Ce lundi 13 octobre a été rendue publique la Relatio post disceptationem, document à mi-parcours du Synode pour la famille. Les propos contenus dans ce document ont entraîné des réactions assez vives. Enquête de notre correspondante sur place.
« Naïf » « poétique », « scandaleux », « inacceptable », « manque de prudence » « on a l’impression que l’Église se soumet à un lobby ». Les réactions à la publication de la Relatio post disceptationem, présentée publiquement par le cardinal Péter Erdö le lundi 13 octobre, relation censée représenter une « photographie » des travaux à mi-parcours du Synode sur la famille et l’évangélisation qui se déroulent à Rome du 5 au 19 octobre, sont assez virulentes.
Ce document très souvent qualifié de « tremblement de terre », a été « peu ou mal compris, surtout par les médias, qui en ont dénaturé le message et l’importance, alors que ce n’est qu’un document de travail », a tenu à rappeler précipitamment le Secrétariat général du Synode, dès le lendemain de sa publication. Il n’en reste pas moins un texte écrit et public, et comme l’a fait très justement remarquer Jean-Marie Guénois (Le Figaro): « Tout ceci est de la faute de la presse, mais nous n’avons pas rêvé en lisant les passages de la Relatio sur les homosexuels ou les divorcés remariés! ».
Le texte
Que dit en substance cette Relatio post disceptationem, objet de toutes les controverses ?
Mariages mixtes, polygamie en Afrique et en Asie, individualisme exacerbé de nos sociétés contemporaines, enfants du divorce, enfants des couples homosexuels, condition féminine, explosion subie des familles dans le cadre des guerres, par exemple au Moyen-Orient, préparation au mariage, respect envers les unions libres, envers les divorcés remariés, envers les homosexuels, besoin, pour les individus, « de vivre mieux en syntonie avec leurs émotions et leurs sentiments ». La question de la simplification des procédures de déclaration de nullité de mariage a été aussi un sujet important, avec proposition de supprimer la double sentence conforme et d’augmenter la responsabilité de l’évêque diocésain. Ce que le cardinal Burke, Préfet de la Signature de la Chambre apostolique, refuse en tous points.
Les thèmes abordés le sont en des termes confus qui donnent libre cours à toutes sortes d’interprétations (et pas seulement de la presse!). Quelques exemples : « un discernement spirituel étant donc nécessaire en ce qui concerne les cohabitations et les mariages civils ainsi que pour ce qui est des divorcés remariés, il appartient à l’Église de reconnaître ces semina Verbi répandus hors des frontières visibles et sacramentelles» (§ 20) tandis qu’« une nouvelle sensibilité de la pastorale d’aujourd’hui consiste à comprendre la réalité positive des mariages civils » (§ 36). « Dans ces unions aussi (unions de fait, ndlr), on peut voir des valeurs familiales authentiques, ou du moins le désir de celles-ci. Il faut que l’accompagnement pastoral commence toujours par ces aspects positifs. »
Les choix pastoraux
À ce titre, « le besoin de choix pastoraux courageux a été clairement ressenti ». Pour les divorcés remariés, « il faudrait que l’éventuel accès aux sacrements soit précédé d’un chemin pénitentiel sous la responsabilité de l’évêque diocésain ». À ce sujet, le cardinal Burke a maintes fois rappelé que ce « chemin pénitentiel » n’est possible que lorsqu’il y a engagement ferme de ne plus vivre dans une situation de péché, élément de la doctrine catholique qui n’est repris nulle part dans la Relatio.
Enfin, dans une perspective toujours plus inclusive, « les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne : sommes-nous en mesure d’accueillir ces personnes en leur garantissant un espace de fraternité dans nos communautés ?». (§ 50) L’Église à ce sujet « prend acte qu’il existe des cas où le soutien réciproque jusqu’au sacrifice constitue une aide précieuse pour la vie des partenaires ». (§ 52) La clé de lecture de ce texte est clairement existentialiste, puisque « la vérité s’incarne dans la fragilité humaine ». (§ 25)
Il semblerait à la lecture de ce texte que la vision kaspérienne de la famille, d’une doctrine de la famille en constante évolution, et dont l’Évangile n’est plus le point cardinal, mais un simple point de départ, soit en train de remporter l’adhésion des Pères synodaux.
Rien n’est moins sûr! Dans cette synthèse des travaux de la première semaine du Synode, beaucoup de Pères synodaux ne se retrouvent pas. Dans la quarantaine d’interventions qui ont suivi la relatio, celles du cardinal Kasper, de Mgr Bruno Forte, de Mgr Filoni, de Mgr Fernandez furent sans doute très positives mais celles des cardinaux Burke, Caffarra, Scola, Ouellet, Pell certainement très critiques. Selon le cardinal Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, le rapport est « indigne, honteux, complètement faux » (La Repubblica, 14 octobre 2014)
D’autres réactions sont significatives. Qu’on en juge : « Je n’hésite pas à dire que, avec ce document, on s’éloigne de l’enseignement de Jean-Paul II et que l’on voit dans ce document des traces d’une idéologie anti-matrimoniale » : ainsi s’exprime Mgr Stanislaw Gadecki, archevêque de Poznan et Président de la Conférence épiscopale polonaise. Il déplore – il n’est certes pas le seul –, l’impression donnée que « l’enseignement de l’Église a été sans pitié » jusqu’ici et que « l’enseignement de la miséricorde commence maintenant ».
Perte d’identité
Mgr Zbigniew Stankiewicz, archevêque de Riga, rappelle que « céder à la pression du monde » ce serait « perdre sa propre identité ». Le monde, dit-il, a besoin de la « lumière » et de « la vérité de l’Évangile ». Et il dit sa confiance dans le « pouvoir de l’Évangile » pour « toucher les consciences et les esprits des gens » et les « convaincre », à condition qu’il ne soit pas « dilué ».
Toujours sur Zenit, Mgr Tony Anatrella au cours d’une longue interview, s’exprime sur cette Relatio : «Ce texte n’est pas assez fondé sur l’Écriture et apparaît comme un discours sociologisant. Trop de confusions et de complaisances ne rendent pas compte de l’enseignement de l’Église et de la pensée des Pères synodaux. Il a été demandé de revoir le texte dans sa structure et en ce qui concerne l’admission des divorcés remariés aux sacrements et l’homosexualité. Il a été jugé trop simpliste de laisser entendre que les unions de fait seraient un chemin possible de vie de couple (une façon d’accepter l’adultère ont dit certains Pères) et d’affirmer que “les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne”. (…) Autrement dit, il ne faut pas confondre la personne homosexuelle et l’homosexualité qui ne représente aucune valeur sociale et encore moins une richesse pour l’Église. »
De son côté, Mgr Bruno Forte, Secrétaire adjoint du Synode, théologien du Pape et rédacteur du chapitre de la Relatio concernant les « unions » homosexuelles, s’est félicité lors de la conférence de presse qui a suivi, que « beaucoup de Pères ont dit que l’on sentait souffler l’esprit du Concile », ajoutant que « l’Esprit souffle où Il veut ». À cette occasion, répondant à une question des journalistes sur les homosexuels, il a affirmé que « les homosexuels ont des droits qui doivent être défendus et garantis ». S’exprimant sur la loi naturelle, il a reconnu que « c’est un terme essentiel, mais hors de l’Église, on ne le comprend pas »…
Le message final du Synode qui sera remis au Pape en fin de semaine est en cours d’élaboration. À l’heure où, dans le monde entier, la famille est attaquée comme jamais, on ose espérer que les cardinaux, évêques et prêtres qui en sont responsables seront porteurs des attentes de nombreux catholiques qui, malgré toutes les vicissitudes, tendent de se conformer à la vérité du Christ.