Tous les dégoûts sont dans la nature

Publié le 21 Jan 2013
Tous les dégoûts sont dans la nature L'Homme Nouveau

À cause de la ponctualité de plus en plus déficiente des compagnies d’aviation, dont les prétentions philosophiques vont plutôt vers les théories de l’aléatoire temporel que vers des certitudes chronographiques, et sans doute aussi par l’atavisme républicain de la compagnie nationale, l’exactitude étant la politesse des rois, je dus subir en attendant un possible embarquement, et ce pendant près d’une heure qui n’en finissait pas, les couinements d’une chaîne de télévision qui débitait au kilomètre et sur un tempo abrutissant quelque chose qui par mégarde est encore rangé dans la rubrique musique. Bien sûr, me direz-vous, tous les goûts sont dans la nature mais dans le cas présent, il s’agirait plutôt de dégoût. Imaginez une succession de clips vidéo où l’on vous présente des pantins sous ecstasy, débitant un charabia sans queue ni tête, sur un rythme à vous provoquer un arrêt cardiaque. Jusque-là me direz-vous, rien de répréhensible, si ce n’est l’impossibilité sauf aux sourds d’échapper à cette cacophonie et la stupeur de penser que ce tintamarre à faire tourner le lait dans le pis des vaches puisse avoir des adeptes prêts à dépenser leurs maigres salaires dans l’acquisition de supports audio voire vidéo, alors que n’importe quel individu normalement constitué irait naturellement vers la demande de dommages et intérêts pour atteinte au bon sens en général et à l’art musical en particulier.

Non, là où le bât blesse, où l’absurde le dispute au vulgaire, c’est le caractère quasi pornographique de ces courts-métrages qui ravalent la femme au rang de pièce de boucherie. Il semblerait qu’aucune de ces artistes ne considèrent possible de chanter autrement que déguisées en péripatéticienne, le sous-vêtement réduit à la portion congrue, la pose lascive voire suggestive. Pour les hommes, s’ils ne peuvent pas user de leur charme de façon semblable, ils sont entourés de ces pauvres femmes qui servent de leurre pour aguicher le passant et étalent un luxe où le mauvais goût le dispute à l’ostentatoire.

Pourriez-vous imaginer Piaf ou la Callas en string se trémoussant perchée sur des talons tellement hauts que tenir debout dessus doit être une épreuve qualificative de l’école du cirque? Pas besoin, leur talent, leur voix suffisait à remplir l’espace. Mais pour celles qui ont la prétention de leur succéder, il semblerait que le défaut de talent musical les oblige à compenser l’absence de voix par des artifices fort éloignés de l’art.

Mais ce qui est encore plus affligeant est de penser que cette chaîne de télévision entièrement consacrée au genre musical se fait le vecteur insensé de l’abrutissement de la jeunesse en propageant un idéal où seul compte l’assouvissement des désirs les plus vils, la jouissance comme seule ambition, créant par là même des générations de frustrés, déprimés permanents car incapables d’atteindre le paradis artificiel que décrit en boucle la programmation proposée.

Telerealite ado

À voir les files d’attente interminables de candidats aux divers télé-crochets, l’on mesure avec angoisse l’influence de ces sous-produits télévisuels, exclusivement destinés à refourguer des pages de publicité pour ados acnéiques. Pour les malheureux parents qui apprennent leur métier d’éducateur sur le champ de bataille, cette épreuve se surajoute aux grands classiques du passage fort délicat de l’enfance à l’âge adulte. Les associations de parents devraient poursuivre les producteurs de ces incitations à la débauche que sont devenus la plupart des clips vidéo, poursuivre les producteurs de télé dite réalité pour tromperie et escroquerie au rêve en bande organisée. Car dans les cas extrêmement rares où le malheureux candidat fait preuve d’un peu de prédisposition pour les vocalises, les contrats qu’il signe avec les producteurs sont à égalité avec la fiscalité pour les riches du Gremlin de l’Élysée. Après deux ou trois tours de manège, ils le laisseront sur le bas-côté, exsangue et désespéré.

Et sans jouer les Cassandre, du sexe et de la violence ont toujours été les deux signes précurseurs d’une fin d’empire ou de civilisation. À force de jouer les apprentis sorciers en effaçant les unes après les autres toutes les barrières naturelles qui délimitaient le champ d’action des désirs, de la concupiscence, les théoriciens inconscients du « interdit d’interdire » voient se déliter sous leurs pieds le monde civilisé dont ils avaient sucé le sein nourricier. Il s’agit bien maintenant de trouver des boucs émissaires à ce qui n’est que la résultante de leur propre pensée, aberrante et grotesque, héritière en cela de siècles de l’irréfragable volonté des élites intellectuelles de supprimer Dieu et la loi morale.

Pour être honnête, il faut aussi considérer avec une extrême tristesse que l’action d’une grande partie de la bourgeoisie, par son avidité dissimulée derrière un respect pharisaïque des règles de la religion chrétienne, entraîna dans une misère économique et morale une grande partie du monde ouvrier, et le poussa dans les bras de partis politiques prônant la haine de Dieu et de l’Église. Dès lors, la voix de l’Église considérée comme étant celle du parti des riches et des exploiteurs perdit sa force de conviction et d’une évidence pour tous, elle se mua en ce qui n’est plus qu’une option entre d’autres.

Les principes sur lesquels reposaient la société française ayant été dissouts dans l’égoïsme et l’hypocrisie d’une caste dirigeante dévoyée, tout est possible, et ces malheureux petits films musicaux, même si leur existence a quelque chose d’anecdotique, sont un signe parmi d’autres, de la disparition de toutes les valeurs chrétiennes qui faisaient le ciment de notre civilisation. Pour certains, cela a un goût de victoire, pour les catholiques, un état proche de la nausée.

L’adage dit que tous les goûts sont dans la nature. L’on pourrait maintenant dire que tous les dégoûts aussi et surtout !

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