C’est un anniversaire qui passe quasiment inaperçu. Et, même, un double anniversaire ! Celui de la naissance de l’écrivain, Georges Bernanos (en 1888) et celui de son retour à Dieu (en 1948).
Bernanos ? Un romancier hors norme, un pamphlétaire dans un monde aseptisé, un croyant surtout. Tant sa vie que son œuvre trouvent, en effet, leur point d’équilibre et leur explication dans cette foi catholique reçue dans son enfance et qui lui resta chevillée au corps à travers toute une existence remplie de souffrances, de combats et… d’amour. Henri Massis, qui fut son ami, mais avec lequel il se brouilla, avait bien saisi justement que l’amour expliquait jusqu’aux violences de l’écrivain : « Ses colères et ses haines n’étaient encore que ses amours retournées. »
On trouve cette phrase dans le petit livre que vient de lui consacrer Thomas Renaud dans la collection « Qui suis-je ? » des éditions Pardès. Vouloir répondre à une telle question, à propos de Bernanos, revenait à se lancer assurément dans une entreprise difficile, complexe, remplie de pièges et de chausse-trappes.
À la manière de Dieu, et pour paraphraser saint Augustin, Bernanos a, en effet, écrit sa vie de manière droite avec des lignes courbes. La foi enracinée et totale, l’amour de la France, amour charnel et paysan, le sens de l’honneur et le goût du combat, la perception a-moderne de la grandeur de la souffrance et de son côté rédempteur, font de cet homme et de cet écrivain un être difficile à suivre, difficile à saisir, si l’on ne laisse pas tomber ses propres idées, voire ses propres œillères.
Pari réussi pour Thomas Renaud ? Dans l’ensemble, l’auteur s’est très bien sorti des écueils inévitables que le « sujet » Bernanos pouvait lui réserver. Sans prétendre aucunement à l’exhaustivité, sans vouloir non plus donner à tout prix une interprétation personnelle, il retrace avec doigté la vie de l’écrivain, dans un incessant aller-retour entre celle-ci et l’œuvre écrite qui prend corps au fil des ans. Il n’enferme nullement Bernanos dans le rôle du seul romancier, ni en sens inverse, dans celui d’écrivain de combat. Il ne jette pas de voile pudique sur des livres devenus incompréhensibles aujourd’hui, comme La Grande Peur des bien-pensants, consacré à Édouard Drumont, et met en garde contre la tentation de voir en l’écrivain un ancien camelot du roi devenu démocrate après son combat contre Vichy. Toute sa vie, Bernanos fut effectivement un Français de l’Ancienne France, égaré dans le monde moderne, aussi loin finalement du positivisme de Maurras que de l’ébahissement démocratique.
Le Bernanos de Thomas Renaud constitue donc une très bonne introduction pour ceux qui voudraient découvrir l’homme et l’œuvre, c’est-à-dire ceux qui sont encore assez libres pour ne vouloir se laisser asservir par aucune coterie, aucun totalitarisme, mais qui veulent prendre le risque d’aimer jusqu’au bout, et même jusqu’au bout du bout. Aimer Dieu, la France, l’honneur et les anciennes vertus, sans se laisser subjuguer par ceux qui sont en marche vers les palais dorés et les places chaudes.
Georges Bernanos, Thomas Renaud
Collection « Qui suis-je ? »
Pardès, 128 pages, 12 €.