Après la prière eucharistique solennelle se terminant par le « Per Ipsum », viennent les rites préparatoires à la communion : Pater, fraction du pain et baiser de paix. Le Pater qui prolonge la louange et la supplication propitiatoire de la prière eucharistique, nous a été donné sous deux formes. Alors que saint Matthieu insère la Prière du Seigneur dans le vaste ensemble du Sermon sur la montagne et dans le contexte plus précis d’une polémique avec les Pharisiens, saint Luc place le Notre Père dans le contexte de la prière personnelle de Jésus. Entendant nous y faire participer, il nous conduit ainsi à l’intérieur même du dialogue intra-trinitaire, hissant pour ainsi dire nos détresses humaines jusqu’au cœur de Dieu. On voit par là combien le Notre Père doit véritablement nous transformer de l’intérieur et nous préparer dignement à recevoir Jésus hostie.
On appelle Dieu Notre Père. Seule la révélation judéo-chrétienne le fait et peut le faire. Le Dieu transcendant et inaccessible de l’Ancien Testament, et à plus forte raison le Dieu trinitaire du Nouveau Testament, ne nous apparaît jamais comme un Dieu lointain, comme le Dieu des philosophes, qui ne s’occuperait plus de sa créature une fois celle-ci sortie et façonnée par lui du néant. Au contraire, la Bible nous présente Dieu comme proche de son peuple. Dès l’Ancien Testament, Dieu s’annonçait comme l’Emmanuel, « Dieu avec nous ». Cette paternité de Dieu, revendiquée d’abord pour Israël, deviendra de plus en plus une relation personnelle, préparant le monde à l’Incarnation. Ce n’est pas pour rien que le Notre Père est universellement chanté dans la grande prière de l’Église, des Laudes aux Vêpres. Ainsi, saint Benoît recommande-t-il de le réciter en raison des épines de scandale.
Le Pape insiste particulièrement sur la demande du pardon qui demeure intimement liée à celle du pain quotidien, car le pain dont nous avons le plus besoin est certainement le pardon des péchés. Pour vivre, nous avons certes besoin de pain, mais surtout de pardon. Et ce pardon de Dieu, nous devons le mendier. Ainsi serons-nous prêts à recevoir Jésus. Mais sachons bien que le pardon ne nous sera accordé que si nous-mêmes, auparavant, avons su pardonner. Pardon qui n’est jamais facile et même quelquefois héroïque, mais qui est absolument nécessaire. C’est pourquoi il est aussi lié à la demande de la délivrance du mal. Cette prière du Pater est prolongée par celle du « Libera » : pardonnés, on peut demander la paix du Seigneur sans laquelle aucune fraternité n’est possible. Cette paix est directement demandée à l’Agneau de Dieu. L’Agneau, terme vetero-testamentaire par excellence, se retrouve surtout dans l’Apocalypse où il est mentionné 30 fois. Ce dernier livre de la Bible apparaît bien comme une révélation du Christ à son Église, épouse resplendissante du Verbe de Dieu, qui est le seul Fidèle, le Vrai par excellence, Lui, l’Agneau immolé et toujours debout. De l’Exode à l’Apocalypse, en passant par Isaïe et saint Paul, l’Agneau est la grande image de la Rédemption.
Enfin suit la fraction du pain qui depuis les temps apostoliques est l’un des noms de l’Eucharistie. Que l’on songe aux disciples d’Emmaüs. La fraction du pain fut en effet le geste révélateur qui permit aux disciples de reconnaître leur Maître. Que Marie nous apprenne à ne jamais oublier la grande prière que nous a enseignée Jésus et qui est aussi la prière avec laquelle en tant qu’homme il priait Dieu son Père. Il n’y a pas mieux pour nous préparer à la communion eucharistique et par suite à la vie d’union avec Dieu et avec nos frères.
PAPE FRANÇOIS
AUDIENCE GÉNÉRALE
Place Saint-Pierre
Mercredi 14 mars 2018
Chers frères et sœurs, bonjour!
Nous poursuivons la catéchèse sur la Messe. Lors de la Dernière Cène, après que Jésus ait pris le pain et la coupe du vin, et qu’il eut rendu grâce à Dieu, nous savons qu’il «rompit le pain». C’est à cette action que correspond, dans la liturgie eucharistique de la Messe, la fraction du Pain, précédée par la prière que le Seigneur nous a enseignée, c’est-à-dire le «Notre Père».
C’est ainsi que commencent les rites de communion, en prolongeant la louange et la supplique de la Prière eucharistique par la récitation communautaire du «Notre Père». Ce n’est pas l’une des nombreuses prières chrétiennes, mais c’est la prière des enfants de Dieu: c’est la grande prière que Jésus nous a enseignée. En effet, nous étant remis le jour de notre baptême, le «Notre Père» fait retentir en nous les mêmes sentiments qui furent ceux de Jésus Christ. Quand nous prions avec le «Notre Père», nous prions comme Jésus priait. C’est la prière qu’a faite Jésus, et il nous l’a enseignée; quand les disciples lui ont dit: «Maître, enseigne-nous à prier comme tu pries». Et Jésus priait ainsi. Il est si beau de prier comme Jésus! Formés à son enseignement divin, nous osons nous adresser à Dieu en l’appelant «Père», parce que nous sommes renés comme ses enfants à travers l’eau et l’Esprit Saint (cf. Ep 1, 5). Personne, en vérité, ne pourrait l’appeler familièrement «Abbà» — «Père» — sans avoir été engendré par Dieu, sans l’inspiration de l’Esprit, comme l’enseigne saint Paul (cf. Rm 8, 15). Nous devons penser: personne ne peut l’appeler «Père» sans l’inspiration de l’Esprit. Combien de fois des gens récitent le «Notre Père», mais sans savoir ce qu’ils disent. Car en effet, c’est le Père, mais est-ce que tu sens que quand tu dis «Père», Il est le Père, ton Père, le Père de l’humanité, le Père de Jésus Christ? As-tu un rapport avec ce Père? Quand nous récitons le «Notre Père», nous nous mettons en liaison avec le Père qui nous aime, mais c’est l’Esprit qui nous met en liaison, qui nous donne ce sentiment d’être des enfants de Dieu.
Quelle meilleure prière que celle enseignée par Jésus peut nous disposer à la communion sacramentelle avec Lui? Outre que pendant la Messe, le «Notre Père» est récité, le matin et le soir, pendant les laudes et les vêpres; de cette manière, l’attitude filiale envers Dieu et de fraternité avec notre prochain contribue à donner une forme chrétienne à nos journées.
Dans la prière du Seigneur — dans le «Notre Père» — nous demandons notre «pain quotidien», dans lequel nous apercevons une référence particulière au Pain eucharistique, dont nous avons besoin pour vivre comme enfants de Dieu. Nous implorons aussi «le pardon de nos offenses», et pour être dignes de recevoir le pardon de Dieu, nous nous engageons à pardonner ceux qui nous ont offensés. Et cela n’est pas facile. Pardonner les personnes qui nous ont offensés n’est pas facile; c’est une grâce que nous devons demander: «Seigneur enseigne-moi à pardonner comme tu m’as pardonné». C’est une grâce. Nous ne pouvons pas le faire avec nos forces: pardonner est une grâce de l’Esprit Saint. Ainsi, alors qu’il ouvre notre cœur à Dieu, le «Notre Père» nous dispose aussi à l’amour fraternel. Enfin, nous demandons aussi à Dieu de «nous délivrer du mal» qui nous sépare de Lui et nous divise de nos frères. Comprenons bien que ce sont des requêtes très adaptées à nous préparer à la communion (cf. Présentation générale du Missel romain, n. 81).
En effet, ce que nous demandons dans le «Notre Père» est prolongé par la prière du prêtre qui, au nom de tous, supplie: «Délivre-nous, Seigneur, de tout mal et donne la paix à notre temps». Et elle reçoit ensuite une sorte de sceau dans le rite de la paix: en premier lieu, on invoque du Christ que le don de sa paix (cf. Jn 14, 27) — si différente de la paix du monde — fasse grandir l’Eglise dans l’unité et dans la paix, selon sa volonté; puis, à travers le geste concret échangé entre nous, nous exprimons «la communion dans l’Eglise ainsi que leur amour mutuel avant de communier au sacrement» (PGMR, n. 82). Dans le rite romain, l’échange du signe de paix, placé dès l’antiquité avant la communion, a pour objectif la communion eucharistique. Selon l’avertissement de saint Paul, il n’est pas possible de communier à l’unique Pain qui fait de nous un seul Corps dans le Christ, sans nous reconnaître pacifiés par l’amour fraternel (cf. 1 Co 10, 16-17; 11, 29). La paix du Christ ne peut pas s’enraciner dans un cœur incapable de vivre la fraternité et de la recomposer après l’avoir blessée. C’est le Seigneur qui donne la paix: Il nous donne la grâce de pardonner ceux qui nous ont offensés.
Le geste de la paix est suivi de la fraction du Pain, qui dès les temps apostoliques a donné nom à toute la célébration de l’Eucharistie (cf. PGMR, n. 83; Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1329). Accompli par Jésus au cours de la Dernière Cène, rompre le Pain est le geste révélateur qui a permis aux disciples de le reconnaître après sa résurrection. Rappelons les disciples d’Emmaüs, qui, en parlant de la rencontre avec le Ressuscité, racontent «qu’ils l’avaient reconnu lors de la fraction du pain» (cf. Lc 24, 30-31.35).
La fraction du Pain eucharistique est accompagnée par l’invocation de l’«Agneau de Dieu», la figure avec laquelle Jean-Baptiste a indiqué en Jésus «celui qui enlève le péché du monde» (Jn 1, 29). L’image biblique de l’Agneau parle de la rédemption (cf. Ex 12, 1-14; Is 53, 7; 1 P 1, 19; Ap 7, 14). Dans le Pain eucharistique, rompu pour la vie du monde, l’assemblée en prière reconnaît le véritable Agneau de Dieu, c’est-à-dire le Christ Rédempteur, et elle le supplie: «Prends pitié de nous… Donne-nous la paix».
«Prends pitié de nous», «Donne-nous la paix» sont des invocations qui, de la prière du «Notre Père» à la fraction du Pain, nous aident à disposer notre âme à participer au banquet eucharistique, source de communion avec Dieu et avec nos frères.
N’oublions pas la grande prière: celle que Jésus a enseignée, et qui est la prière avec laquelle Il priait le Père. Et cette prière nous prépare à la communion.