Sainte Hélène, entre ténèbre et lumière

Publié le 18 Août 2017
Sainte Hélène, entre ténèbre et lumière L'Homme Nouveau

L’historiographie romaine n’a jamais été tendre envers les femmes, quand elles osaient s’ingérer dans les affaires de l’empire. Les plus grandes figures féminines, exceptions faites de quelques exemples de vertu exceptionnelle, telles Lucrèce ou Portia, l’épouse de Brutus, ont été soit salies soit occultées, au point que, des compagnes ou des mères associées à la pourpre par les Césars, il ne demeure que des ombres. Hélène, mère de Constantin, n’a pas échappé à ce sort. Pourtant, l’Augusta a contribué à changer la face du monde.

Vers 272, au retour de l’expédition menée par l’empereur Aurélien contre Zénobie, reine de Palmyre, un jeune officier romain, Constance Chlore, déjà atteint d’une tuberculose qui l’emporterait quelques décennies plus tard, serait venu se soigner à Drépane, cité thermale de Bithynie. Il y aurait fait connaissance d’une fille d’auberge du nom d’Hélène, accueillante aux visiteurs mais assez jeune et belle pour qu’il s’en entiche et l’emmène dans ses bagages, contractant avec elle l’un de ces concubinages permis aux militaires légalement empêchés de se marier, qui n’engageait l’homme à rien, ni envers la femme ni envers les enfants qu’elle pouvait lui donner.

Une jeune femme chrétienne

Telle est aujourd’hui la version la plus communément admise des origines de la future impératrice, celle que privilégie Hélène Yvert-Jalu, universitaire, orthodoxe, iconographe qui a donné l’une des très rares biographies de sa patronne (L’impératrice sainte Hélène, à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Téqui. 215 p .18,90 €)

Il existe cependant une autre tradition, plus romanesque mais bien moins attestée, selon laquelle la rencontre aurait eu lieu non dans la Turquie actuelle mais en Grande-Bretagne, alors que Constance venait d’y être nommé César. Hélène n’aurait pas été une servante occasionnellement prostituée mais une princesse celte dont la beauté et les talents de cavalière auraient conquis le Romain.

Quoiqu’il en soit, le seul détail important de l’affaire est que cette jeune femme était chrétienne. En cette fin du IIIe siècle, cela n’avait plus rien d’exceptionnel. La femme et la fille de Dioclétien comptaient elles-mêmes parmi les catéchumènes de la capitale impériale de Nicomédie. L’exceptionnel, en revanche, fut que cette concubine prit assez d’ascendant sur l’homme avec lequel elle vivait pour l’intéresser à sa foi et, sans l’amener à se convertir, l’inciter à montrer une sympathie agissante envers sa religion. L’on en eut la démonstration lorsque, la persécution déclenchée par les édits de 303-304, la dernière et la plus terrible de toutes, ne trouva pratiquement aucun écho dans les provinces occidentales, Gaule, Espagne, Rhénanie et Bretagne, que gouvernait désormais Constance.

Pourtant, à ce moment, Constance, promis à la pourpre, avait dû, depuis longtemps, se séparer de sa compagne afin de contracter l’union dynastique qui ferait de lui le gendre du second empereur, Maximien. Abandonnée, quoique largement installée dans une villa de Trêves et pourvue de tout le nécessaire, Hélène avait dû aussi se séparer de son fils unique, Constantin, envoyé à Nicomédie où sa présence assurerait Dioclétien de la loyauté d’un trop brillant second. Elle ne pouvait désormais compter que sur l’improbable fortune de l’adolescent pour la tirer de l’obscurité où elle vivait.

In hoc signo vinces !

L’on connaît la suite. Écarté, contre les usages impériaux, de la pourpre, le jeune Constantin, en 311, avait décidé de s’emparer de force d’un pouvoir qu’il estimait lui revenir de droit. Quittant la Gaule à la tête de légions païennes qui, comme lui, vénéraient le Soleil invaincu, il avait marché sur Rome dans l’intention d’en chasser son rival, Maxence. La partie était loin d’être gagnée lorsque, à quelques jours de la Ville, Constantin avait eu la vision d’une croix gigantesque flamboyant dans le ciel sous laquelle se lisait : « In hoc signo vinces ! » Par ce signe, tu vaincras !

Les historiens ont beaucoup glosé sur la réalité de l’événement, y voyant l’opportune invention d’un prince superstitieux qui mettrait bientôt à vénérer saint Michel la même ferveur qu’il avait témoignée à Apollon. Reste qu’arborer l’emblème chrétien, alors qu’il commandait des troupes païennes, n’avait aucune raison d’être politique ou stratégique, tant s’en faut et que Constantin semble avoir vraiment pris, comme le ferait Clovis plus tard, le pari de s’appuyer sur le Dieu de sa mère. À quelques jours de là, en des circonstances assez providentielles, il écrasait Maxence au pont Milvius, dans la banlieue de Rome et le malheureux trouvait une fin sans gloire, noyé dans le Tibre. En action de grâce, Constantin, en 313, signa l’édit de Milan qui légalisait enfin le culte catholique et offrait au pape le palais des Laterani comme résidence officielle.

Ave, Crux, spes unica

La suite, hélas, ne serait pas aussi belle que le début le laissait espérer. Protecteur de l’Église, Constantin ne se ferait pas baptiser, sinon à son lit de mort, et dans la confession arienne. Convaincu par son épouse, Fausta, que Crispus, le fils de sa première union, conspirait contre lui, il le ferait exécuter sans état d’âme, avant, ayant découvert les mensonges de sa femme, désireuse de garder le pouvoir pour ses propres enfants, de la tuer à son tour, peut-être sur le conseil d’Hélène qui haïssait cette bru trop bien née.

De cette suite de drames digne des Atrides allait pourtant sortir un souverain bien puisque la vieille Augusta, bourrelée de remords, partirait en pèlerinage en Terre Sainte afin d’expier ses fautes et celles de son fils.

C’est au cours de ce voyage qu’elle découvrirait, ayant entrepris de véritables recherches archéologiques, les vestiges des sanctuaires chrétiens primitifs, détruits sous Hadrien, et la sainte Croix.

L’Église  ne s’y est pas trompée qui n’a gardé d’Hélène que le souvenir de ses pénitences, et de cette invention miraculeuse de la relique par excellence.

Ave, Crux, spes unica

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