L’approche de l’hiver, le froid qui revient, les jours qui raccourcissent, tout incitera bientôt à se calfeutrer chez soi mais la mauvaise saison peut être aussi l’occasion de se remettre aux fourneaux, par gourmandise, un peu, pour faire plaisir à ses proches beaucoup. La société de consommation et de gaspillage, de « fast food » et de surgelés, sans parler des diktats de la mode, de la médecine ou de l’écologie, ont contribué à faire perdre à nos contemporains, avec leur héritage culinaire, le sens sacré de la nourriture et du repas partagé. Redécouvrir les saveurs oubliées, les plats d’autrefois, la joie de s’asseoir ensemble à la même table en rendant grâces pour un repas commun est une façon, agréable, de renouer avec ce que nous sommes.
Domitille et Michel Langot le savent bien ; le très beau livre de cuisine qu’ils publient, somptueusement illustré, Saour, saveurs bretonnes, 30 produits, 90 recettes (Ouest-France ; 250 p ; 39 €.), est un hymne aux richesses de l’agriculture armoricaine, sa diversité, son ancienneté, son histoire.
À la fin du XVIIIe siècle, le dernier évêque de Saint-Pol-de-Léon, Mgr de La Marche, désolé de l’extrême misère de son diocèse, s’ingénia, afin de libérer ses fidèles d’une disette endémique, à favoriser le développement du maraîchage sur les terres léonardes sablonneuses. Le prélat y gagnerait un surnom affectueux, « ar eskop ar patatez », l’évêque des patates, et assurerait à la région une fortune agricole inespérée qui se poursuit et se renouvelle. Si tout le monde connaît l’artichaut camus et le chou-fleur du Léon, l’oignon rose de Roscoff au parfum inégalable qui ravissait la clientèle britannique, toujours heureuse de voir, chaque hiver, débarquer les « johnnies » bretons avec leurs vélos chargés de tresses d’oignons, d’échalotes et d’aulx, l’on sait moins que le Finistère s’est découvert, ces dernières années, de nouvelles sources de richesses : rebaptisé « lentin », le shitakés japonais s’est mué en champignon breton très tendance et c’est également du pays du Soleil levant qu’est venu un engouement, mérité, pour les bienfaits de la cuisine aux algues, de sorte que la dulce, la laitue de mer et bien d’autres variétés communes sur la côte, jusque-là réservées à l’industrie chimique, ont révélé aux amateurs toutes leurs saveurs et leur extraordinaire potentiel santé.
Savoir acclimater les produits exotiques fut toujours un trait d’une région ouverte aux grands échanges maritimes. La fraise, telle que nous la connaissons, et qui devait bientôt faire la renommée de Plougastel, ne débarqua du Chili qu’au XVIIIe siècle dans les bagages d’un botaniste au nom prédestiné, Frésier, qui la croisa avec la fraise des bois européenne, donnant naissance à toutes les variétés modernes. Il fallut toutefois attendre le développement des chemins de fer qui permettait de l’acheminer rapidement avant de la voir envahir le marché parisien puis national et international. C’est également d’Amérique du Sud, dans les poches d’un jeune matelot désireux d’enrichir le potager maternel, qu’arriva voilà un siècle un petit haricot blanc devenu emblématique des Côtes d’Armor, le coco de Paimpol.
Une volonté de retour aux produits naturels a récemment permis la renaissance de la culture du sarrasin, graminée délaissée car plat du pauvre, et de la châtaigne, les arboriculteurs de Redon concurrençant de nouveau ceux d’Ardèche. Moins belle, sans doute, que ses cousines calibrées, rouges et appétissantes comme la pomme empoisonnée de Blanche-Neige, la reinette d’Armorique à la robe plus terne et aux joues ridées, a retrouvé, elle aussi, ses lettres de noblesse.
Les éleveurs ne sont pas en reste qui s’ingénient à ressusciter une volaille disparue dans la grande standardisation des années 60, la Noire de Janzé à la chair savoureuse, des races porcines oubliées ou disputent à ceux de la Baie du Mont Saint-Michel l’appellation de prés salés pour leurs agneaux paissant le long du littoral.
Tout cela, et bien d’autres détails encore, concernant la pêche au bar, au lieu, au homard, à la sardine, à la coquille Saint-Jacques, la fabrication du beurre salé ou du lait ribot, Domitille Langot vous le raconte et accompagne cette découverte, pour chaque produit, de trois recettes traditionnelles ou revisitées : artichoïade à la grenade, pizza Breizh, riz paimpolais, croque aotrou (version locale du croque-monsieur), soupe de moules à la capucine, homard à l’armoricaine, tartare aux algues, ceviche de lieu pamplemousse et fèves, tartare de dorade à la fraise, pain sylvestre, blanquette de porc à la bière de sarrasin, breizhtiflette, taboulé au sarrasin, Belle Île flottante, et bien d’autres merveilles relativement faciles à cuisiner vous attendent. Qui osera nier que la Bretagne ait du goût ?
Faire redécouvrir les saveurs locales d’autrefois en les modernisant sans les trahir, telle est aussi la démarche de Leila Martin, auteur de L’Alsace enchantée, 50 recettes inventives pour sublimer le quotidien (La Nuée bleue ; 130 p ; 22 €).
Née d’un père jurassien et d’une mère marocaine, cette journaliste culinaire, blogueuse, restauratrice, s’ingénie à marier les saveurs et les traditions de ses deux cultures familiales, associant cuisine maghrébine et plats alsaciens, ne répugnant pas à aller chercher plus loin encore, vers l’Extrême Orient, des parfums, des épices, l’inspiration d’une cuisine rapide, efficace, savoureuse. Économique aussi car l’utilisation des restes et le refus du gaspillage tiennent une grande place ici, ce qui n’est pas inutile en notre temps de surconsommation, surtout quand il faut nourrir une famille.
Parmi ses inventions : empenadas de choucroute et snacks, bredeles au saumon et à l’aneth, samoussas d’escargots au munster, nems croustillants de choucroute, magrets de canard pomme verte, soupe de carottes au cumin et crème de munster, velouté d’asperges antigaspi au safran d’Alsace, clafoutis de courgettes à la menthe et au munster blanc, fleischkiechle à l’orientale, tajine d’agneau aux quetsches, miel et safran d’Alsace, kassler à la bière et au miel, baeckeoffe de poisson et gambas au safran d’Alsace, filet de truite d’Alsace laqué au miel et à la sauce soja, gâteau streusel poire chocolat, tiramisu façon forêt noire, soupe de fraises au pinot noir, linzertorte au fromage blanc.
L’envers de ces délices serait-il les convoitises suscitées par l’argent en jeu lorsqu’un produit rare devient à la mode ? Le monde de la gastronomie et de l’excellence est féroce. Noël Balen, déjà coauteur de la série à succès Le sang de la vigne, et Vanessa Barrot le savent bien puisqu’ils ont lancé de concert une nouvelle série, les aventures de la journaliste Laure Grenadier, rédactrice en chef du magazine Plaisirs de la table, et de Paco, son photographe attitré. Ces Crimes gourmands sont avant tout un prétexte amusant à découvrir des spécialités locales et l’ambiance d’une région. Après les bouchons lyonnais, les tables normandes et périgourdines, Mort sur le gril (Fayard.165 p. 15 €) propose une excursion dans le Luberon à la recherche de truffes et d’huiles d’olive. L’assassinat atroce d’un ancien critique gastronomique particulièrement redouté, retrouvé en train de griller sur son barbecue, une fourchette plantée dans la nuque tel un vulgaire morceau de viande, n’est qu’un léger prétexte à louer les beautés de la Provence en hiver, ses parfums, ses saveurs, ou à vous inciter à goûter quelques eaux de vie rares aux parfums étonnants dont la seule description fait saliver. On ne vous le tiendra pas pour péché.