Reynald Secher est connu du grand public pour ses écrits sur la Vendée, qui ont fait le tour du monde, car traduits en plusieurs langues dont l’anglais, le polonais, l’italien. L’homme est aussi un visionnaire. Il y a une trentaine d’années, il a prédit la crise identitaire majeure qu’allait connaître la France et, au-delà de la pensée, a mis en œuvre un certain nombre d’initiatives pour essayer de transmettre le savoir. Entretien.
Vous êtes connu du grand public mais vous restez discret sur vos origines.
Reynald Secher : Pas du tout. Je suis issu d’une famille de 10 enfants et j’ai eu la chance d’avoir une enfance heureuse et reçu une éducation classique délivrée par ma famille et une instruction par les pères eudiste de l’abbaye Saint-Sauveur de Redon où j’ai été interne dix ans : un souvenir merveilleux d’autant que j’étais, entre autres, conférencier Saint-Vincent de Paul et que j’ai vu la misère de près.
Quant à mon identité, je suis à la fois Breton, Vendéen et Français. La distinction est importante car l’Histoire n’est pas la même, les relations entre les gens sont différentes etc. C’est très riche d’enseignement. Entre autres, j’ai appris et vécu ce qu’était la culture minoritaire, la souffrance que cela entraînait. Quand je vais en Corse, je vis corse, quand je suis dans le Pays basque, je vis basque, quand je vais chez les Cheyennes, je vis cheyenne, quand je suis avec un Pied-Noir, je sais de quoi il parle.
Au niveau universitaire, ma famille voulait que je fasse du droit et moi de l’Histoire : j’ai fait les deux et, comme je m’ennuyais, j’ai fait de l’histoire de l’art, de l’économie, etc. Là encore de très beaux souvenirs, d’autant que j’étais avec une bande d’amis très drôles. En tant qu’étudiant, j’ai aussi beaucoup voyagé notamment dans les pays anglo-saxons et beaucoup travaillé comme distributeur d’affichettes pour le British European Centre (BEC), plongeur, porteur de valises et même directeur de personnel et j’avais 23 ans : une aventure inoubliable.
Vous avez été ensuite enseignant.
Effectivement ce qui, pour moi, a été très riche d’enseignement. Lorsque j’ai commencé à enseigner l’Histoire, en 1983, à Bain-de-Bretagne, à Combourg, le pays de Chateaubriand, puis à Rennes, j’ai été horrifié par le contenu des programmes qui était déjà très orienté idéologiquement. Je me souviens de trois faits précis, trois détails apparemment mais très lourds de signification. Le premier est lié au massacre de Katyn : les livres officiels unanimement disaient que les auteurs de ce crime étaient les nazis alors que nous savions tous que c’étaient les Soviétiques. Cela m’a valu un premier blâme. Deuxièmement, je parlais toujours de nationaux-socialistes pour qualifier les nazis. Nous étions en pleine mitterrandie : j’ai été convoqué par mon directeur qui m’a demandé de ne parler que de nazisme en raison du contexte. Troisièmement, en géographie, nous devions apprendre à nos élèves que la deuxième, voire la première puissance économique au monde, était l’URSS. Les chiffres parlaient d’eux-mêmes. Il suffisait de les commenter, mais les syndicats ne l’entendaient pas comme cela. Vous imaginez la suite.
Est-il vrai que vous avez dû démissionner de l’enseignement ?
Oui, sous la pression des syndicats après la publication de ma thèse sur le génocide des Vendéens. J’ai vécu un véritable calvaire : j’étais traité de tous les noms, diffamé en permanence notamment auprès de mes élèves. Certains enseignants n’hésitaient pas à mon passage à me cracher dessus, à faire le signe nazi. Bref, le cauchemar. Il y a de quoi devenir fou. J’ai résisté une petite quinzaine de jours. En sortant de l’établissement, j’ai pleuré de joie. J’avais vécu l’incroyable, l’impensable, l’inimaginable dans un pays que l’on disait démocratique où trône en grosses lettres sur les frontons des mairies la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». En fait, c’est en démissionnant de l’Éducation nationale que j’ai réalisé ce qu’était la liberté. Je n’étais plus obligé de penser comme ils voulaient que je pense, d’agir comme ils voulaient que j’agisse, d’enseigner comme ils voulaient que j’enseigne, de grandir et de me développer comme ils voulaient que je grandisse et que je me développe.
Mais rapidement je me suis rendu compte que cette liberté avait un prix, le prix de la solitude, de l’exclusion et de l’autosubsistance.
Le hasard a fait que j’ai été recruté par le Président du Conseil régional du Poitou-Charentes, Louis Fruchard, comme directeur de communication, ce qui m’a permis de voir venir les choses. Pendant quatre ans, j’ai découvert un métier exceptionnel, ce qui allait par la suite beaucoup me servir.
Qu’avez-vous fait après cette expérience au Conseil régional ?
Tout d’abord cette expérience m’a permis de mûrir mon projet. Si j’avais gagné ma liberté, il fallait que je la mette au service du plus grand nombre.
Historien de formation et enseignant de cœur, je me suis posé d’innombrables questions notamment sur la transmission de l’Histoire qui, déjà à l’époque, était marginalisée au sein de l’enseignement, et qui connaît aujourd’hui le tragique sort que lui a infligé l’Éducation nationale.
Les murs porteurs de l’Histoire que sont la cartographie, la chronologie, les évènements, et les hommes ont lamentablement, pour des raisons uniquement idéologiques, été troqués pour de l’Histoire thématique sans sens, avec comme finalité exclusive la diffusion d’une idéologie mortifère pensée et imposée par l’État. Peillon a tout dit en la matière.
Après avoir consulté plusieurs amis conscients de l’enjeu à court, moyen et long terme, l’idée de transmettre l’Histoire par la BD s’est imposée naturellement. Il faut savoir qu’une BD historique est lue en moyenne par onze personnes, qu’on la lit plusieurs fois, qu’elle est rarement vendue. En clair, c’est un formidable outil. Comme aucun éditeur n’était intéressé, j’ai monté ma propre maison d’édition. Certes, la diffusion est difficile, mais grâce entre autres à internet on arrive à avoir un certain écho.
Je garderai longtemps en souvenir les moments de doute et d’inquiétude qui ont jonché l’édition de mes premières BD, tout comme je ne remercierai jamais assez une amie, Joëlle Vallier, qui a eu cette idée extraordinaire. Aujourd’hui le pari est réussi, les BD sont devenues d’incroyables traits d’union entre l’enseignant que je suis et les lecteurs. Chaque année, j’ai au moins 160 000 élèves ! Quelle école aurait pu me proposer une classe aussi nombreuse, une classe aussi disparate en termes d’âge (7 à 99 ans) ? Depuis quelques années, des phénomènes nouveaux se passent comme des commandes massives par les comités d’entreprise, les associations culturelles, les écoles notamment hors contrat très sensibilisée à cette question, les paroisses surtout pour nos BD religieuses. On a même des personnes qui passent commande pour faire des dons, entre autres, aux écoles hors contrat, aux bibliothèques, etc.
Nous connaissons aussi vos chantiers de restauration. Les incluez-vous dans votre démarche ?
Vous savez la BD n’est pas le seul moyen de transmettre. J’ai effectivement aussi au niveau du patrimoine monté une association avec des amis : « Mémoire du futur » (Mémoire du Futur, 3, rue de Rennes, 35690 Acigné). Elle œuvre dans trois directions principales : le sauvetage du patrimoine religieux, l’initiation aux métiers du bâtiment, les conférences.
Au niveau du sauvetage du patrimoine religieux, il y a urgence. À titre d’exemple, on assiste à la laïcisation de l’espace dont les cimetières d’où l’on retire les croix. J’ai monté une structure de récupération, ce qui nous a permis de récupérer plus de 700 croix qui ont été réérigées soit chez des particuliers, soit au sein de communes suite à des incidents. À l’heure actuelle, on vient de nous faire don d’une croix de 7 m de haut qu’il faut démonter et remonter, ce que nous allons faire dans les mois à venir.
Quant à l’initiation aux métiers du bâtiment, je la fais à l’occasion de camps d’été pour la construction du mémorial de la Vendée. On apprend aux jeunes tous les métiers liés à la maçonnerie, à la charpente, à la couverture… En vingt ans, j’ai formé ainsi plus de 1 000 personnes qui elles-mêmes en ont formé d’autres. Grâce à cette initiative on a pu sauver un nombre incroyable d’éléments de patrimoine, que ce soit des églises, des chapelles, des arceaux, des calvaires… On a même une jeune qui, dans le cadre des chrétiens d’Orient, grâce à ce qu’elle a appris avec nous, participe sur place à la restauration de lieux de culte dévastés. Croyez-moi, le terrain, la pierre, la chaleur, la fatigue… sont des moyens incroyables pour vivre l’Histoire, la partager, communier avec.
Il faut se préparer à un évènement majeur qui va nous frapper de plein fouet : la vente des chapelles et des églises publiques. Dans le cadre de la laïcité, il me semble évident qu’à terme l’État et les collectivités vont se séparer de tous ces biens. Non seulement il va falloir les racheter mais aussi les entretenir. Et il va falloir de la main-d’œuvre formée prête à intervenir, à gérer des équipes. C’est ce à quoi je les forme.
Pour ce qui est des conférences, en ce siècle de l’oralité, elles sont un excellent moyen de sensibiliser les cœurs. Tous les ans je sillonne un peu plus la France afin de répondre aux demandes auprès des écoles, d’associations de nature diverse, voire même des abbayes. En règle générale, on me sollicite surtout pour ma connaissance de la Vendée, de la résistance aux systèmes totalitaires, des méthodes d’enseignement de l’Histoire, de la situation politique actuelle.
Partout, on se pose les mêmes questions notamment sur notre avenir. Comme je l’explique, il n’y a pas d’avenir sans passé. C’est cela l’identité : savoir d’où l’on vient ; savoir qui nous sommes à l’instant T ; savoir où l’on veut aller ensemble. Bref, tout ce que les tenants du pouvoir exècrent.
Vous êtes aussi conservateur de musée. Là encore c’est la même démarche ?
J’ai eu la chance de pouvoir sauver de la disparition le Musée des guerres de l’Ouest Vendée Chouannerie, à Plouharnel, à l’entrée de la presqu’île de Quiberon, qui était condamné. C’est le seul de cette nature qui existe au monde. C’est à la fois un outil de transmission de connaissance sur cette période, un outil de communication, mais aussi un outil de collectage et de sauvetage. En effet, le grand public connaît peu ou très mal cette période. Après avoir visité ce musée, le visiteur en sort bouleversé, d’autant qu’en l’espace de quelques quarts d’heure il découvre que la Révolution n’est pas ce qu’on lui a appris. Quant au collectage et au sauvetage, bon nombre de personnes ont des objets sur cette période dont ils ne savent que faire. Soit on réussit à les acheter, soit on nous les donne. Les dons sont très nombreux, ce qui nous rend un grand service car le musée est entièrement privé et ne bénéficie d’aucune subvention. À terme, je rêve de créer un grand musée sur la question et je suis d’ailleurs à la recherche d’un lieu
On sent briller chez vous la petite flamme de la grande espérance de Péguy, mais pourquoi continuez-vous à vous battre ?
Comme je vous le disais, je suis issu de cultures minoritaires, ce qui sous-entend un certain nombre de faits tangibles. À titre d’exemple, en tant que Breton, on m’a enseigné une Histoire qui n’était pas la mienne du moins jusqu’en 1532 avec l’impossibilité d’apprendre, dans le cadre de l’enseignement, l’Histoire de la Bretagne. Heureusement, les eudistes étaient attentifs à cela et ont fait le nécessaire, complétant ainsi le travail fait par ma grand-mère maternelle qui était un puits de science.
Grâce à cela, très vite j’ai compris ce qui allait se passer en France : tout n’est qu’une question d’échelle. On est toujours le dominé d’un dominant si l’on n’est pas vigilant : c’est facile surtout si le dominant se veut rassurant.
Nous sommes à la fin d’un cycle qui a commencé en 1789, un cycle de déconstruction systématique au nom de l’homme nouveau. Pour créer cet homme nouveau, il n’y a que deux solutions : la régénération ou la mort. C’est ce qui explique les grands massacres commis par la Révolution et le génocide des Vendéens, mais ce n’est pas le seul, et les crimes de masse commis par les régimes similaires : communiste, fasciste, nazi etc.
Bon nombre de nos hommes politiques, sans qu’ils le sachent d’ailleurs pour certains, se situent dans le sillage de la Révolution. Certes, on ne peut plus tuer physiquement à l’heure actuelle, mais on a créé une autre forme de mort, la mort sociale pour ce qui est différent. On est, il faut en avoir conscience, dans une dictature molle qui annihile complètement nos libertés et qui se reproduit par un système incroyablement efficace, dont l’arme absolue est la cooptation à grande échelle mise en place en 1945 dans bon nombre de domaines notamment l’enseignement. Pourquoi 90 % des enseignants sont à gauche ? Personne ne se pose la question et pourtant. À l’heure actuelle, il est impossible pour moi d’accéder aux médias à l’exception des nouveaux médias privés. Pourquoi ? Regardez comment sont traités des hommes d’exception comme Philippe de Villiers ou des journalistes de talent comme Éric Zemmour. La réponse est toujours la même : parce que toutes ces structures sont confisquées par ceux qui veulent imposer l’homme unique, qui pense petit.
Cependant, ce système a une limite que nous voyons aujourd’hui mais lourde de conséquences. À force de coopter par rapport à la carte politique ou syndicale, pour maîtriser les idées et surtout éviter tout écart, ils ont tué l’intelligence. Ce phénomène n’est pas nouveau et les conséquences sont toujours les mêmes : au niveau militaire, les défaites de 1914 et de 1940, sans oublier la décolonisation ratée ; au niveau politique, la succession de régimes ; au niveau économique, le déclassement, le chômage de masse, l’imposition confiscatoire ; au niveau culturel, la pensée unique, etc.
Nous sommes les descendants d’une civilisation extraordinaire dont les racines sont judéo- helléno-chrétiennes. Notre devoir est la transmission pour continuer à être, pour que nos enfants soient.
Vous nous annoncez la fin d’un cycle, mais qu’en sera-t-il après ?
La société de demain, c’est la jeunesse d’aujourd’hui et nous avons vraiment une jeunesse formidable avec laquelle tout est possible. Cette jeunesse est en train de briser ce que la gauche a fait. Cette jeunesse, sans tabou, sans idéologie, est bourrée de bon sens. Ces jeunes sont des survivants, il ne faut pas l’oublier, qui sont passés à travers les mailles de l’avortement.
Si un monde meurt c’est qu’il y en a un autre en devenir, un autre à penser et à construire. C’est aujourd’hui qu’il se fabrique. Pour qu’il soit en harmonie, il faut qu’il soit enraciné. C’est pour ça que je me bats comme je me bats.