Saint François de Sales est fêté le 24 janvier dans la forme ordinaire du rite romain et le 29 janvier dans la forme tridentine. Rappelons à quel point sa volonté d’évangélisation n’était pas seulement imprégnée de charité, mais aussi de l’exigence de la vérité. Quel était cet équilibre salésien ?
À l’heure du dialogue inclusif, de la tolérance obligatoire, des « safe spaces », de la toxicité des certitudes, de l’accueil inconditionnel de l’autre, de l’exception normative et de la positivité tous azimuts, le doux et patient équilibre salésien apparaît plus nécessaire que jamais.
Depuis un mois et demi, le ciel tombe sur la tête du catholique gaulois. Depuis les détails relatifs aux bénédictions de duos irréguliers à la semaine d’adulation à peine voilée du protestantisme sous couvert de prières pour l’unité de l’Église (qui, déjà une, n’attend que le retour de nos frères séparés en son sein), en passant par les attaques contre l’école privée visant en réalité le catholicisme comme contraires aux valeurs de la République, l’année 2024 s’annonce intense.
Comme toujours, le christianisme est sommé de se rendre au monde et à ses lubies, variées et souvent contradictoires. Il faut donc combattre ou capituler.
Cependant, il n’est pas rare d’entendre qu’une troisième voie est possible : toute d’équilibre et de mesure, elle serait celle des gens bien élevés, capables de nuance, souvent qualifiés d’intelligents car disposés au compromis : les bourgeois dénoncés par Léon Bloy ; la voie de ceux qui ont trop à perdre et surtout le monde, qui s’achète si bien au prix d’une âme.
Ses adeptes se réclament souvent de saint François de Sales, apôtre de la douceur, docteur de l’Amour Divin, sage réformateur de son diocèse, fondateur du doux Ordre de la Visitation.
Un missionnaire infatigable
C’est oublier un peu vite qu’il est aussi le missionnaire infatigable du Chablais, le saint patron des journalistes, premier inventeur des campagnes de publicité et d’influence par le moyen de tracts d’apologétique. Comme évêque, il s’est aussi montré ferme avec les monastères relâchés, appliquant avec rigueur les décrets du concile de Trente, sans respect humain envers les frasques du Vert Galant, charmant toujours, mais pour faire entrer dans les cœurs les charitables vérités de la Foi et les amoureuses ordonnances divines.
C’est cette articulation entre la Foi et la Charité, entre conversion du cœur et conviction intellectuelle qu’il nous faut comprendre pour ne pas tomber dans la compromission ou la polémique stérile et ainsi toucher notre prochain en conservant la radicalité de l’Évangile.
Il faut connaître pour aimer
« […] ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché, du Verbe de vie, car la Vie a été manifestée, et nous l’avons vue, et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la Vie éternelle, qui était dans le sein du Père et qui nous a été manifestée, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous, et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. » (1)
Le premier aspect dans l’Évangélisation est toujours celui de l’annonce du Christ, d’une personne humaine et divine pas ou mal connue par les auditeurs.
De la même manière qu’un enfant par exemple, ne peut aimer dès sa naissance le chocolat, tout simplement parce qu’il ne dispose encore pour toute nourriture que du lait maternel ; personne ne peut aimer Dieu s’il n’en a d’abord appréhendé l’existence. Il en va de même pour l’amitié, ne pas avoir d’amis Guatémaltèque ne dénote pas forcément une xénophobie primaire, mais tout simplement le fait que l’on n’en connaît pas.
La philosophie pérenne enseigne que l’intelligence précède la volonté. Elle reconnaît l’existence d’une chose, elle juge de sa bonté puis la présente comme objet de désir (ou d’aversion) à la volonté qui meut alors les puissances de l’âme en vue de l’acquisition de ce bien ou de l’évitement de ce mal.
Saint François de Sales ajoute : « La fin est la maîtresse cause de toutes choses ; c’est elle qui meut l’agent à l’action, car tout agent agit et pour la fin et selon la fin. » (2)
Le cardinal Mercier opérait quant à lui la distinction suivante, qui permet de bien comprendre ce dont il s’agit et d’entrer dans l’articulation entre l’intelligence, la volonté, le cœur et la grâce de Dieu :
« Le cœur est la source des affections spontanées ; la volonté, que nous lui opposons, est la source des affections délibérées. Les unes et les autres doivent être purifiées par le feu de la charité. Qui dit charité dit amour, mais qui dit amour ne dit pas nécessairement charité. La charité est une vertu théologale, ce qui veut dire qu’elle a Dieu Lui-même immédiatement pour objet. Je ne puis donc aimer le prochain, d’un amour de charité, qu’à la condition que le prochain se présente à mon vouloir réfléchi comme appartenant à Dieu, en relation d’ordre avec Dieu. » (3)
La conversion de cœur emporte la conviction de l’intelligence
L’archevêque de Malines est donc très clair : l’intelligence est la source des affections réfléchies de notre volonté. Cependant le cœur peut être touché séparément.
Le cardinal Du Perron avait ce mot : « S’agit-il de convaincre les hérétiques, amenez-les-moi, si c’est pour les convertir, présentez-les à M. de Genève (François de Sales). » (4)
En effet, les hommes sont beaucoup plus mûs par leur sensibilité que par leur raison. C’est le constat que dresse Georges Sorel quand il analyse l’usage des mythes politiques dans la mobilisation des foules : dans le marxisme, peu de militants ont lu Le Capital et encore moins se sont souciés de la véracité de ses démonstrations, mais les slogans communistes ont répondu à leurs aspirations d’une société égalitaire fondée sur une approche scientifique des choses. (5)
L’auteur de La décomposition du marxisme ne prend pas en compte l’action de la grâce divine. Néanmoins, il est éclairant dans sa réflexion sur les ressorts profonds de l’âme humaine. Saint Paul fit d’ailleurs l’erreur de commencer sa prédication en Grèce par les arguments rationnels avant de revenir simplement à la prédication de l’Évangile d’un Dieu fou d’amour pour sa créature et s’offrant en sacrifice pour elle.
Foi et raison étant indissociable, il convient bien évidemment de conforter par l’étude, la décision de la volonté mûe par la grâce et touchée par les marques de l’Amour divin : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils comme victime de propitiation pour nos péchés. […] Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. » (6)
La charité apparaît bien comme l’élément déclencheur de la démarche de conversion du prochain mais avec une exigence de vérité qui est le fondement de cette charité : « si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. » (7) C’est bien parce que l’on croit en l’Amour de Dieu, qu’il convient d’aimer le prochain et donc de lui souhaiter le meilleur des biens : les vérités nécessaires au Salut.
- I Jn I, 1-3
- Lettre à Mgr Frémyot du 5 oct. 1604, Éditions d’Annecy, t. XII, p.303, lettre n°229.
- La vie intérieure, appel aux âmes sacerdotales, tome I, Paris Beauchesne, 1919, p. 282-283.
- La France Pontificale de M. H. Fisquet, Tome II, E. Repos, 1864, p. 610.
- Réflexion élaborée à partir des ouvrages suivants : Les réflexions sur la violence, Les illusions du progrès et La décomposition du marxisme.
- I Jn IV, 10 et 16
- I Jn, IV, 11
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