> Édito du Père Danziec
Il avait le regard d’un enfant, doux et placide. Son charisme sublimait sa bonté quand sa foi transcendait sa mélancolie. Il était généreux, dévoué, disponible. Son allure débordait de vitalité mais il savait puiser dans le recueillement de quoi refaire ses forces intérieures. Ses traits, parfois soucieux, suggéraient que l’heure était au tragique. Homme de devoir, de prière et de parole : il appartenait à une espèce devenue trop rare ; et dont il faudrait une légion pour colmater un pays en danger.
Il savait le prix du sacrifice et le risque à courir pour faire ce que doit. Il aimait son pays comme on peut s’éprendre d’une jolie femme, résolument. Il aimait l’Église comme un mari peut se consumer pour son épouse, fidèlement. Lorsqu’il prenait la parole, l’atmosphère prenait des airs de ciel d’azur. Il irradiait avec un naturel divin. Il s’appelait Jerzy. Il était jeune, il était prêtre et il y a 40 ans exactement, la police politique polonaise le capturait, le torturait avant de l’assassiner.
Un protecteur dévoué à sa vocation
L’actuel président de la République polonaise, Andrzej Duda, témoignait récemment à propos du prêtre martyr : « Son service pastoral auprès des travailleurs et de l’opposition démocratique lui a valu la réputation d’un guide spirituel et d’un protecteur pleinement dévoué à sa vocation. »
C’est dans le contexte historique d’une Pologne mutilée par le totalitarisme communiste que le père Jerzy Popiełuszko a offert son sacerdoce. Au pays de la peur, des tabous et de la dissimulation, un infatigable amour de la vérité guidait ses paroles et ses actes. Aux prêtres vendéens déportés sur les pontons de Rochefort durant la Révolution française, aux ecclésiastiques morts à Dachau dans les camps de la mort du nazisme durant la Deuxième Guerre mondiale, son nom s’ajoute dans la cohorte de ces serviteurs de Dieu qui vont jusqu’au bout de leur témoignage.
Alors qu’au mois d’août 1980, un mouvement de grèves sans précédent s’abat sur la Pologne, le jeune prêtre Popiełuszko ne se refuse pas à s’exposer en célébrant la messe sur un autel de fortune dans une aciérie à l’arrêt et en pleine effervescence. La popularité croissante de ce prédicateur hors du commun agaçait le pouvoir communiste. Ils sont alors des milliers à assister religieusement à ses « Messes pour la Patrie et ceux qui souffrent pour elle ».
De ces célébrations qui attirent les foules, le père Jerzy tient à ce que le climat spirituel de la nef respecte deux points non négociables : profondeur de la prière et sentiments patriotiques. Ni meeting ni manifestation, l’aumônier de Solidarność veut simplement amener les fidèles à sortir de l’église à l’issue de la messe en étant « recueillis et graves », comme il le confiera dans ses notes personnelles.
Que de tourments pour la Nation
Jean Offredo, présentateur du JT de 20 heures sur TF1 au début des années 1980 et lui-même natif de Pologne, éditera Les Carnets intimes du prêtre martyr deux ans après sa mort. Dans son avant-propos, le journaliste avertit le lecteur :
« Jerzy Popiełuszko savait que son attitude et son engagement provoquaient de vives réactions. Dans le cercle du pouvoir communiste bien évidemment, mais aussi au sein de son Église, bien qu’il en fût un fidèle et dévoué serviteur. De tout cela il parle avec pudeur, même quand il éprouve inquiétude ou doute, dans son journal, ses carnets intimes, où il écrit face à lui-même et à sa conscience. »
Le 13 novembre 1982, l’homme de Dieu laisse entrevoir ses sentiments profonds en les couchant sur son cahier de notes à couverture bleue :
« Que de tourments pour la nation, sous la dictature militaire. Gloire à ceux qui souffrent pour la patrie, qui ne plient pas sous le joug des méthodes policières. (…) Nos autorités – pas les religieuses bien sûr – ne se remettent pas de ces messes pour la Patrie que je célèbre chaque dernier dimanche du mois. Elles disent que ce sont là les plus grands meetings tenus sous l’état de guerre. Ils peuvent m’interner, ils peuvent m’arrêter et préparer un scandale, mais je ne peux certes pas cesser mon activité, qui est un service rendu à l’Église et à la Patrie.»
Éveilleur de consciences, le père Jerzy Popiełuszko aura jeté à la face du communisme – « vieillesse du monde et règne du mensonge » (Jean Madiran) – et l’intrépidité de sa jeunesse et son amour du Christ. Lors de ses funérailles, plus de 600 000 personnes, pour la plupart ouvriers, petits et sans-grade, se presseront dans une même prière autour de sa dépouille défigurée. Un immense panneau sera suspendu au-dessus de son cercueil portant l’inscription: « Bóg – Honor – Ojczyzna / Dieu – Honneur – Patrie ».
Aujourd’hui comme hier, il s’agit d’une jolie devise pour temps troublé. Plus qu’une devise, il serait même pertinent d’y voir un programme de redressement.
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