont commandés par les trois veni du début. Mais on sent que la prière de demande s’est comme perdue en contemplation amoureuse.

Elle reprend ses droits de façon plus explicite, avec un nouveau verbe, reple, et c’est encore le thème de la lumière qui préside : « Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles ». Et à nouveau, l’âme se perd dans la contemplation de l’Esprit et de son action bienfaisante sur elle.

Reconnaissant humblement son incapacité radicale, non seulement à accomplir le bien, mais même à ne pas tomber dans le mal et à se souiller, elle implore le Don divin et le supplie, de façon très belle, d’agir sur toutes ses misères qu’elle décline de façon si touchante : « Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. » Elle est vraiment belle cette énumération contrastée et toute simple des verbes qui traduisent l’action divine et des adjectifs qui expriment les misères et les besoins correspondants de l’âme.

La séquence se termine par deux strophes pleines de confiance, qui sont aussi des prières de demande, plus générales, plus essentielles : on demande que l’Esprit se répande à profusion par le don de ses sept dons, qu’il nous accorde la vertu, le salut et la joie éternelle. Tout est dit de façon vraiment admirable.

 

Commentaire musical

Veni Sancte Spiritus Partition avec traduction veni sancte spiritus

 

La mélodie, quant à elle, regroupant les strophes de deux en deux, se fonde sur celle de l’alléluia qui a précédé (c’est précisément le sens du mot séquence) et se déploie avec souplesse sur l’échelle mélodique du 1er mode, rompant çà et là le syllabisme pur de sa ligne au moyen de quelques neumes chaleureux qui mettent surtout en valeur les accents des mots.

Un courant d’intensité anime différemment chaque paire de strophes, donnant à l’ensemble un caractère vivant qui authentifie la beauté mystique de la pièce. Laissons-nous pénétrer et transformer par la calme puissance de cette humble prière de demande, toute pleine d’amour, de désir ardent et de certitude joyeuse.

Les deux premières strophes partent du Do grave, sous-tonique du mode de Ré, et progressent doucement et calmement vers le Sib du second vers. La progression, au sein du premier vers, se fait par degrés conjoints, mais ne dépasse pas le Fa, et se fixe sur le Ré. Cette intonation est très douce, piano, mais en même temps bien ferme, avec les deux accents au posé du rythme de veni et de Sancte (ou Pater).

Le rythme binaire de ce début laisse alors la place au ternaire sur les deux premières syllabes de Spíritus (ou páuperum) ce qui élargit avec beaucoup de complaisance la mélodie touchant le nom propre de l’Esprit-Saint ou la mention des pauvres, objet de sa divine attention.

Puis, après un intervalle de tierce qui permet de rejoindre directement le Fa, la mélodie du second vers continue sa progression par degrés conjoints, et, va, de façon syllabique toucher le Sib qui, comme toujours, joue son rôle de douceur et de tendresse. On retrouve ce même effet de complaisance amoureuse sur le seul neume de ce vers, situé sur l’accent de cælitus (ou múnerum) ce qui donne beaucoup de chaleur à ces mot et même à tout l’ensemble de ces trois vers.

Le troisième vers, se présente comme une petite variante du premier : départ sur la sous-tonique Do, montée syllabique mais jusqu’au Sol, cette fois, avec une tierce Ré-Fa rompant la progression par degrés conjoints, et redescente du Fa au Ré en passant par le Do, avec ce même climacus, mais au grave, rencontré sur le vers précédent. C’est tout simple, mais c’est admirablement équilibré, et très paisible.

Les deux strophes suivantes commencent à l’aigu et en un bel élan, directement sur le La qui n’avait pas encore été écouté. Cela provoque donc un petit effet de surprise. Le premier vers est tout en extase, montant jusqu’au Ré et même se fixant sur cette corde, à l’octave de la tonique. C’est le premier sommet de la pièce, sommet éphémère puisque dès le second vers, la mélodie revient, du Do au La, dans la quinte La-Ré et plonge même jusqu’au Do grave sur ánimæ ou sur tempéries.

Cette descente mélodique évoque si bien la descente implorée de l’Esprit sur les pauvres que nous sommes. Le troisième vers, quant à lui, remonte jusqu’au La, puis nous fait retrouver la mélodie si pleine de complaisance des finales des première et deuxième strophes.

Les cinquième et sixième strophes attaquent directement sur le Ré aigu. On est là vraiment au sommet expressif de la pièce. Les première et deuxième strophes commençaient sur le Do grave ; les troisième et quatrième strophes commençaient sur le La et montaient jusqu’au Ré. Ici, c’est directement le Ré qui est touché, ce qui produit l’effet d’un grand cri d’admiration (O lux…, Sine).

Notons que ces premiers vers des strophes 5 et 6 sont en quelque sorte inversés par rapport aux premiers vers des strophes 3 et 4 : ceux-ci commençaient sur le La et finissaient sur le Ré ; ici, c’est le contraire, on attaque sur le Ré et on finit sur le La. Le deuxième vers, entièrement syllabique, plonge ensuite de façon très belle vers le grave, à nouveau attiré par le Do, et se fixe sur une cadence en Fa, cette fois (íntima, hómine) ; quant au troisième vers, il remonte vers le Sib avant de retrouver la cadence désormais classique avec son climacus Fa-Mi-Ré, et le passage au Do avant la cadence en Ré.

Les septième et huitième strophes sont très belles, un peu plus en demi-teinte, puisqu’elles ne dépassent pas le Do. La tierce mineure initiale, La-Do, qui persiste tout au long du premier vers, colore ces deux strophes et leur donne un caractère de douceur et de tendresse. Le deuxième vers est en apodose et se tient dans la quinte Ré-La, s’achevant sur la tonique ; quant au troisième vers, il remonte pour aller toucher le Do et finir sur en faisant entendre cette même tierce mineure, en descente, du Do au La.

Enfin les deux dernières strophes sont entièrement en apodose : elles partent du sommet mélodique Ré, se fixent sur le La à la fin du premier vers, puis sur le Fa à la fin du second, en ayant fait entendre le beau Sib, et se posent sur la tonique Ré, au terme d’un très beau mouvement descendant, très ondulant et régulier, qui établit définitivement cette mélodie dans la paix du 1er mode.

Il n’y a vraiment qu’à se laisser porter par cette mélodie et cette prière merveilleuse. Les sommets ne doivent surtout pas être forcés vocalement. Tout est doux, même les changements de mouvement ou d’intensité qui donnent beaucoup de vie à cette pièce. Cette séquence témoigne hautement de la dimension intérieure de l’événement de la Pentecôte : c’est surtout dans l’intime des cœurs que se produit l’irruption de l’Esprit, brise légère pour ceux et celles qui aiment le Seigneur.

 

>> à lire également : Éditorial de Maitena Urbistondoy | Un pontificat qui commence

 

Un moine de Triors

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