La théologie a pour raison d’être de développer l’acte de foi qui nourrit la contemplation du chrétien. Pour saint Thomas, l’acte de foi s’entend de trois façons : credere Deo, credere Deum, credere in Deum, croire Dieu, croire à Dieu, croire en Dieu. Les deux premiers temps signifient respectivement l’objet matériel de la foi (ce qu’il faut croire) et l’objet formel (le motif pour lequel il faut le croire). En revanche, croire en Dieu, le troisième temps, indique tout le processus de la vie de foi qui, à partir de la connaissance par révélation de Dieu, achemine progressivement vers la totale possession de ce Dieu qui attire à Lui en se révélant. L’Église devient alors ce qu’elle doit être, le lieu favori où s’applique le mot de saint Denys : « La contemplation est le couronnement de l’élan de tous les êtres vers Dieu », rejoignant celui de sainte Thérèse dont la vocation est « l’amour qui met au Cœur de l’Église notre mère ». C’est bien là ce que cherchait saint Thomas : faire aborder la doctrina sacra, la grande catéchèse de l’Église, pour goûter toujours mieux les choses divines révélées, les bien recevoir et les faire passer dans la vie.
Nécessité de la théologie
Le cardinal Journet, au cours d’une retraite à des moniales, soulignait en même temps que sans théologie, on risque de ne dire que des bêtises, car l’Unique Nécessaire, le mystère de la Trinité, est peu à peu oublié, puis nié : « Cette grande théologie que j’essaie de balbutier avec des paroles, c’est simplement pour écarter les erreurs minimisantes. Si on ne fait pas de la théologie, on s’en fera une, et elle sera toujours mesquine et aberrante et dangereuse. Tandis que si on fait de la théologie, la voie est ouverte à l’amour. La théologie ne donne pas l’amour, mais elle ouvre la voie dans laquelle s’engage l’amour, parce que quand c’est de la grande théologie, elle est née de l’amour. Parce qu’on aime, on désire connaître davantage, et alors la théologie se construit dans ce climat d’amour. »
Le désir procède de ce climat d’amour, il est inhérent à la foi qui ouvre à la lumière divine. Voilà alors le véritable moteur de la recherche théologique. Saint Thomas dit en effet de la foi qu’elle est animée « d’un certain désir du bien promis » (De Veritate, q. 14, a. 2, ad 10) ; et ailleurs que c’est « poussé par une ardente volonté de croire, que l’homme aime la vérité qu’il croit, qu’il la considère en son esprit, et l’enlace (amplectitur) d’autant de raisons qu’il en peut trouver » (IIa-IIæ, q. 2, a. 10). Auparavant, le saint docteur soulignait de la même façon ce lien entre la théologie et la foi animée par la charité (Q. 1, a.2, ad 2m) : « L’acte du croyant ne se termine pas aux formules (du Credo) mais à la réalité divine elle-même ». Pour illustrer ce propos, il dit de l’apôtre Thomas reconnaissant enfin Jésus au Cénacle après la Résurrection, que sa confession, « mon Seigneur et mon Dieu », le hisse enfin dans la théologie : « Aussitôt Thomas devient un bon théologien en confessant la foi» (In Joan., 20, lect. 6).
À la mesure de notre amour
En traitant de la vision béatifique (cf. Ia, q. 12, a. 6), saint Thomas dit qu’elle sera à la mesure de notre amour et donc à la mesure de notre désir : car là où il y a un plus grand amour, il y a un plus grand désir et c’est le désir qui ouvre l’âme, qui la dilate et la rend plus apte à recevoir le bien désiré.
Cette notion de désir lié ici-bas au labeur théologique apparaît de façon merveilleuse au terme du De Trinitate de saint Augustin (XV, 28) : « Dirigeant mon intention sur cette règle de foi, je vous ai cherché, autant que je l’ai pu ; autant que vous m’avez donné de le pouvoir, j’ai désiré voir des yeux de l’intelligence, ce que je croyais ; j’ai discuté longuement, j’ai pris bien de la peine, Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exaucez-moi ; ne souffrez pas que la fatigue m’empêche de vous chercher; faites au contraire que je cherche toujours votre présence avec ardeur (Ps., 104, 4 ). Donnez-moi la force de vous chercher, vous qui m’avez fait vous trouver et m’avez donné l’espoir de vous trouver de plus en plus. Devant vous est ma force et ma faiblesse ; conservez l’une, guérissez l’autre. Devant vous est ma science et mon ignorance ; là où vous m’avez ouvert la porte, laissez-moi entrer, là où vous me l’avez fermée, ouvrez-moi quand je frappe ; que je me souvienne de vous, que je vous comprenne, que je vous aime. Augmentez en moi ces deux choses, jusqu’à ce que vous m’ayez réformé en entier ».