Mais à quoi sert Mathieu Bock-Côté ?

Publié le 08 Mai 2019
Mais à quoi sert Mathieu Bock-Côté ? L'Homme Nouveau

[Cet article est initialement paru dans notre numéro 1686 du 27 avril, disponible dans notre boutique]

À peine paru en France, le dernier livre du sociologue québécois Mathieu-Bock-Côté, L’empire du politiquement correct, a donné lieu à des débats et des échanges parfois vifs. Cet « essai sur la respectabilité politico-médiatique » révèle bien le climat moral et intellectuel de notre modernité tardive. 

Il est partout. Ou, presque. Sur les plateaux de télévision, à l’antenne des radios, dans les colonnes des journaux ou dans les salles où des foules attentives viennent l’écouter avec admiration. Récemment, il a ainsi répondu aux questions de l’équipe menée par Yann Barthès, dans « Quotidien », l’émission de TMC. Un échange musclé mais respectueux. Drôle aussi, à voir les têtes ahuries des jeunes membres de l’équipe de Barthès.

Un sociologue prolixe

Il ? C’est le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, qui, en plus du combat souverainiste qu’il mène de l’autre côté de l’Atlantique, chronique chaque samedi dans le Figaro et trouve le temps de publier en France certains de ses ouvrages. On dit de lui qu’il est devenu « l’intellectuel » de référence de la droite conservatrice, celle qui cherche dé­sespérément l’homme providentiel voire – modernité acceptée dans les limites d’un certain scepticisme – la femme providentielle.

Dans son dernier livre, tel un don Quichotte décidé à abattre les moulins qui empêchent de penser librement, Mathieu Bock-Côté s’en prend au politiquement correct. Issu du monde anglo-saxon, le « politically correct » renvoie à une histoire beaucoup plus ancienne qu’on ne le croie généralement. Mais, c’est surtout dans les années 1980 que cette notion émerge, imposant son diktat moral et intellectuel de conformité, non à des normes supérieures et intangibles, mais à l’évolution des mœurs, des opinions du moment et de leur traduction dans le Droit. Comme toujours, l’expression et ce qu’elle recoupe prirent un certain temps avant de traverser l’Atlantique. Mais la naturalisation s’effectua rapidement. 

Mais, au fait, qu’est-ce que recouvre exactement ce fameux « politiquement correct » ? L’attitude de Justin Trudeau et les manœuvres d’Emmanuel Macron ? La logorrhée du clone commun de Yann Barthès, de Sibeth Ndiaye et de Léa Salamé ? Les « réflexions » de Jean-Michel Apathie mélangées à celles de Yannick Noah ? Docteur en sociologie, chargé de cours à HEC Montréal, Mathieu Bock-Côté est évidemment plus précis (et, plus sérieux !) : « le politiquement correct est un dispositif inhibiteur ayant pour vocation d’étouffer, de refouler ou de diaboliser les critiques du régime diversitaire et de l’héritage des Radical Sixties, et plus largement, d’exclure de l’espace public tous ceux qui transgresseraient cette interdiction. »

Fort de cette description, Bock-Côté se penche sur le cadavre encore chaud du débat d’idées, s’intéresse à l’extension infinie du domaine de la censure, ausculte à la manière d’un entomologiste les cas Finkielkraut, Onfray, Zemmour et autres représentants d’une espèce en voie de disparition : l’intellectuel désireux de penser hors les normes. Le monde anglo-saxon n’est pas oublié – comment le pourrait-il ? – et vaut au lecteur, dès les premières pages du livre, cet avertissement à la fois salutaire et refroidissant : « […] il faut prendre au sé­rieux les extravagances théoriques qui occupent les séminaires académiques, et plus particulièrement celles qui viennent d’Amérique. Les spéculations idéologiques du progressisme diversitaire peu­vent changer le monde. » Pas moins !

Ce livre qui débute avec une réflexion de Chesterton et qui s’ancre dans l’antique et classique vertu de piété naturelle, par un hommage aux parents de l’auteur (père et mère, et non « parent?1 » et « parent?2 »…), emprunte décidément des voies heureuses qui se déploient souvent dans des excursions bienvenues touchant l’identité, la dictature des réseaux sociaux, la psychologie politique, le racisme ou cette lancinante douleur de la nostalgie qui habite aujourd’hui tant de cœurs. Notre Robin des Bois de la pensée met souvent dans le mille.

 

Un moderne modéré

Sans surprise, cette dénonciation en règle de l’empire du politiquement correct s’achève par un hymne au conservatisme, lequel se caractériserait « essentiellement comme une critique de la démesure moderne ». N’empêche ! Comme l’explique clairement Mathieu Bock-Côté à Yann Barthès, un conservateur est un « moderne modéré ». Mais le politiquement correct ne serait-il au fond que le fruit d’une démesure moderne, de l’excès d’un mouvement parti d’un si bon pas et qui aurait bifurqué au mauvais carrefour ? Il semble qu’il faille aller plus loin et remonter aussi plus haut. Comme l’a montré Tomislav Su­ni??(1), le politiquement correct est issu de l’hypermoralisme américain, d’origine puritaine, et des idées freudo-marxistes. Il forme le noyau essentiel d’une « religion civile » de type universel et renvoie aux droits de l’homme coupés de toutes références à la loi naturelle. La modernité semble en être le berceau naturel et elle ne cesse de l’irriguer. Nous en voyons aujourd’hui le plein développement et les conséquences ultimes. Mathieu Bock-Côté nous aura au moins permis d’ouvrir les yeux sur ses conséquences. N’hésitons pas à remonter aux causes… 

1. Catholica, n° 92, p. 98. Cf. aussi Guiseppe Reguzzoni, Il liberalismo illiberale. Come il politicamente corretto è divenuto la nuova religione civile delle società liberali, XY.IT, Antaios, 2015.

Mathieu Bock-Côté, L’Empire du politiquement correct, Le Cerf, 300 p., 20 €.

Ce contenu pourrait vous intéresser

A la uneCultureLectures

Un dernier livre sur Hans et Sophie Scholl, aux racines de leur héroïsme

Recension | Dans un ouvrage paru récemment, Henri Peter expose l’évolution de la réflexion intellectuelle et spirituelle de protagonistes de la Rose blanche, Hans et Sophie Scholl. Dans Sa vie pour la mienne, Julie Grand témoigne six ans après l'attentat islamiste de Trèbes, où le Colonel Arnaud Beltrame a trouvé la mort. La Rédaction de L'Homme Nouveau vous propose une page culture, avec un choix de quelques livres religieux, essais ou CD. Des idées de lecture à retrouver dans le n°1806.

+

livre lecture
A la uneCultureLectures

Un deuxième et dernier tome au « Royaume perdu d’Erin »

Recension jeunesse | La rédaction de L’Homme Nouveau vous propose une page recension de lectures jeunesse pour ces vacances de printemps, avec un choix éclairé de quelques histoires à lire ou faire lire, et autres activités. La saga du Royaume perdu d’Erin d'Anne-Élisabeth d’Orange s'achève sur un deuxième tome intitulé L’Imposteur. À retrouver dans le n°1806.

+

lecture famille tome
CultureLectures

Augusto Del Noce, un penseur pour notre temps

Culture | "Analyse de la déraison", qui vient de paraître en français, permettra-t-il enfin à Augusto Del Noce (1910-1989) d’être reconnu chez nous, comme il l’est en Italie ? Que le lecteur potentiel ne soit pas rebuté par la longueur de cet ouvrage. Il en sera récompensé en découvrant un des penseurs les plus originaux de ce temps.

+

del noce
Culture

L’exposition : Des samouraïs aux mangas. L’épopée chrétienne au Japon

Les Missions étrangères de Paris proposent jusqu'en juillet une rétrospective de l'évangélisation du Japon depuis le XVIe siècle jusqu'à aujourd'hui. L’histoire de cette « épopée » est présentée de façon chronologique. Soulignant les aspects contrastés de cette évangélisation, le parcours montre dans ces premiers siècles des périodes d’« expansion rapide aux effets bénéfiques » auxquelles succèdent de terribles répressions.

+

japon