[Ce texte est la version longue d’un article à paraître dans notre prochain numéro]
Le sommet pour la protection des mineurs a rassemblé du 21 au 24 février quelque 114 représentants de conférences épiscopales, 14 représentants d’Églises orientales et 22 religieux et religieuses supérieurs de congrégations. À la fois sommée de s’attaquer réellement au mal qui la ronge et accusée d’hypocrisie ou d’aveuglement dès qu’elle se prononce, l’Église saura-t-elle se sortir du bourbier ? La prise de conscience de la réalité des abus sur les mineurs sera-t-elle l’occasion de rappeler l’incompatibilité du sacerdoce avec l’homosexualité ?
Bilan et analyse de ce sommet avec François Vayne, journaliste et directeur du Service Communication du Grand Magistère de l’Ordre du Saint-Sépulcre.
Quelques jours après la rencontre entre le Pape et les présidents des conférences épiscopales, quel bilan tirez-vous de ces échanges ? Apportent-ils quelque chose de véritablement nouveau par rapport à ce que le pape François, et Benoît XVI avant lui, avaient déjà déclaré ?
Avec quelques membres de l’équipe de communication du Saint-Siège, j’ai pu suivre de l’intérieur le sommet historique organisé par le Pape François pour la protection des mineurs, à la fin du mois dernier. Il est difficile de faire un bilan car cette rencontre marquait, à mon avis, le début d’une nouvelle ère. Auparavant, disons depuis une dizaine d’années, les drames liés aux abus sexuels commis par des membres du clergé avaient été traités en fonction des pays où les cas se présentaient – Irlande, États-Unis, Australie, Chili… –, dans les Églises locales, sans que toutes les conférences épiscopales se sentent concernées. Pour la première fois, les représentants de tous les évêques du monde et des responsables de congrégations religieuses se sont réunis autour du Saint-Père, prenant le temps d’écouter des témoignages poignants de victimes, priant ensemble dans un esprit pénitentiel, et cherchant des solutions à la lumière de leurs échanges. Le ton des discussions était très libre, comme par exemple quand une religieuse africaine a dit au successeur de Pierre, à propos des abus au Chili : « Je t’admire, frère François, d’avoir pris le temps, en tant que vrai jésuite, de discerner, et d’avoir été humble pour changer d’avis, t’excuser et prendre des mesures. »
Contrairement à l’écho déformant que certains médias inquisiteurs ont voulu répandre, je crois qu’une œuvre de transparence et de vérité commence à s’accomplir en réponse aux crimes immondes qui ont dévasté la vie de tant d’innocents. Mgr Mark Benedict Coleridge, archevêque de Brisbane, lors de l’homélie de la messe de clôture, a parlé d’une « révolution copernicienne » à propos de « la découverte que ceux qui ont été abusés ne tournent pas autour de l’Église mais l’Église autour d’eux ». Il a invité à reconnaître, dans les personnes victimes, le Christ crucifié qui crie dans les ténèbres, « l’impuissant autour de qui l’Église tourne toujours, l’impuissant dont les cicatrices brillent comme le soleil ». Il me semble que nous avons été témoins d’un tournant et non d’une fin de partie : l’Église renouvelée refuse désormais de couvrir les abus et cherche des réponses concrètes pour l’avenir, à partir d’une liste de vingt et un points de réflexion établie par le successeur de Pierre. Allant au-delà de la rupture de confiance causée par des échecs successifs et massifs, les évêques ont pris conscience de leur responsabilité collective face à un défi complexe et multiforme, sans précédent, qui nécessite une collégialité plus intense, à travers le soutien mutuel et la mise en commun d’expériences.
Il est clair que des forces obscures au service de la pensée unique dominante utilisent la crise pour délégitimer le clergé catholique – fermer les séminaires, détruire le célibat sacerdotal et interdire le secret de confession. Cependant l’Esprit Saint se sert de ces évènements pour offrir une grâce de conversion à l’Église, afin qu’elle puisse encore mieux remplir sa mission à l’avenir. Comme le Pape l’a fait remarquer, dans son discours qui concluait le sommet : « Le meilleur résultat et la plus efficace résolution que nous puissions offrir aux victimes, au peuple de la Sainte Mère Église et au monde entier, c’est l’engagement à une conversion personnelle et collective. » Notre petite conversion personnelle peut être instrument de Dieu pour le monde, même si cela ne fait pas les grands titres !
Le Pape a souhaité rassembler les présidents des conférences épiscopales partout dans le monde. Ont-ils tous répondu à l’appel ?
D’après le Père Federico Lombardi, modérateur du sommet, les rares présidents qui ont eu un empêchement ont dépêché un représentant. Il n’a pas entendu parler de défections. 114 représentants de conférences épiscopales étaient là, majoritairement non-européens, ainsi que 14 responsables d’Églises catholiques orientales, quelques évêques ne dépendant d’aucune conférence épiscopale, 22 religieux et religieuses – supérieurs généraux et supérieures générales – ainsi qu’une dizaine de représentants de la Curie romaine.
Quels sont pour vous les moments clés de ces quatre jours de rencontre ?
Des victimes étaient physiquement présentes pendant la rencontre. La dimension incarnée de leur souffrance a profondément marqué l’assemblée, spécialement pendant les deux temps de prière quotidiens. Nous avons tous pleuré par exemple quand une victime a raconté les abus subis depuis son adolescence… Parmi les autres moments forts, je retiens les trois interventions publiques féminines de ce sommet, en particulier l’intervention de Linda Ghisoni, du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, à la suite de laquelle le Pape prit spontanément la parole, le 23 février, déclarant que « la femme est l’image de l’Église qui est femme, est épouse, est mère ». Selon moi, c’est comme s’il avait voulu nous dire, à l’occasion de cette crise, que les femmes sauveront l’Église, qu’elles enfanteront de nouveau un peuple de l’espérance. Elles empêchent en effet l’Église de ressembler à une organisation syndicale, en ce sens elles sont un rempart au « fléau du cléricalisme » dénoncé par François, cette expression de la volonté de puissance masculine qui est un terrain fertile à toutes les formes d’abus de pouvoir. Le prêtre doit être au service spirituel de la communauté dont il fait partie, et non au-dessus d’elle comme un manager préoccupé de son one-man show. De fait, les leaders de l’Église venus du monde entier ont pris conscience, durant ces quatre jours, que la solution à la crise passe par un changement de mentalité : il s’agit de démasquer partout le cléricalisme, reconnaissant que « l’ennemi est à l’intérieur », selon l’expression du cardinal Rubén Salazar Gomez, archevêque de Bogota. Symbolisée par le cardinal Seán Patrick O’Malley, président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs – qui se présentait aux journalistes en simple habit franciscain, sans ses attributs cardinalices – cette Église abandonne les signes du pouvoir et de la richesse, désireuse de devenir, à l’image de la Pietà, source de tendresse et d’empathie. « L’Église doit vraiment être la Pietà, brisée dans la souffrance, consolant et enveloppant dans l’amour, orientant vers la tendresse divine au milieu des douleurs de la désolation », a souhaité notamment le cardinal Blase Cupich, archevêque de Chicago, l’un des principaux artisans de cette réunion internationale. Dans la dynamique divine le mal ne triomphe jamais, il est transformé en une opportunité de purification, voilà pourquoi ce sommet qui a largement été présenté à l’extérieur, dans la presse, comme un « semi-échec », sera au regard de l’histoire une date clé du profond renouveau de l’Église catholique. Alors que par la volonté du Pape le prochain mois d’octobre sera un « mois missionnaire », 2019 me paraît promettre une audace apostolique exceptionnelle, comme aux premiers temps de l’Église, quand les femmes, qui venaient de trouver le tombeau vide, ont annoncé la bonne nouvelle de la Résurrection aux Apôtres, dans la lumière de Pâques. Une autre femme, Sœur Veronica Openibo, religieuse africaine, l’a bien exprimé durant la rencontre : « C’est notre année de grâce, assumons la responsabilité courageuse d’être véritablement transparents et responsables. »
En dépit des chiffres pourtant clairs (un peu plus de 80 % des abus sont commis sur des garçons déjà pubères), la question de l’homosexualité semble être la grande absente des conclusions de cette rencontre. Serait-ce l’angle mort de l’Église aujourd’hui ?
Comme l’a précisé devant la presse Mgr Charles Scicluna – Secrétaire adjoint de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, un des organisateurs du sommet pour la protection des mineurs – il ne s’agit pas de stigmatiser une catégorie de personnes, car chaque cas d’abus est une tragédie en soi. Nous savons que des prêtres ayant une tendance homosexuelle peuvent très bien exercer leur sacerdoce en vivant dans la chasteté, heureusement (sur ce sujet, voir l’Instruction de la Congrégation pour l’Education catholique sur les critères de discernement vocationnel au sujet des personnes présentant des tendances homosexuelles en vue de l’admission au séminaire et aux Ordres sacrés)1. Cela dit, au cours de la rencontre les participants ont beaucoup insisté sur la nécessité des tests psychologiques au séminaire, afin d’écarter de l’ordination des candidats à risque, n’ayant pas l’équilibre affectif nécessaire pour exercer le ministère sacerdotal et respecter les obligations du célibat. Ceux qui changent de séminaire au gré de leur fantaisie, n’obéissant qu’à leurs fantasmes, seront obligatoirement exclus. De plus, les carrefours durant le sommet ont fortement insisté sur la nécessité de renforcer la formation spirituelle et humaine des séminaristes, sans en préciser les modalités. Des évêques considèrent qu’un relâchement de la discipline ecclésiastique – avec notamment l’abandon de la prière des heures, de l’adoration eucharistique et de la pénitence corporelle – est une des causes principales de l’immoralité de certains prêtres, qui sont devenus, selon l’expression terrible de la Vierge Marie à La Salette, des « cloaques d’impureté ». Je partage ce point de vue. Au nom d’une « ouverture au monde » mal comprise, trop de mauvais pasteurs ont couvert l’Église d’immondices.
La rencontre s’est tenue dans un contexte difficile et une actualité très chargée pour l’Église, marquée entre autres par la condamnation du cardinal Pell et la publication de Sodoma de Frédéric Martel. Après des années de ce qui semble de l’aveuglement ou un silence coupable, les participants de cette rencontre vous semblent-ils avoir pris la mesure des défis à relever pour l’Église ?
Un vade-mecum, un guide, élaboré par la Congrégation pour la Doctrine de la foi, parviendra aux conférences épiscopales d’ici deux mois, pour aider les évêques dans leurs tâches face aux abus sur les mineurs. Un groupe de personnes compétentes, sorte de « task force » (force opérationnelle), sera également mis sur pied pour aider les évêques à affronter les problèmes et à lancer des initiatives. Enfin le Pape publiera une lettre apostolique, un motu proprio, accompagnant une loi contre les abus sexuels dans l’État de la Cité du Vatican, qui concernera aussi les services diplomatiques du Saint-Siège. Ces décisions concrètes semblent être peu de chose au regard des attentes, mais déjà l’Église montre l’exemple à toutes les autres institutions, éducatives et sportives notamment. Face au terrifiant fléau mondial des abus sexuels et de la pornographie qui atteint tous les milieux, le Pape François lance un cri d’alarme à nos sociétés. « Il s’agit de crimes abominables qui doivent disparaître de la face de la terre », s’est-il exclamé dans le discours final de ce sommet, évoquant tous les enfants victimes – y compris les enfants avortés – parlant de « sacrifices idolâtriques », y voyant une manifestation de Satan. Qui voudra l’entendre ? Ce discours dénonçait courageusement les « politiques journalistiques qui instrumentalisent pour des intérêts divers les drames vécus par les petits ». Un grand combat d’ordre apocalyptique est engagé. Le dragon veut en finir avec l’Église, c’est l’heure d’Armageddon. Les partisans de la culture individualiste athée et de sa tyrannie ont choisi de faire taire par tous les moyens une voix universelle qui leur est éthiquement contraire, celle de l’Église catholique. Peu après le sommet, le cardinal australien George Pell, comme une brebis expiatoire, était condamné sur la base d’allégations absolument douteuses. Ne perdons pas courage face au « bashing » (dénigrement) qui accable la barque de Pierre. Des médias aux ordres ne savent produire que des flashes qui laissent très vite la place aux ténèbres, tandis que la lumière douce qui vient de Dieu, celle de Bethléem, demeure au-delà des siècles et éclaire notre éternité. C’est elle que nous communiquons, c’est pour elle que nous nous battons aux côtés de tant de prêtres fidèles et admirables. Dans la foi nous savons que l’Église du Christ est indestructible.
1. Benoit XVI, extrait de son livre Lumière du monde :
« L’homosexualité n’est pas conciliable avec la vocation de prêtre. Car dans ce cas, on courrait un grand risque si le célibat devenait en quelque sorte un prétexte pour faire entrer dans la prêtrise des gens qui ne peuvent de toute façon pas se marier ; parce qu’au bout du compte leur situation à l’égard de l’homme et de la femme est d’une certaine manière transformée, perturbée, et qu’en tout cas elle ne se situe pas dans ce courant de la création dont nous avons parlé. Il y a quelques années, la Congrégation pour l’éducation catholique a publié un décret affirmant que les candidats homosexuels ne peuvent pas devenir prêtres parce que leur orientation sexuelle les éloigne du véritable rôle de père, du cœur même de la prêtrise. La sélection des candidats à la prêtrise doit donc être très attentive. Il faut y apporter la plus grande attention pour éviter que s’instaure une confusion de ce type et qu’au bout du compte le célibat des prêtres soit pour ainsi dire assimilé à la tendance à l’homosexualité ». (Lumière du monde).