Lambeth : le cardinal Kasper en appelle à un « nouveau Mouvement d’Oxford »

Publié le 31 Juil 2008
Lambeth : le cardinal Kasper en appelle à un « nouveau Mouvement d’Oxford » L'Homme Nouveau

« Je sais que beaucoup d’entre vous êtes préoccupés – et certains le sont profondément – par la menace d’éclatement de la Communion anglicane. Nous ressentons une profonde solidarité avec vous, car nous aussi nous sommes préoccupés et attristés de devoir vous demander : dans un tel scénario quelle forme pourrait présenter demain la Communion anglicane et avec quel partenaire pourrons-nous poursuivre le dialogue ? Devrons-nous – et comment – judicieusement et honnêtement engager aussi des négociations avec ceux qui partagent les points de vue catholiques sur les questions qui sont objets de controverse, et qui marquent leur désaccord avec certains développements dans la Communion anglicane ou dans certaines provinces anglicanes [1] ? Dans une telle situation, qu’attendez-vous de l’Église de Rome  qui, selon les paroles d’Ignace d’Antioche, doit présider sur toute l’Église dans l’amour ? Comment les travaux de la Commission internationale Anglicane-Catholique Romaine (ARCIC) [2] sur l’épiscopat, l’unité de l’Église et la nécessité de l’exercice  de la primauté au niveau international peuvent aider la Communion anglicane dans la situation présente ? »*

Dire que le discours du cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens était attendu, c’est trop peu dire. Après la “leçon” du cardinal Ivan Dias, les évêques anglicans réunis à Lambeth ne savaient plus trop qu’attendre de celui qui a présidé, avec courtoisie – certains disent avec trop de gentillesse – un dialogue qui a pu être fécond dans le passé. Le cardinal Kasper a lui aussi asséné sa “leçon”, ce mercredi 30 juillet, dans un lieu plus grand que celui qui avait été initialement prévu, et qu’il a fallu trouver dans la plus grande précipitation car tout le monde souhaitait écouter ce discours dont on devinait, par avance, qu’il serait d’importance. Et il le fut, ne serait-ce que par la difficulté de l’exercice dont le thème avait été fixé par le Dr Rowan Williams : « Réflexions catholiques sur la Communion anglicane ». « Vous auriez pu trouver plus facile » – a lancé le cardinal Kasper à son hôte, sans doute pour détendre l’atmosphère, car ses « réflexions » ne porteront pas à rire ni à sourire – « Mais je crois qu’il y a une question cachée dans le titre. Elle porte sur ce que les catholiques pensent non pas tant de la Communion anglicane que de sa situation actuelle. Il y a des questions moins embarrassantes… ». Le cardinal replace donc son exercice au cœur du débat ou, pour mieux dire de la controverse qui ébranle l’anglicanisme.

La première partie du discours se résume à un vaste tout d’horizon du dialogue œcuménique avec l’anglicanisme engagé dans l’ARCIC. Les progrès notables et indiscutables accumulés au cours de 35 années de discussions vont constituer le contrepoint de la suite de l’exposé, car à l’optimisme des succès a succédé l’amertume des déceptions. Cette première partie se conclut d’ailleurs par une interrogation du cardinal qui n’est pas loin d’un constat de lassitude et d’impuissance : « Aussi je soulève ces questions, non pas pour juger mais comme un partenaire œcuménique qui a été profondément découragé par les récents développements, et qui souhaite vous offrir une honnête réflexion, d’un point de vue catholique, sur le comment et le vers quoi pouvons-nous aller de l’avant dans le contexte actuel ».

Suivent, dans une deuxième partie, des « considérations ecclésiologiques » qui s’appuient sur l’ecclésiologie développée par saint Cyprien de Carthage, et sur la double notion d’une Église apostolique synchronique et diachronique. À cet égard, le cardinal Kasper constate que, dans l’anglicanisme, « on n’a prêté que peu d’attention à l’importance d’être en communion avec la foi de l’Église au cours des âges », avec « l’Église de toujours », précise-t-il plus loin. C’est cette rupture avec la “diachronicité” de l’Église qui constitue l’erreur ecclésiologique majeure de l’anglicanisme, la cause de ses maux présents notamment « les tensions croissantes dans la Communion anglicane » ce que le cardinal ressent comme « particulièrement décourageant ». Mais l’anglicanisme souffre d’un autre défaut ecclésiologique : « Il nous semble aussi que l’attachement anglican à être “dirigé épiscopalement et gouverné synodalement” n’a pas toujours fonctionné dans le sens du maintien de l’apostolicité de la foi [3], et qu’un gouvernement synodal compris à tord comme une sorte de processus parlementaire a parfois bloqué le type de direction épiscopale envisagée par Cyprien et formulé par l’ARCIC ». Cette double critique des errements ecclésiologiques de l’anglicanisme est une grande première dans le discours public du cardinal Kasper.

La troisième et dernière partie du discours du cardinal Kasper se compose de ses « réflexions sur des questions particulières qu’affronte la Communion anglicane ». Il rappelle la doctrine catholique sur l’ordination des femmes, la question de l’homosexualité dans le clergé et évoque le célibat ecclésiastique « qui n’est pas qu’une position disciplinaire mais l’expression de notre fidélité à Jésus-Christ ». Sur toutes ces questions, le cardinal Kasper constate que la Communion anglicane « s’est considérablement rapprochée des Églises [ ?] protestantes » avec pour corollaire un éloignement d’autant plus sensible des positions catholiques. La conclusion s’impose : « Il semble désormais que la pleine et visible communion en tant que but de notre dialogue a grandement régressé, et que notre dialogue disposera de moins de buts finaux ce qui aura pour effet d’en altérer la nature ». On comprend le « découragement » du président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.

La seule solution, pour tâcher de renouer ce qui semble désormais rompu, serait, selon le cardinal Kasper, que l’anglicanisme songe à « un nouveau Mouvement d’Oxford , à une redécouverte des richesses que recèle votre propre maison. Ce serait accueillir de nouveau la Tradition apostolique et recourir de nouveau à elle dans cette situation nouvelle ».
Sera-t-il entendu ?

* Je ne dipose pas, au moment d’écrire cet article, de la version française du discours du cardinal Kasper. Je m’appuie donc sur la version officielle en anglais. Une traduction en italien a été publiée dans L’Osservatore Romano du 30 juillet, et l’agence Zenit en a publié des bribes, ce même jour, mais retraduit de l’italien en anglais…
[1] L’allusion – sous forme de menace ou, pour le dire plus courtoisement, sous forme de constat du réel – se rapporte indirectement à la Traditional Anglican Communion, et plus directement au groupe mené par l’évêque Andrew Burhnam et même au quasi “schisme” de la Fellowship of Confessing Anglicans (« certaines provinces anglicanes »).
[2] L’ARCIC a été créée en 1966 après la rencontre entre Paul VI et Michael Ramsey, archevêque de Cantorbéry. Des très nombreuses réunions de travail qui se sont déroulées entre 1971 et 2005, sont sortis d’intéressants accords doctrinaux dont le cardinal Kasper va, littéralement, truffer son discours.
[3] Cette remarque est intéressante dans son hypothèse mais curieuse dans sa conclusion : la nature “apostolique” de l’anglicanisme semble en effet une vue de l’esprit mais pas une réalité.
 

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