Bénéficiant d’une grande bienveillance dans certains milieux catholiques, la philosophie d’Auguste Comte est-elle réellement anti-révolutionnaire ? Un retour sur le positivisme permet de saisir l’intérêt de cette doctrine et de comprendre comment son matérialisme l’empêche d’embrasser toute la nature de l’homme et de la société en ne se penchant pas sur leurs fins.
Le positivisme a souvent bénéficié dans le camp contre-révolutionnaire et catholique d’un coefficient de sympathie, dont la cause réside dans l’influence qu’a exercée la philosophie d’Auguste Comte (1798-1857) dans la critique des Lumières. Il fut même considéré comme l’un des principaux adversaires intellectuels des « principes immortels », c’est-à-dire de l’idéalisme révolutionnaire, fournissant des outils méthodologiques repris sans inventaire, parfois confondus avec la philosophie réaliste. La lecture des écrits d’Auguste Comte, dont la pensée incorpore la politique et la sociologie dans les sciences naturelles, laisse cependant peu de place au doute sur la dimension résolument moderne et révolutionnaire du positivisme.
La loi des trois états
Accordant une grande place à l’Histoire, il y voit une évolution résumée dans sa loi des trois états, qu’il applique au politique comme à tous les domaines de la connaissance. Le premier état serait l’état théologique, dans lequel les hommes expliquent les événements à partir de causes surnaturelles (le destin, la Providence). Le second état est dénommé « métaphysique », des entités intellectuelles (liberté, égalité, droits individuels…) prenant la place des agents surnaturels. Cette période historique atteint son acmé avec la Révolution française. Vient nécessairement ensuite l’état positif, dans lequel les hommes abandonnent toute recherche des causes premières et des fins, qu’elles soient surnaturelles ou métaphysiques, au profit de la seule connaissance des lois scientifiques qui régissent le fonctionnement du monde tant physique que social. Il explique que cette méthode scientifique a d’abord été appliquée pour les mathématiques et la physique, avant d’« embrasser l’ordre vital » puis, dit-il, le positivisme «vient de s’étendre enfin, à l’ordre humain, collectif et individuel » [1]. Très marqué, comme la très grande majorité des auteurs de son temps, par la dominante biologique dans le domaine scientifique, sa méthode conduit à l’exposé d’une physique sociale, idée reprise par toute la sociologie qui examine les faits sociaux comme des objets d’étude scientifique soumis aux mêmes lois que tout organisme vivant. Pour Auguste Comte, « il en est, en politique des divers états de civilisation, comme des organisations diverses en physiologie » [2].
Une nouvelle religion
C’est au nom de…