Révolution : complot ou mécanisme révolutionnaire ?

Publié le 04 Mai 2018
Révolution : complot ou mécanisme révolutionnaire ? L'Homme Nouveau

La parution d’un fort volume regroupant les œuvres d’Augustin Cochin est aussi importante, voire davantage, que la récente publication d’un volume de la collection « Bouquins » consacré à Charles Maurras. D’un certain point de vue, elle est même plus capitale en ce qu’Augustin Cochin a profondément bouleversé la connaissance historique de la Révolution française et, plus largement, celle d’un aspect déterminant du phénomène révolutionnaire, toujours à l’œuvre aujourd’hui. 

Au milieu d’une œuvre qui n’est pas sans scories ni fondements incomplets, le maître de Martigues eut, pour sa part, le mérite de souligner, et donc d’entretenir, la permanence des vertus traditionnelles, du rôle important des institutions et de rappeler le bienfait de l’héritage, essentiellement d’ordre immatériel. Dans quelle mesure, ces bienfaits étaient-ils enserrés dans une vision philosophique qui ressortait pour une part de la modernité ? C’est toujours l’objet d’un débat chez ceux qui ne se contentent pas de répéter les griefs habituels contre Maurras, action due le plus souvent à un manque de familiarité avec une pensée plus complexe que ses caricatures.

Un chercheur oublié

Pour sa part, Augustin Cochin n’est pas seulement mal lu ou lu de façon partielle pour ne pas dire partiale. Dans le plus grand nombre de cas, ut in pluribus auraient dit les anciens scolastiques, il est tout simplement inconnu. 

Dans sa préface au volume qui vient de paraître chez Tallandier, Patrice Gueniffey rappelle cette disparition des écrans radars de l’historiographie de la Révolution française. Dans une excellente introduction, parfaitement écrite et parfaitement renseignée, Denis Sureau le souligne également. Gueniffey comme Sureau rappellent aussi le rôle joué par François Furet pour sortir Cochin de l’oubli. Rôle important, rôle déterminant mais qui s’inscrivait pourtant à la suite d’autres, plus humbles, plus méconnus du grand public, mais qui n’en ont pas moins joué un rôle essentiel dans la réappropriation de l’œuvre, de la pensée et de la méthode de Cochin. Au reste, Denis Sureau ne l’ignore pas comme le montre son introduction et plus encore la bibliographie du volume. 

La Révolution, phénomène divin, mécanisme divin ou complot diabolique ?

Parmi ces méconnus et ces oubliés (à l’instar de Cochin lui-même), il faut citer le nom de Louis Damenie (1911-1972), fondateur et animateur de la revue L’Ordre français. Dans un livre intitulé, La Révolution, phénomène divin, mécanisme divin ou complot diabolique ?, paru en 1970 et réédité depuis par DMM, Louis Damenie décortiquait la pensée et la méthode d’Augustin Cochin tout en la mettant en parallèle avec l’œuvre de l’abbé Barruel (1741-1820). 

Là où la plupart se contentent de disqualifier la thèse de Barruel, réduite au complot, sans jamais prendre le temps de l’exposer (ce qui donnerait plus de poids à leur réfutation), Damenie présentait sa pensée, en montrait les limites mais aussi les points de convergence avec Cochin, qui pour avoir lu Barruel, s’en montrait critique, non sans raison. 

De l’œuvre du prêtre, Louis Damenie pouvait ainsi écrire : « Barruel n’aurait-il mis en lumière que ces complots partiels qu’il aurait grandement contribué à la compréhension des mécanismes révolutionnaires. Sans doute, n’a-t-il nullement saisi le mécanisme propre de la libre pensée qu’a si bien décrit Cochin mais (…) il a contribué sans doute à mettre Cochin sur la voie, d’autre part, en mettant en lumière à partir de faits certains, des actions menées consciemment de haut en bas, il apporte un correctif essentiel à la thèse de Cochin, en vertu de laquelle le processus révolutionnaire résulterait exclusivement de l’action des Sociétés de pensée, elles-mêmes mues par le moteur collectif et inconscient de la libre pensée ». 

Mais Damenie va aussi plus loin. Pour admirateur qu’il fut de Cochin, il en soulignait aussi certaines limites : « Je l’estime trop absolu quant à la réduction du phénomène révolutionnaire à l’automatisme d’un mécanisme. »

Lire Cochin

Quoi qu’il en soit, on peut désormais à nouveau lire Augustin Cochin dans ce volume de plus de 600 pages qui réunit les livres de l’auteur, ses essais sur la Révolution française (Les sociétés de pensée et la démocratie moderne ; La Révolution et la libre pensée ; Abstraction révolutionnaire et réalisme catholique), ses études sur le protestantisme dans le midi au XVIIe siècle (Les conquêtes du consistoire de Nîmes pendant la Fronde ; Les Églises calvinistes du midi. Le cardinal Mazarin et Cromwell ; Le grand dessein du Nonce Bargellini et de l’abbé Delisles contre les réformés) ainsi que ses lettres jusqu’à sa mort. 

Du constat des faits à l’énoncé du concept

Membre d’une illustre famille parisienne et catholique, fils du député et ministre Denys Cochin (une des figures des catholiques favorables au Ralliement), Augustin Cochin fut un brillant élève de l’École des Chartes. C’est dans le cadre de sa thèse qu’il étudia tout d’abord l’action des protestants dans le midi de la France avant de se lancer dans l’œuvre de sa vie : l’exploration patiente et rigoureuse des archives pour déterminer comment un peuple si divers que le peuple français semblait s’être exprimé d’un même mouvement, et souvent avec les mêmes mots, dans les plaintes recueillies dans les Cahiers de doléances. 

Son étude le porta d’abord en Bourgogne, puis il vérifia en Bretagne ce qu’il venait de débusquer. À chaque fois, Cochin constatait l’existence de quelques groupes d’hommes, animés par les mêmes idées, se retrouvant non seulement pour les partager mais aussi pour les diffuser. Affinant ses recherches, s’appuyant sur la démarche sociologique tout en en voyant les limites (ce que Denis Sureau met très bien en avant dans son introduction), il dégagea le constat et le concept des « sociétés de pensée » à l’œuvre dans le renversement de l’Ancienne France. 

Complot de personnes ou de sociétés ?

Complot ? Oui, d’une certaine façon, mais pas au sens (celui de l’abbé Barruel et de nombre d’auteurs contre-révolutionnaires) où des individus tiraient les ficelles et exerçaient leur volonté personnelle. Pas au sens, en tous les cas, où la Révolution serait seulement l’œuvre de tyrans que les circonstances ont rendus possible. Pour Cochin, cette vision « naïve » ne rendait pas compte du formidable bouleversement que fut la Révolution française, ni du fait qu’elle avalait au fur et à mesure ceux qui lui servaient de bras séculier. Ni qu’elle continuait bien au-delà de 1789. 

Cochin avait dégagé les mécanismes révolutionnaires, ce qu’il nomme la « machine » (d’où le titre du recueil de ses œuvres, La Machine révolutionnaire), qui œuvre par le biais de sociétés non organiques (sans d’autres buts que leur propre existence et leur propre influence) à façonner l’opinion publique dans le sens des Lumières : les sociétés de pensée (maçonniques, mais pas uniquement). 

La guerre de 1914 viendra mettre un terme aux travaux de Cochin. Mobilisé, plusieurs fois blessé (et parfois grièvement), le jeune historien (il est né en 1876) meurt au front en 1916. Parce qu’il était monarchiste, et parce qu’il publia une étude dans la Revue d’Action française, on vit en Cochin un disciple de Charles Maurras. Il partageait certes avec l’Action française la critique de la Révolution et de la démocratie ainsi que du modernisme religieux. Mais il reste éloigné de la démarche et de la philosophie sous-jacente de Maurras. Au vrai, il se situait dans un autre univers et là encore il convient de lire l’introduction de Denis Sureau pour en saisir toute la complexité et toute la portée. 

Dans Penser la Révolution française, François Furet estimait que « Tocqueville et Cochin sont les seuls historiens à proposer une conceptualisation rigoureuse de la Révolution française ». De ce fait, l’œuvre, la pensée, la méthode, les conclusions de Cochin exigent du travail, une lecture rigoureuse. Elles ne meuvent pas les passions car Cochin offre une méthode de travail pour saisir une réalité mécanique. La méthode n’a rien perdu de sa pertinence. C’est pourquoi lire Cochin ne consiste pas à se souvenir de débats historiques ou à prendre connaissance d’un témoin du passé. Il s’agit aussi d’un outil pour aujourd’hui. 

La Machine révolutionnaire, Augustin Cochin

Préface de Patrice Gueniffey, introduction, présentation et notes de Denis Sureau,

Tallandier, 688 pages, 29,90 €.

Par ailleurs, on peut trouver les Mémoires pour servir à l´histoire du jacobinisme de l’abbé Augustin Barruel aux éditions de Chiré.

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