Cette année encore, pour la Toussaint, les Guides aînées et les Routiers (Guides et Scouts d’Europe) se sont rendus en pèlerinage à Paray-le-Monial et Vézelay. Quelques jours après, l’abbé Thierry Blot (prêtre auxiliaire à Notre-Dame de Bourg-en-Bresse) a rendu visite à Bernard, RS (« Routier Scout ») devenu hémiplégique. Il nous rapporte cette entrevue pleine de foi et d’espérance pour les jeunes catholiques de notre temps, engagés dans le scoutisme.
Bernard, 72 ans, m’accueille avec un sourire étincelant trois jours après la Toussaint. Hémiplégique à la suite d’un accident du travail, il est cloué au lit depuis quinze ans. À son chevet, une photographie de la basilique de Vézelay rouge sang dans le soleil couchant de l’automne, son foulard marron, couleur douce et rassurante de la terre de France, orné de l’insigne RS (« Routier Scout »), et le bâton fourchu qui lui a été remis le jour de son Départ.
Dès qu’il m’aperçoit, il s’exclame : « Ils tiennent bon la barre ! Rien n’est perdu ! » – « De qui voulez-vous parler ? Je ne vous savais pas marin au long cours ! » – « Mais non, c’est une métaphore. Les Guides et Scouts d’Europe, ils tiennent bon la barre du navire ! Rien n’est perdu ! »
Puis, il m’explique qu’il a vu sur internet les pèlerinages des Guides-Aînées à Paray-le-Monial et des Routiers à Vézelay. Dans son regard, j’ai deviné qu’il avait « marché » et prié avec eux en égrenant son chapelet, et qu’il avait offert ses souffrances pour ces jeunes, lui, le scout désormais « enfermé » dans un corps blessé par la paralysie.
L’expression : « rien n’est perdu », évoque son visage souvent marqué par l’anxiété, parfois mêlé de larmes, de la souffrance d’un Vendredi Saint, face au spectacle d’une jeunesse abandonnée aux loups de la violence, de la drogue et de l’hédonisme, et puis cette douleur lancinante qui blesse son âme de baptisé à la vue du spectacle affligeant d’une partie de l’Église servilement alignée sur l’esprit du monde moderne.
Je savais que, dans la tempête des années 1970-90, il avait vu s’écrouler son diocèse et sa paroisse par pans entiers, victimes d’une pastorale dite de l’enfouissement… mais il avait tenu bon la barre de son navire de baptisé, une résistance spirituelle puisée à la source de la Vie, cette Sainte Eucharistie, que je lui porte désormais chaque semaine. En 2016, il avait lu ce que le Cardinal Robert Sarah avait dit aux Routiers :
« Vous êtes dans la “branche rouge” du scoutisme, et moi, je suis en quelque sorte dans la “branche rouge” de l’Église, vous, en tant que Routier, et moi en tant que Cardinal de la Sainte Église romaine ! Vous le savez, cette couleur rouge est le Sang du Christ et des martyrs, que le cérémonial du départ Routier évoque en ces termes : “Reçois la couleur rouge, couleur de la Route, symbole d’amour et de sang, pour que tu n’épargnes ni l’un, ni l’autre au cours de ton existence. C’est pourquoi, Routier, reste fidèle et va de l’avant !” »
C’est ainsi que Bernard continuait à suivre le Seigneur qui l’avait conduit jusqu’ici… Il reprit la parole : « Et savez-vous pourquoi ils tiennent bon la barre ? Parce qu’ils sont fidèles ! Et tant qu’ils seront humbles, ils seront fidèles ! Cette année, le Père Abbé de Saint-Wandrille, Dom Jean-Charles Nault, dans son admirable homélie, a dit aux Routiers :
“Soyez humbles. L’humilité est la façon d’agir de Dieu lui-même. Elle est la voie choisie par le Christ…N’ayez pas peur d’apparaître différents !… Ne suivez pas la voie de l’orgueil, mais celle de l’humilité ; allez à contre-courant ; n’écoutez pas les voix intéressées et séduisantes qui, de toutes parts, diffusent aujourd’hui des modèles de vie basés sur l’arrogance, la violence, le pouvoir et le succès à tout prix…, l’apparence et la possession au détriment de l’être.ˮ »
Alors, Bernard évoqua Jean-Charles de Coligny, l’initiateur de Vézelay, et d’autres figures de chefs et de conseillers religieux déjà parvenus à la Maison du Père : le Père Pierre Gaudray, Bernard You qui formait un inséparable tandem avec le Père Edmond Barbotin, le Père André Manaranche… Enfin, il se contenta de murmurer la dernière strophe de l’Appel de la Route : « Quand la nuit aura dans les bois fait le silence, tu t’endormiras sans émoi, plein d’espérance, et la Voix du Seigneur en toi sera ta récompense ». Puis il se tut, et je compris que je devais prendre congé dans un sourire.
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