Prison 2/4 : Pourquoi punir ? Le piège de l’utilitarisme

Publié le 24 Sep 2022
puni

Deux conceptions de la société engendrent deux conceptions de la punition. C’est la finalité de celle-ci qui diffère suivant les systèmes de pensée. La prison et la peine de mort revêtent alors des significations bien différentes, révélatrices de la référence à la philosophie classique ou à la philosophie moderne. Inspiré de l’émission télévisée Koh-Lanta, un jeu (dont une course de karting) a été organisé à la prison de Fresnes, sous la houlette de l’administration pénitentiaire, en juillet dernier. Il a réuni des prisonniers, des surveillants et des jeunes du quartier… L’émotion politico-médiatique suscitée par la révélation de ce moment de « loisir » (selon le terme même d’un détenu), par le truchement d’une vidéo publique validée par la direction de la communication du ministère de la Justice, a relancé la polémique sur la prison. Mais elle n’a malheureusement pas favorisé une analyse sereine de la finalité de la sanction pénale. Il existe, en effet, deux conceptions diamétralement opposées de la peine qui s’inscrivent dans les deux pensées philosophiques, classique et moderne, de l’ordre social. Pour la première, il existe un ordre cosmologique des choses que les hommes sont amenés, par leurs actes, à entretenir voire embellir, mais dont ils peuvent aussi détruire l’harmonie par leurs démesures. Le pouvoir politique a pour rôle de la restaurer ; il est de nature judiciaire. À l’inverse, pour la seconde, puisqu’il n’existerait pas d’ordre naturel, la sociabilité ne peut être qu’artificielle (le passage de l’hypothétique état de nature à l’état de société se faisant par le truchement d’un contrat social). Dans ces conditions, le pouvoir politique a pour fonction de produire des règles de conduite abstraites devant être appliquées aux cas d’espèce. Selon la formule de Montesquieu, le juge est une bouche qui prononce les paroles de la loi. Le rôle que la peine doit jouer est, évidemment, différent en fonction de ces deux manières d’appréhender l’ordre social. Dans les sociétés classiques, la peine a un objectif de rétribution de l’acte : elle doit être une commutation inverse à celle qu’avait provoquée l’acte devant être puni, celui-ci ayant consisté en une démesure vis-à-vis de l’ordre des choses. La sanction classique était une exigence (juridique) vis-à-vis de la victime (qui mérite réparation) et une nécessité (morale) vis-à-vis du coupable (lui permettre de se racheter en compensant son acte dommageable). Dans ce système de pensée, le fait de risquer une sanction (pour un éventuel criminel) peut,…

Pour continuer à lire cet article
et de nombreux autres

Abonnez-vous dès à présent

Guillaume Bernard, Historien du droit et des idées politiques

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneSociété

L’homme transformé (2/3) | La métempsychose du totalitarisme

DOSSIER n° 1843 « L’homme transformé, l’illusion d’un salut sans Dieu » | Sous des formes nouvelles, le totalitarisme poursuit son œuvre de domination. Né du rejet de l’héritage chrétien et de la volonté de refonder l’homme, il s’est recomposé dans les sociétés libérales contemporaines. Sans violence apparente, mais par l’idéologie, le contrôle social et le déracinement, il impose désormais une version de lui-même d’allure douce.

+

homme transformé totalitarisme
À la uneSociété

L’homme transformé (1/3) | Du totalitarisme au transhumanisme, la tentation de l’homme transformé

DOSSIER n° 1843 « L’homme transformé, l’illusion d’un salut sans Dieu » | Dans son essai L’Homme transformé, Philippe Pichot Bravard analyse un fil rouge de l’histoire moderne : la volonté de créer un « homme nouveau ». Des régimes totalitaires du XXᵉ siècle aux projets transhumanistes, cette utopie revient sous des formes différentes mais garde la même logique. Entretien.

+

homme transformé homme nouveau
À la uneSociété

La messe n’est pas dite : Zemmour réclame une bouée trouée

L’Essentiel de Thibaud Collin | Dans son nouvel essai La messe n’est pas dite, Éric Zemmour en appelle à un « sursaut judéo-chrétien » pour sauver la France. Mais sous couvert d’un éloge du catholicisme, l’auteur ne réduit-il pas la foi chrétienne à un simple outil civilisationnel ? Une vision politique, historique et culturelle qui oublie l’essentiel : la source spirituelle de la France chrétienne.

+

la messe n’est pas dite zemmour
Société

« Mourir pour la vérité » de Corentin Dugast : reconstruire notre vie intérieure

Entretien | Dans son nouveau livre, Mourir pour la vérité, Corentin Dugast rend hommage à Charlie Kirk, figure chrétienne assassinée pour son engagement, et appelle les catholiques à renouer avec une vie intérieure authentique. Entre prière, combat doctrinal et exigence de vérité, il invite à sortir de l’indignation permanente pour retrouver un témoignage chrétien ferme, paisible et profondément incarné.

+

Charlie kirk Amérique Corentin Dugast
SociétéÉducation

Éduquer à l’heure de l’intelligence artificielle

Entretien | Alors que l’intelligence artificielle s’immisce dans tous les domaines de la vie quotidienne, Jean Pouly, expert du numérique et des transitions, alerte sur les dangers d’une génération livrée aux algorithmes sans accompagnement et invite à reprendre la main sur nos usages numériques. Entretien avec Jean Pouly, auteur de Transmettre et éduquer à l’heure de Chat-GPT (Artège).

+

intelligence artificielle
SociétéBioéthique

Filiation : quand le lien se dissocie du vivant

C’est logique ! | La reconnaissance par la France de deux enfants conçus par PMA après la mort de leur père rouvre un débat fondamental : qu’est-ce qu’engendrer ? Entre lien biologique et reconnaissance juridique, la filiation se voit détachée de son fondement naturel, au risque de transformer une relation d’être en simple fiction légale.

+

PMA post mortem filiation