Que se passe-t-il à l’église Sainte-Rita de Paris ? – II

Publié le 13 Sep 2016
Que se passe-t-il à l’église Sainte-Rita de Paris ? – II L'Homme Nouveau

Le 3 août au matin, des fidèles assistant à une messe en l’église Sainte-Rita de Paris étaient expulsés par la police. Depuis les milieux catholiques sont divisés sur la question. Cette église vaut-elle une messe ? L’État a-t-il agi légitimement ? Explication de Daniel Hamiche, de l’Observatoire de la Christianophobie.

Des questions, peu de réponses…

L’affaire de l’expulsion des occupants de Sainte-Rita, au matin du 3 août dernier, alors qu’une messe était en cours de célébration, a fait le tour du monde… Des articles de presse en toutes langues et dans bien des pays ont relaté l’affaire. En France, cette expulsion manu militari d’un lieu de culte a rappelé à la mémoire des souvenirs encore vifs chez les catholiques : bataille des inventaires, expulsions des congrégations religieuses, nationalisation des lieux de culte catholiques… Mais comparaison n’est peut-être pas raison…

Sainte-Rita a été construite en 1900 sur un terrain acquis en 1898, rue François-Bonvin (Paris XVe arrondissement), par l’Association des chapelles catholiques et apostoliques (ACCA) pour le compte de l’Église catholique apostolique, une dénomination religieuse millénariste d’origine britannique fondée dans la première moitié du XIXe siècle, sans rapport avec l’Église catholique. Le culte – se retrouvant progressivement sans « évêque » ni « prêtre » ni « diacre » – disparaît dans les années 1970 et la plupart des lieux de culte désaffectés sont vendus par l’ACCA. Cette dernière, dont le président, Guy Plichon, vit en Belgique, demeure propriétaire du terrain et du bâtiment de la rue François-Bonvin.

Une histoire de bruits, de rumeurs et d’argent

En 1987, Sainte-Rita n’étant plus occupée depuis plusieurs années, l’ACCA loue le bâtiment à Dominique Philippe, « archevêque primat de l’Église catholique gallicane de Paris », qui en fait sa « cathédrale », moyennant un modeste loyer de 1 000 F par mois comme il est stipulé dans le bail de location qui ne sera toutefois signé qu’en 1996. Les loyers n’étant pas réglés l’ACCA, en 2010, exige le règlement de 47 000 e d’impayés et met en vente le bien à une société immobilière pour 3,3 millions d’euros. En difficulté financière cette société cède l’affaire à une autre entreprise immobilière. Dominique Philippe, ayant reçu par voie d’huissier l’ordre de quitter les lieux, estime judicieux de déguerpir début 2015, laissant dans l’ignorance et en plan sa communauté, mais non sans avoir empoché un viatique de 150 000 €, moyennant la promesse de s’abstenir de toute procédure judiciaire contre le propriétaire qui s’engageait, de son côté, à effacer sa dette…

Sainte-Rita change de main

Le permis de démolir fut accordé à la société immobilière en 2011, puis, en mars 2012, elle recevait le permis de construire un immeuble d’habitation de sept étages. La fin de Sainte-Rita était donc légalement programmée. Il s’agissait, et il s’agit toujours, d’un bien privé qui n’a jamais relevé du patrimoine immobilier de l’Église catholique ou de celui de la Ville de Paris, et donc hors du champ d’application de la loi de 1905. Les tentatives de la municipalité du XVe arrondissement et d’élus locaux de trouver un repreneur pour le bâtiment afin que le culte y perdure, échouèrent : des millions d’euros ne se trouvent pas sous les sabots d’un cheval, eût-il été béni par le « primat de l’Église catholique gallicane »… Le 29 avril 2015, les portes du presbytère et de la sacristie sont murées et la démolition annoncée pour octobre 2015, mais la découverte d’amiante sur les murs de la façade et la voûte du bâtiment, pour ne rien dire de l’état de sa toiture, repousse sa destruction. Un petit groupe de réfractaires, anciens ou nouveaux, catholiques ou non, ne s’y résout pas, occupe, jour et nuit, le bâtiment et fait appel, en novembre, à l’abbé Guillaume de Tanoüarn, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur et desservant du Centre Culturel Saint-Paul de Paris, pour venir y célébrer la messe et donner, en quelque sorte, une onction spirituelle et sacramentelle à des occupants sans droit ni titre.

Un moment mal choisi

La machine judiciaire, peu sensible à ce type d’onction, met en marche son rouleau compresseur : 6 janvier 2016, ordonnance du président du TGI de Paris prononçant l’expulsion des occupants. Ces derniers n’obtempérant pas, le promoteur saisit le préfet de police pour procéder à l’expulsion par la force publique, procédure triste mais régulière et confirmée par une ordonnance du 27 mai suivant du juge des référés du Tribunal administratif, puis par une ordonnance du Conseil d’État du 5 juillet enjoignant au préfet de police de « délivrer le concours de la force publique ».

La suite est plus connue à défaut de l’être mieux : le 3 août au matin, la force publique expulse les occupants sans ménagement mais sans violence excessive, alors que l’abbé de Tanoüarn célébrait la troisième messe de ce matin-là devant une trentaine de personnes qui, averties dans la nuit de l’intervention policière, s’étaient barricadées dans l’édifice. Des photos et des vidéos, au sens réel confus mais choquantes, firent le tour du monde, et comme on préfère toujours en France que Guignol rosse le gendarme plutôt que l’inverse, elles alimentèrent la colère et la rancœur d’une partie de l’opinion catholique plus encline à la passion qu’à la raison. Reconnaissons-le : tout cela relevait davantage de l’agit-prop que de la défense légitime de la religion.

On pourra soutenir que le feu vert d’expulsion donné à l’insu du ministère de l’Intérieur, voire même contre son opinion qu’il n’y avait pas urgence à y procéder, par un conseiller d’État encarté au Parti socialiste, survint à un moment mal choisi. Certes, août est très souvent le mois des coups fourrés des gens du pouvoir, mais celui-là s’accomplit au lendemain des obsèques du Père Jacques Hamel, égorgé par des islamistes le 26 juillet précédent. Ce souvenir était encore sensible et il ne faudra donc pas s’étonner que des slogans, un peu forcés, comme « En France, on tue les prêtres et on rase les églises », aient fleuri…

On continuera sans doute à se réunir devant le chantier de démolition de Sainte-Rita pour y prier avec des intentions pures ou moins pures, mais ce lieu anecdotique du XVe arrondissement de Paris ne méritait sans doute pas autant d’attention et de passion que le sort des quatorze églises parisiennes ou des centaines dans notre pays, en péril faute de travaux de restauration de la part de ceux qui les ont spoliées et qui se refusent à les entretenir. Il n’est pas interdit de pleurer la disparition de Sainte-Rita, mais il faut raison garder…

Lire sur le même sujet la tribune de l’abbé Guillaume de Tanouarn.

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