Pourquoi étudier l’islam ?

Publié le 29 Oct 2015
Pourquoi étudier l’islam ? L'Homme Nouveau

L’islam est complexe puisqu’il est à la fois une religion et une civilisation. Son expansion en Europe par le biais de la présence concrète de musulmans dans ses pays de tradition judéo-chrétienne incite à mieux le connaître en toute objectivité. Entretien avec madame Marie-Thérèse Urvoy, Professeur des universités.

Qu’est-ce que l’islam ?

Avant toute chose, il convient de préciser que le mot « islam » est polysémique : il est à la fois une religion et une civilisation, le lien entre les deux étant concrétisé par la communauté (umma) qui s’efforce de l’incarner et de le défendre sous forme de système socio-politique. Il est donc bien plus qu’une idéologie, dans le sens où, en Occident, on restreint la portée de ce mot à un simple système d’opinions. D’ailleurs, cela n’a pas échappé aux musulmans installés en Occident, qui exploitent cette complexité sémantique pour mettre au crédit de la religion tout trait positif de la civilisation du même nom. Ce qui suggère que la civilisation est intégralement le fruit de la religion, alors que les méandres de son Histoire montrent que si la religion a toujours eu l’ambition de modeler la totalité de la vie des croyants, elle a été obligée d’intégrer des traits hétérogènes, voire d’accepter la coexistence avec des éléments opposés.

En tant que religion, l’islam est l’affirmation de l’unicité de Dieu, créateur et juge, qui intervient dans le monde par l’envoi de ses prophètes pour rappeler aux hommes qui tendent à l’oublier leur nature fondamentalement monothéiste. Muhammad (Mahomet) est le « sceau de la prophétie », qui doit être obéi au même titre qu’Allah, dans la mesure où le Coran est dit être la parole même de Dieu « descendue » sur lui en révélation dictée. Ainsi, la profession de foi implique un binôme « Dieu-Muhammad », d’où découle une suite de binômes. Les uns commandent le rapport entre Dieu et l’homme : « commandements divins (les prescriptions coraniques) – soumission (islam) », « promesse (de félicités) – menace (de châtiments) » ; les autres catégorisent les hommes : « foi – infidélité », « croyant (c’est-à-dire, dès le Coran, le seul musulman) – incroyant ». Autour de ces binômes s’articule toute la vie du croyant : culte et pratique sociale.

Pourquoi étudier l’islam ? 

L’islam, dans ses diverses composantes est désormais présent chez nous. Conformément à sa logique propre, ses adeptes – à l’exception de quelques individualités – se croient dispensés de se fondre dans le tissu social des pays d’accueil, comme l’ont fait, par le passé, d’autres flux migratoires.

On ne saurait comprendre ce phénomène en se contentant de commenter affectivement l’événementiel. L’islam est un sujet d’étude à la fois théorique et pratique : théorique pour ses traits civilisationnels spécifiques et son insertion particulière dans l’Histoire des religions, et pratique pour la pesanteur de sa concrétisation en territoire non islamique. S’il appert de l’étude de l’Histoire que l’Islam comme civilisation a été une des plus grandes, cela suffit à justifier son étude objective mais n’induit pas une adhésion à l’islam en tant que religion. En revanche, la civilisation islamique ayant perdu son rayonnement, et la nostalgie des musulmans pour ce passé n’étant qu’un alibi fallacieux, c’est seulement à l’islam comme religion que le monde contemporain est confronté. On ne peut comprendre la distinction à faire entre les deux acceptions du terme « islam » sans un réel investissement de recherche et d’étude fait de renoncement et d’ascèse pour surmonter toute tentation de fascination.

L’islam actuel est-il la suite logique de son Histoire au cours des siècles ?

L’islam actuel n’est pas un « résultat logique » de son Histoire, tout simplement parce que celle-ci est extrêmement complexe : en raison de ce lien ontologique entre « religion et monde d’ici-bas » (dîn wa dunya) il y a en elle de tout, le meilleur et le pire, le bâtisseur et le destructeur, le tolérant et le violent, etc. ; on ne peut traiter l’un en faisant abstraction de l’autre, d’autant plus que déjà dans le texte coranique fondateur se trouvent les versets les plus antinomiques. Ainsi, par exemple, une diversité déconcertante fait qu’un ingénieur hautement diplômé prônera un islam médiéval, tandis qu’un père de famille du sud tunisien, sans instruction enseignera à ses enfants que le prophète de l’islam n’était qu’un politique.

Cette diversité ponctuelle de maintenant reflète les fluctuations de l’Histoire des pays islamiques dans lesquels il y a toujours eu concurrence et tension entre le pôle religieux et le pôle sociopolitique. L’islam contenant les deux, chacun a eu tendance à empiéter sur l’autre : l’exemple de l’Égypte est édifiant où nous avons vu successivement le religieux l’emporter sur le politique et le sociopolitique renverser le religieux. En France, les deux pôles existent mais c’est le religieux qui se fait le plus remarquer et qui, par ses victoires ponctuelles auprès de telle ou telle administration locale ou nationale, réduit l’audience du pôle social.

Comment se former aujourd’hui pour comprendre l’islam ?

La question de la formation est extrêmement grave. On voit publier ­côte à côte des plus sérieux aux moins fondés. Il est certain qu’il y a trop d’experts autoproclamés ou de spécialistes mis en avant de façon intéressée par les lobbies. L’actualité favorise cela, et les agences spécialisées dans le placement des experts auprès des médias en tirent profit. La collecte de ce qui circule dans l’air du temps ne suffit pas pour faire un spécialiste capable d’informer un lecteur.

Sur le plan technique idéal, pour celui qui veut pénétrer réellement les sources, un investissement linguistique s’impose. Même si on utilise des traductions, il faut être en mesure de vérifier la validité de celles-ci. S’impose également une formation de valeur universitaire, toujours à éprouver, en islamologie et en Histoire. On peut faire beaucoup de dégâts en s’improvisant islamologue, soit que l’on ne sache pas évaluer les données disponibles, soit que l’on publie des informations sensibles en en ignorant les répercussions possibles.

Pour le lecteur moyen, il doit apprendre à déterminer quels sont les informateurs fiables et sur quoi ils sont fiables. Il faut rejeter absolument les positions sentimentales (exotisme, déni de soi occidental) et affectives (mauvaise conscience du colonisateur, humanitarisme, droitdelhommisme). Il faut se méfier des modes et des lieux communs qui n’apprennent rien mais qui donnent le sentiment d’être à la page, comme aussi des informateurs « mercenaires » qui diront toujours ce que l’on attend d’eux selon le média qui les engage.

Il faut prendre en compte les positions partisanes, mais les envisager avec lucidité afin de définir exactement la tendance qu’elles représentent : à ce titre elles sont une information non négligeable. Toutefois, pour ce faire, il faut déjà posséder une formation certaine. Enfin, on doit surtout, à notre époque, éviter la pratique du simple « copié-collé » à partir de consultations sur Internet : je sais par expérience que l’on juxtapose souvent des informations contradictoires sans s’en rendre compte.

Propos recueillis par Béatrice Piot.

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