En juillet 2022, à la suite du succès du pèlerinage de Chartres, Jean de Tauriers, président de Notre-Dame de Chrétienté, eut l’initiative d’envoyer un courrier à Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, afin de solliciter une rencontre et discuter avec lui du motu proprio Traditionis Custodes. Les représentants de plusieurs associations de laïcs comme Lex Orandi et Renaissance Catholique s’étaient associés à cette démarche. Mgr de Moulins-Beaufort a accédé à cette demande en déléguant deux évêques, Mgr Jordy, vice-président de la Conférence des évêques de France, et Mgr Lebrun, membre du conseil permanent, ainsi que la directrice du service national de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle, pour une rencontre le mardi 21 février avec deux représentants des fidèles attachés à la messe traditionnelle. Entretien avec l’un d’eux, Philippe Darantière.
Comment s’est déroulé votre échange avec les représentants de la Commission Permanente des évêques de France ?
Notre échange a commencé par un sujet d’actualité puisque le pape François avait promulgué la veille un rescrit revenant sur Traditionis Custodes (2021). Nous avons demandé aux deux évêques s’ils avaient des informations à ce sujet, mais ils venaient de le découvrir, l’un d’eux n’en n’ayant pas encore pris connaissance avant notre rencontre.
Puis nous avons fait un exposé très développé de notre point de vue de fidèles attachés à la messe traditionnelle. Nous avons parlé de la blessure du motu proprio, de la souffrance des fidèles, des célébrations réduites, des sacrements limités, du fait d’être traités comme des catholiques à part. Nous avons énuméré les mesures vexatoires, blessantes et injustes, dont nous récusons les motifs : il est faux de dire que nous blessons la communion de l’Eglise et que nous ne reconnaissons pas le magistère.
Nous avons également voulu souligner que, comme tous les catholiques, nous sommes blessés par les révélations d’abus : ce qui défigure l’Eglise nous atteint aussi, ce que vivent les représentants de l’Eglise qui sont soupçonnés et montrés du doigt, nous le vivons aussi, et nous avons exprimé notre compassion aux évêques.
Un élément de souffrance supplémentaire réside dans le fait que l’Eglise n’a pas tenu sa parole à notre égard : le motu proprio de 1988 de saint Jean-Paul II reconnaissait les « groupes de fidèles qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine », et cela a été confirmé par Summorum Pontificum (2007). Aujourd’hui, nous sommes dans un mouvement totalement inverse : nous subissons une peine discriminante, une punition collective pratiquement sans équivalent dans l’histoire de l’Eglise.
De plus, nous avons soulevé l’incohérence qu’il y a à accorder à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X les plus grandes facilités pour les baptêmes, les confessions ou le recueil du consentement des époux lors des mariages, quand dans nos familles, il devient difficile de se marier ou d’être enterré dans la forme traditionnelle.
Tout ceci est peu compréhensible. Aujourd’hui en France, 2% des baptisés seulement pratiquent régulièrement. Or, les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle représentent un quart des catholiques pratiquants de moins de 40 ans. Et pourtant, nous sommes mis de côté.
Comment avez-vous été reçus par les représentants de la CEF ?
Ils nous ont écouté avec beaucoup d’attention et de patience. Nous avons eu le temps de nous exprimer. Leur première réaction a été l’empathie : ils nous ont dit comprendre que nous soyons blessés et reconnaître que le motu proprio est un texte dur. Ils nous ont affirmé l’avoir dit au Pape et avoir fait en sorte que l’application soit la moins stricte possible. Ce que nous reconnaissons : de nombreux évêques n’ont rien voulu changer dans leurs diocèses après juillet 2021. Mais nos échanges ont aussi eu des moments où la compréhension mutuelle était moindre.
À quel sujet ?
Au sujet de la communion ecclésiale. Il nous a été présenté trois points à travailler sur cette question de la communion, et selon eux, ni eux, ni nous, ne l’avons fait.
D’abord, nous n’avons pas le même lectionnaire, nous nous priverions donc de la richesse de la parole de Dieu de la nouvelle liturgie. Il faudrait, selon eux, pouvoir corriger cela, car sinon, la parole de Dieu n’est pas dispensée de manière égale dans les deux liturgies.
Un autre point, très surprenant pour nous, fut la question des écoles hors contrat, que nous avions soulevée. Ils sont longuement revenus sur les initiatives familiales de fonder des écoles. Selon eux, le label catholique appartient à l’évêque qui a le pouvoir de l’accorder aux écoles. Nous avons objecté que dans l’enseignement diocésain, on trouve des écoles où certains aspects de l’enseignement ne sont pas en accord avec la doctrine catholique, en donnant des exemples. Or, c’est le bien de nos enfants qui est en cause. Et nous aurons des comptes à rendre au Seigneur qui nous les a confiés. Il est donc légitime, selon nous, de prendre nos responsabilités de baptisés. Nos échanges sur ce thème n’ont pas abouti à une vision pleinement partagée de ce qui « fait communion ».
Enfin, le point majeur qui constitue un obstacle à la communion est celui de la célébration des sacrements. Il nous a semblé que la dimension communautaire prime en quelque sorte sur l’adhésion à la même foi. Nous avons souligné que, selon le Catéchisme de l’Eglise Catholique, la communion est fondée sur le Credo, les sacrements et l’obéissance à la hiérarchie, et que c’est précisément pour cela que nous voulions rencontrer nos évêques. On nous a objecté que, dès lors que la célébration sacramentelle à laquelle nous participons se tient de manière distincte de ce que célèbre l’évêque, cela constitue une difficulté dans la mesure où nous ne sommes pas dans le rassemblement de la communauté autour de l’évêque : à la messe chrismale (mais combien de catholiques participent à la messe chrismale ?) ou dans d’autres célébrations diocésaines. La question de la confirmation est un exemple de cette difficulté. Nos familles souhaitent ce sacrement selon le rite traditionnel dans lequel elles ont fait baptiser leurs enfants, par souci de cohérence entre les différents sacrements de l’initiation chrétienne. Mais la confirmation est aussi le sacrement de l’Evêque, qui peut considérer que le nouveau rituel est supérieur à l’ancien.
Nous avons reconnu que, dans la mesure où nous n’avons pas le sentiment de manquer à la communion par notre manière de recevoir les sacrements, il y a sûrement des choses à approfondir ensemble.
Avez-vous pu exprimer des besoins concrets ?
Oui, au nombre de cinq :
- L’accès des fidèles à tous les sacrements de l’initiation chrétienne (baptême, confirmation, eucharistie) dans la forme traditionnelle,
- Les mariages et les obsèques dans la même forme, dans tous les diocèses,
- L’enseignement du catéchisme au sein de nos communautés,
- L’apostolat de prêtres dont le droit de célébrer selon l’ancien rite ne soit pas remis en cause,
- L’accueil favorable des écoles indépendantes par les autorités diocésaines.
Quels seront les fruits de cette discussion ?
Il faut d’abord souligner que c’est une première : les représentants des fidèles attachés à la messe traditionnelle écrivent au président de la Conférence des évêques de France. Il répond favorablement. La rencontre s’organise et se tient, c’est déjà un événement. Elle a été officialisée le soir même par un texte commun. C’est une première et donc un point important.
C’est peut-être surtout l’amorce d’un processus. Nous avons sollicité le fait que cette rencontre devienne plus régulière avec des représentants de l’épiscopat, pour parler de tous ces sujets, et pour avancer dans une meilleure compréhension mutuelle. Les deux évêques ont répondu qu’ils allaient rendre compte de notre demande à Mgr de Moulin Beaufort, afin de trouver un prolongement possible à ces échanges sous une forme de périodicité qu’il voudra bien décider.
Les trois points soulevés comme étant des obstacles à la communion méritent une réflexion, à laquelle nous sommes ouverts. Il serait utile d’expliciter cette notion d’un point de vue théologique ou canonique. Mais il serait surtout utile de chercher ensemble la manière de s’adresser mutuellement des signes de communion. On ne pourra pas changer le lectionnaire (cela ne relève pas de notre faculté de laïcs), mais nous pourrions donner d’autre témoignages de notre souci d’unité, comme la participation à des célébrations communes, des événements diocésains, des pèlerinages ou, par exemple, en veillant à une meilleure information de l’Evêque sur un projet de création d’école.
Pour terminer, je voudrais souligner qu’il y a eu dans nos échanges beaucoup de franchise. Nos interlocuteurs ont pris beaucoup de temps à nous écouter, sans chercher à nous interrompre. Nous avons senti que de l’attention nous étaient consacrée. Ce n’était pas une formalité : nous avons eu un véritable échange, et cette volonté d’un débat respectueux est appréciable.
À leur initiative, nous avons terminé notre rencontre en priant ensemble le Notre Père récité en latin.
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