Alors que la France s’apprête à élire un nouveau Président de la République, avec une campagne électorale aux soubresauts que l’on connaît, les éditions Climats viennent de republier un petit livre au titre iconoclaste : Note sur la suppression générale des partis politiques. Son auteur n’est ni un thuriféraire de l’Action française, ni un de ces populistes si constamment dénoncés aujourd’hui. Bien, au contraire, il s’agit d’une philosophe et pas de n’importe laquelle puisque cette « Note » est signée Simone Weil.
Dans l’avant-propos à cette édition, Jacques Julliard, chrétien de gauche qui officie entre Marianne et une page hebdomadaire du Figaro, écrit d’emblée : « Cette Note, par sa concision, sa véracité et l’émotion qui la sous-tend, doit être considérée comme partie intégrante du testament de Simone Weil. »
Malgré ce si bon départ, le préfacier ne peut s’empêcher de ralentir aussitôt et de nous inviter d’un même mouvement, bien que sans le dire, à ne pas prendre au mot l’auteur. Pour Jacques Julliard, en effet, « Sans doute eût-il mieux valu ne pas parler de “suppression”, qui a une connotation autoritaire, voire fasciste ». Mais, alors, sans doute eût-il fallu ne pas même écrire cette Note, car la pensée de Simone Weil s’appuie sur des mots choisis à dessein, ne répondant nullement au hasard et encore moins à l’imprécision. Toute la courte vie de la philosophe témoigne de son très haut degré d’exigence, porté à un tel point d’incandescence qu’elle en a été emportée.
De la même manière, le lecteur sera peut-être étonné de voir si systématiquement ramenée Simone Weil à un refus de la « bureaucratie ». Julliard voit en cette Note « une déclaration de guerre à la bureaucratie tentaculaire qui nous étouffe ». Pour un peu, on imaginerait Simone Weil en militante libérale luttant contre le nombre de fonctionnaires. Plus loin, il enfonce le clou, en définissant l’esprit de parti : « c’est-à-dire la pensée bureaucratique ».
Contre son préfacier hésitant, Simone Weil écrit dans sa petite Note que « Le fait qu’ils (les partis) existent n’est nullement un motif de les conserver ». Elle estime qu’il faut donc examiner si le bien qu’ils peuvent contenir ou procurer l’emporte sur le mal. Car, « le mal des partis politiques », pour elle, « saute aux yeux ». Ce n’est déjà plus une question, mais un problème à résoudre.
Tout son regard se porte dès lors à évaluer au regard des critères de vérité, de justice et d’utilité publique, la part de bien éventuel procuré par les partis politiques. Son raisonnement est serré et son jugement est sévère. Concernant le premier, elle établit, par exemple, les trois caractères essentiels d’un parti politique. C’est « une machine à fabriquer de la passion collective » ; c’est « une organisation construite de manière à exercer une pression collective » et, enfin, la première et la dernière fin d’un parti « est sa propre croissance ». De ce fait, tout parti est par essence « totalitaire » et s’il ne l’est pas en fait, c’est qu’il rencontre autour de lui des aspirants au même totalitarisme ou des équilibres qu’il ne peut abattre. C’est pourquoi la philosophe conclut très clairement : « Il est douteux que l’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques. »
Dans ce court livre, une « note » donc, Simone Weil ne dit pas par quoi remplacer le régime des partis. Il faut certainement relier ce texte à son livre L’Enracinement pour saisir toute la portée de ce qu’elle écrit au sujet de sa suppression. Elle ne peut s’empêcher, non plus, de critiquer la discipline de l’Église, mettant sur un même plan obéissance en matière de foi ou de vérités surnaturelles et embrigadement tout humain. Malgré tout, force est de constater qu’elle a posé un premier jalon sur ce sujet tabou dont André Breton, dans un texte inséré dans cette édition, écrit très justement qu’il « ne peut se concevoir qu’au terme d’une assez longue entreprise de désabusement collectif ». Nous n’en sommes peut-être plus très loin…
Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques, Climats, 80 p., 6 €.