Comme chaque 14 février, la célébration des amoureux revient à grand renfort de publicité. Année après année, la « Saint-Valentin » met surtout en évidence, le grand vide affectif produit par le chambardement civilisationnel des années post 68.
En 1937, lorsque Blanche-Neige fait l’étalage de son espérance aux sept petits nains que l’on connait, elle leur chante d’une voix douce, la certitude engageante qui habite son cœur : « un jour mon prince viendra ». 75 ans plus tard, une deuxième guerre mondiale, une révolution étudiante et un bouleversement numérique sont passés par là : l’atmosphère a changé. La Reine des Neiges, nouvelle héroïne Disney contemporaine, est bravache et revancharde. A grand renfort de décibels, indépendante et le poing levé, elle s’écrie : « Libérée, délivrée ».
Une confusion anthropologique
Hier comme aujourd’hui, le cœur humain reste habité des mêmes aspirations intimes. Quelle jeune fille ou quel adolescent n’a jamais rêvé de rencontrer le grand amour ? Encore faudrait-il savoir de quoi l’on parle. Le chanteur Emmanuel Moire, dans le tube de son album – Ne s’aimer que la nuit – s’interroge précisément sur la nature du mal-être présent : « On pourrait faire l’amour. Mais l’amour, c’est fait de quoi ? ».
La question révèle tout le drame actuel des relations intimes. Et le tragique de la Saint-Valentin en 2023.
L’ancien vainqueur de Danse avec les stars, sans le savoir probablement, met le doigt sur l’une des plus graves contradictions de la postmodernité. A l’heure des facilités de l’Intelligence Artificielle et autre ChatGPT, l’homme se trouve dans le même temps dessaisi du sens des choses et des repères élémentaires. Son pouvoir sur la nature est sans conteste, mais déraciné du réel, ses affects non élevés, le voici devenu irresponsable, immature ou despote, c’est selon.
La révolution sexuelle pensait délivrer les désirs humains de leurs contraintes naturelles ou sociales. Elle aura surtout passablement abimé la qualité de leur réalisation. L’ère de l’amour libre, de la contraception et de la permissivité morale a opéré un bouleversement anthropologique majeur dans les relations humaines, et dans ce qu’elles ont de plus intime.
Toutes les révolutions ont leur retour de bâtons. Hannah Arendt avait prévenu : « Le monde devient inhumain lorsqu’il est emporté dans un mouvement où ne subsiste aucune espèce de permanence ».
La facilité déconcertante avec laquelle est envisagée aujourd’hui l’union de deux êtres dit beaucoup de l’insoutenable légèreté de notre société sur des sujets aussi graves et conséquents que peuvent être ceux de l’amour courtois, des défis de la fidélité ou de l’élégance de cœur. Non, il n’y a rien d’anodin à déshabiller son être.
On ne fait pas l’amour comme l’on fait son lit ou un gâteau. Pas plus qu’on ne « fait » la fête ou un enfant. On célèbre quelque chose ; et en cela l’amour tire tout son sublime. On se rencontre, on se retrouve. On échange et on se communique. Dans les choses les plus ordinaires du quotidien comme dans le confidentialité d’une relation. Dans la retenue comme dans la tendresse.
On se donne d’une façon spéciale, renouvelée et unique à la fois. On se transporte aussi. Au final, surtout, on s’élève. Et cela s’apprend. Non pas techniquement, par le truchement de la pornographie ou à coup d’objets coquins. Rien ne sert de pimenter ce qui est déjà magnifique en soi.
Le triste bilan de l’amour libéré : du #metoo au #nokids
Sinon à perdre sa flamme, l’amour ne saurait devenir un produit de consommation. Imagine-t-on un seul instant le prince charmant assis sur la margelle d’une fontaine proposer à Cendrillon un coup d’un soir ? L’amour, ce ne peut être s’aimer que la nuit. C’est s’aimer pour toujours. La nuance est de taille.
Aimer son conjoint, aimer son pays, aimer sa famille, aimer son Seigneur imposent des sacrifices et réclament fidélité. L’appétit de l’autre, la complétude que l’on trouve dans la fusion des cœurs demande un pas à pas, une approche lente et progressive, un dévoilement prudentiel.
Tout le contraire du déshabillage empressé, de « la hâtive et irrépressible jouissance, la brûlure que donne au corps le seul contact d’un corps, le plaisir gâché et gaspillé » dont parle Brasillach avec une grande finesse dans l’une des plus belles pages de son roman Les Sept Couleurs. Le monde érotisé ne rend pas les gens davantage heureux. Le tout sexuel réduit l’amour humain à sa pesanteur terrestre quand, au contraire, sa dimension charnelle devrait lui donner des ailes.
La Saint-Valentin, loin de célébrer l’amour durable, exploite les passions humaines pour mieux en tirer profit. Et se rire d’elles ensuite.
On pourra s’étonner que les députés LFI, pourtant si prompts à accuser le grand capital, ne s’indignent pas de la marchandisation des sentiments. 50 ans après mai 68, à l’heure de tous les possibles et de toutes les permissivités, l’état de l’amour dans les sociétés occidentales laisse songeur : scandales #metoo, mouvement #nokids, prolifération des familles monoparentales, multiplication des célibataires… Le bilan de l’amour libéré est sans appel. Il est surtout déplorable.
Face à l’injonction du « jouir sans entrave », il devient urgent de rappeler la priorité « d’aimer sans limite ». Jusqu’à l’oubli de soi. Jusqu’au don de sa vie. Et parfois même son sacrifice. Telle fut la manière du Christ de nous enseigner l’amour. « Il n’y a pas plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13).
La perfection des choses, des êtres comme celle des sentiments nécessite des efforts, du courage, de l’abandon. De la patience aussi. Si Rome ne s’est pas faite en un jour, l’amour ne saurait se dessiner en une nuit. Il est l’intime travail d’une vie. Et selon saint Jean de la Croix, nous serons même jugés sur lui.
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