La traduction française du Missel romain promulgué par le Saint-Siège en 2002 devrait entrer en vigueur dans les paroisses pour le premier dimanche de Carême 2017. Elle comprendra de profondes transformations. Retour sur un chemin difficile.
Les fidèles, bien sûr, n’ont pas dû attendre les célébrations en français de la messe (depuis 1965), pour suivre et comprendre ce que célébrait le prêtre à l’autel. En 1951, sous le pontificat de Pie XII donc, le Père Chéry, dominicain, dans un essai intitulé Le français, langue liturgique ? (paru aux éditions du Cerf), recensait huit éditions différentes du Missel quotidien des fidèles en latin avec la traduction française en regard. La plus célèbre et la plus répandue fut, pendant des décennies, celle réalisée par dom Gaspar Lefebvre (1880-1966), moine de l’abbaye Saint-André de Bruges, en Belgique.
Nécessité d’une traduction officielle unique
Après le concile Vatican II, on passa, progressivement, de la messe célébrée en latin, que les fidèles depuis longtemps pouvaient suivre en français dans leur missel, à la messe célébrée en français, d’où la nécessité d’une traduction officielle unique agréée par les autorités nationales et romaines.
Le concile Vatican II, dans la constitution consacrée à la liturgie promulguée en décembre 1963, avait demandé : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins » (Sacrosanctum Concilium, 36, § 1), tout en concédant que « soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent très utile pour le peuple ; on pourra donc lui accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de chants » (36, § 2).
Avant qu’un nouvel Ordo Missæ soit publié en 1969, l’Ordo en vigueur depuis saint Pie V connut par l’instruction Inter Œcumenici (26 sept. 1964) des changements significatifs, avec notamment l’autorisation de la langue vernaculaire pour les lectures (épître et évangile) – ce qui avait déjà été accordé sous Pie XII –, pour les chants du commun (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei) et pour la récitation ou le chant du Pater par le prêtre et par les fidèles. Mais très rapidement on dépassa ce cadre et, le 7 mars 1965, Paul VI célébrait, face au peuple, une messe entièrement en italien (sauf le canon). Puis la récitation du canon à haute voix et en langue vernaculaire fut autorisée.
On peut donc dire qu’en ce qui concerne l’utilisation intégrale de la langue vernaculaire dans la messe, le Novus Ordo Missæ de 1969 n’a pas innové. Il a pris acte des libéralisations successives antérieures. Et donc la question des traductions vernaculaires s’est posée bien avant l’entrée en vigueur de la « nouvelle messe ».
En France, dès 1964, des traductions officielles de certaines parties de la messe ont été publiées, à l’initiative de la Commission épiscopale de liturgie. Et aussitôt certaines de ces traductions ont été contestées. Notamment la traduction d’un article du Credo. Là où le texte latin, qui remonte aux définitions dogmatiques du concile de Nicée (325), dit de Jésus-Christ qu’il est consubstantialem Patri, la traduction officielle avalisée par la Commission épiscopale disait : « de même nature que le Père ». Le philosophe Étienne Gilson, professeur au Collège de France, sonna le premier l’alarme par un article retentissant paru dans La France Catholique en juillet 1965. Le cardinal Journet, éminent théologien, lui aussi a fait part de son trouble : « À une époque où, de l’aveu de tous les chrétiens sérieux, protestants et catholiques, la démythologisation fait courir au christianisme l’un de ses plus grands dangers, où le dogme de la divinité du Christ est comme mis entre parenthèses, où l’on renonce, à la suite de Bultmann à parler de Jésus-DIEU pour parler du DIEU de Jésus, on peut regretter que le mot béni et si profondément traditionnel de consubstantiel n’ait pas été retenu par les traducteurs du Credo en langues modernes. On peut espérer que la version “de même nature”, qui ne va pas à dissiper les équivoques, n’est que provisoire. » (1) Le « provisoire » aura duré plus de cinquante ans puisque c’est en 2017 que la traduction du consusbstantialem Patri va changer.
Du nouveau
En effet, lors de la dernière Assemblée plénière de l’épiscopat français (cf. L’HN n° 1602 du 21 novembre 2015), Mgr Bernard-Nicolas Aubertin, archevêque de Tours et Président de la Commission des épiscopats francophones pour les textes liturgiques, a présenté la nouvelle traduction du Missel romain qui sera soumise prochainement au Saint-Siège. Cette traduction devrait entrer en vigueur dans les paroisses françaises et francophones (Belgique, Suisse, Canada) pour le premier dimanche de Carême de 2017.
D’ores et déjà, sont connues différentes modifications et rectifications qui ne sont pas anodines.
Dans la récitation du Confiteor, le mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa, traduit depuis 1969 par « oui, j’ai vraiment péché » ou par « oui, j’ai beaucoup péché », sera traduit par « c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute », exactement fidèle au texte latin.
Dans la récitation du Credo, la formule « de même nature » (non hérétique, disait le cardinal Journet, mais « moins précise ») sera remplacée par « consubstantiel », qui est la traduction que l’on trouvait déjà dans les missels d’avant 1965.
La prière actuelle sur les offrandes : « Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église/Pour la gloire de Dieu et le salut du monde » sera remplacée par une formulation plus proche du texte latin : « Priez mes frères afin que ce sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréé par Dieu le Père tout-puissant./Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la gloire de son nom. Pour notre bien et celui de toute Sa Sainte Église. »
Le début de la Préface, Vere dignum et justum est, æquum et salutare, était traduit jusqu’ici par : « Il est juste et bon de te rendre gloire, de t’offrir notre action de grâce… ». Mgr Aubertin fait remarquer que cette traduction officielle ne traduisait pas salutare. Or, « salutare ça veut dire que rendre grâce c’est porteur de salut. Ce n’est pas anodin. C’est un mot qui a été omis parce qu’on n’y a pas fait attention, mais je crois que c’est important théologiquement de le redire. »
Dans la récitation du Pater noster, le ne non inducas in tentiationem avait été traduit dès 1964 par « Ne nous soumets pas à la tentation ». Traduction qui fut beaucoup contestée. La traduction nouvelle corrigera en faisant dire : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Les traductions anciennes disaient : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Il aurait été plus simple de reprendre cette traduction encore familière à de très nombreux fidèles.
Il y a eu, à ce jour, cinq éditions dites typica du Missel romain issu de la réforme liturgique engagée après le concile Vatican II : l’editio typica de 1969, l’editio typica de 1970, l’editio typica altera de 1975, l’editio præ-typica tertia de 2000, l’editio typica tertia de 2002.
Un long travail
Chaque édition comporte des modifications et des corrections. Si la nouvelle traduction entre en vigueur en 2017, il aura donc fallu quinze ans pour que la dernière édition typique du livre liturgique au cœur de la vie de foi des fidèles catholiques soit enfin en usage dans les paroisses françaises et francophones.
Ce délai peut être considéré comme excessif. On comparera la situation française à celle d’autres pays. La traduction anglaise (valable aussi pour les États-Unis) est entrée en vigueur depuis quatre ans (Avent 2011). La Conférence épiscopale italienne a terminé son travail en mai 2012 et attend encore sa recognitio (reconnaissance, approbation) par la Congrégation pour le Culte divin. Il en est de même pour la traduction allemande, terminée depuis septembre 2010, et toujours pas approuvée. À cette date, le cardinal Meisner alors archevêque de Cologne, avait reconnu que cela avait été « une très, très laborieuse entreprise », mais il était satisfait du résultat.
La Congrégation pour le Culte divin a publié le 28 mars 2001 une très longue instruction Liturgiam authenticam, en 133 paragraphe, qui rappelle et qui précise les normes relatives à l’édition en langue vernaculaire des livres liturgiques. Cette instruction rappelle notamment : « Il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses ».
En 2007, une première traduction française du Missel romain dans son édition typique de 2002 a été refusée par la Congrégation pour le Culte divin. Il a fallu revoir cette première traduction. Le texte présenté à Lourdes en novembre dernier et qui va être soumis à Rome s’est donc voulu plus précis et plus proche du latin.
1. L’Écho des paroisses vaudoises et neuchâteloises, 1er avril 1967.