Beaucoup de gens, et les problèmes de dyslexie provoqués par la méthode globale n’ont fait, ces dernières décennies, qu’aggraver le phénomène, ne lisent pas, ou très peu. La lecture, loin d’être pour eux un loisir et un plaisir, se révèle d’un assommant ennui.
C’est en songeant à cette population de « non-lecteurs », que les éditeurs ont tenté de proposer des ouvrages faciles, souvent dépourvus d’intérêt littéraire mais aux intrigues assez attractives pour inciter à tourner la page. La machine a engendré quelques sérieux bénéfices, à défaut d’élever le niveau intellectuel et moral du public visé. Puis l’on s’est aperçu de l’émergence d’une nouvelle catégorie de « non lecteurs », plus gravement atteinte que la précédente, puisque rebutée sans remède par le livre classique. C’est à elle, entre autres, que s’adresse un nouveau genre, très en faveur ces derniers temps, le roman graphique.
De quoi s’agit-il ? Ni plus ni moins que d’une bande dessinée mais plus étoffée que les 48 feuillets des albums standards et permettant, à grand renfort d’images, de transmettre certaines connaissances à ceux qui ne feront jamais l’effort de lire un vrai livre. Faut-il en arriver à privilégier cette forme de littérature et renoncer, du même coup, à ramener ce public à la lecture classique ? Vaste débat que certains éditeurs catholiques ont tranché en tentant d’offrir des romans graphiques de qualité et d’évangéliser par ce biais.
En ce domaine, Au revoir, les enfants ; la véritable histoire du Père Jacques, prêtre, déporté, juste parmi les nations que signent Jean Trolley et Camille W. de Prévaux (Le Rocher ; 135 p ; 16,90 €.) se révèle une authentique réussite.
Né en 1900 dans un milieu ouvrier, Lucien Bunel entend très tôt l’appel du Christ. Pour devenir prêtre, il accepte sacrifices et humiliations. Cependant, malgré ses succès de prédicateur et d’éducateur, qui font de lui une figure du clergé normand, le jeune homme, mal à l’aise dans la vie séculière, finit par entrer chez les Carmes au couvent d’Avon. Là encore, les épreuves s’enchaînent. C’est finalement en parvenant à associer vie contemplative et vocation enseignante, grâce à la fondation d’un collège adjoint au couvent, que l’abbé Bunel, devenu le Père Jacques, trouve sa voie, avec l’appui de son provincial, le Père Louis de la Trinité, qui sera dans le monde l’amiral Thierry d’Argenlieu.
Blessé par la défaite, indigné par l’Occupation, le Père Jacques et plusieurs de ses frères s’engagent dans la Résistance et font d’Avon, outre une filière d’évasion pour pilotes alliés, un refuge pour les enfants et les enseignants juifs. Dénoncé, arrêté avec ses protégés par la Gestapo, déporté à Sarrebrück au printemps 1944, puis à Mathausen, où, seul prêtre catholique, les autres ayant été regroupés à Dachau, il sera pour ses compagnons d’infortune, l’ultime secours, le Père Jacques se donnera sans compter pour soulager les misères physiques, morales et spirituelles de ses camarades, se privant du minimum vital afin de maintenir en vie les plus faibles. Il en mourra, martyr de la charité, au lendemain de la libération du camp.
Avec la disparition des générations qui ont connu la Seconde Guerre mondiale, se multiplient les ouvertures de causes de béatification de victimes du nazisme. Il est probable que le diocèse du Havre s’intéressera un jour ou l’autre au Père Jacques .
L’homme, incontestablement, est une belle figure, et ses combats spirituels mériteraient que l’on s’y arrête, autant et plus, peut-être, car ils les expliquent, que son héroïsme et son abnégation. Le roman graphique ne se prête malheureusement pas à ce type d’introspection et une vrai biographie reste à écrire.
Bien que romancée, puisque la vie du Père Jacques est racontée à travers l’enquête d’un journaliste des années 50 parti à la recherche « d’un homme, un vrai », l’histoire reste cohérente et proche de la réalité, grâce aux efforts de la scénariste Camille de Prévaux. Les dessins, au graphisme très sobre, parfois très dur, de Jean Trolley, en noir et blanc, évoquent bien l’atmosphère de l’époque. En cela, l’album constitue une vraie réussite, bien davantage que celui consacré à Geneviève De Gaulle Anthonioz écrit par Coline Dupuy et Jean-François Vivier, illustré, assez mal, car les visages sont souvent laids, et les ressemblances manquées, par Agosto Stephan (éditions du Rocher. 52 p. 14,90 €).
Nièce du général De Gaulle, Geneviève De Gaulle estime de son devoir de s’engager dans la Résistance. Arrêtée, déportée à Ravensbrück, elle en est libérée après l’arrivée de son oncle au pouvoir, le régime nazi pensant, à tort, pouvoir se servir d’elle. Loin de l’avoir brisée et repliée sur elle-même, la déportation a, au contraire, ouvert le cœur et l’âme de la jeune fille à toutes les souffrances et toutes les injustices, ce qui la pousse, quelques années plus tard, à s’associer au combat du Père Wresinski en faveur du quart monde, ces populations pauvres rejetées aux périphéries de grandes villes en pleine reconstruction où la misère n’a plus droit de cité. Ce sera l’œuvre de toute sa longue vie.
L’on peut regretter que cet aspect caritatif soit en partie recouvert par des considérations politiques propres à brouiller le message et susceptibles d’agacer. Et l’on en revient, fatalement, à la question de savoir si une bande dessinée, destinée à un public adulte, peut remplacer l’analyse et la réflexion, qu’offre seul l’écrit.