Dans une démocratie érigeant le « pluralisme » au rang de vertu, le Candide du XXIe siècle s’attendrait à assister à de libres joutes intellectuelles. Las, dans la France de 2016, les sujets glissants pullulent. André Perrin, philosophe, dénonce « l’art perdu du débat ». Dans Scènes de la vie intellectuelle en France, l’auteur regrette l’impossibilité pratique de débattre sereinement. Mêlant rigueur universitaire et bonheur d’écriture, son ouvrage est constitué d’articles rédigés entre 2008 et 2015.
Quelques illustrations des vicissitudes du débat aujourd’hui ? Les procès d’intention, d’abord : on ne sort pas impunément des sentiers battus. Exemple avec Sylvain Gouguenheim, professeur à l’ENS Lyon, et auteur en 2008 d’Aristote au Mont Saint-Michel (Seuil, 278 p., 21,30 €). Cet ouvrage lui valut les quolibets d’un certain milieu universitaire : « raciste », « nauséabond » ! La raison ? Gouguenheim avait remis en cause le dogme de la transmission de l’héritage grec via le monde arabo-musulman. Pourtant, la plupart des pétitionnaires n’avaient pas encore reçu l’ouvrage incriminé…
Benoît XVI fit les frais d’une paresse intellectuelle analogue. Son discours de Ratisbonne, en 2006, fut immédiatement taxé d’islamophobie, alors que l’islam n’était traité qu’à la marge du texte. La plupart des commentateurs ne l’avaient tout simplement pas lu.
Autre plaie : la disqualification par la « phobie », technique éculée et néanmoins efficace, comme l’ont montré les évènements de 2013.
Derrière ces techniques, se cache la volonté de renforcer un entre-soi intellectuel. Ainsi Marcel Gauchet, invité aux Rendez-vous de Blois en 2014, fut décrété persona non grata par deux jeunes intellectuels « rebelles » (Édouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie). La faute de Gauchet : avoir laissé s’exprimer, dans sa revue, des opposants au « mariage » homosexuel. Pourtant, dans un autre numéro, il avait donné la parole au camp d’en face. Mais c’en était déjà trop. D’ailleurs, pour ses détracteurs : « En France, “intellectuel de droite” reste un oxymore, mieux : une impossibilité ». André Perrin de conclure, parodiant Saint-Just : « pas d’inclusion pour les amis de l’exclusion ! ».
S’attardant également sur des exemples de reductio ad hitlerum, de manipulation du langage (le masculin serait « sexiste ») ou de dénis du réel (justification du jihâd par la misère sociale), André Perrin livre là un ouvrage salutaire et donnant une seule envie : rentrer dans l’arène et débattre !