Lettre ouverte au directeur de Marianne

Publié le 08 Avr 2009
Au quotidien n° 247 : état de droit et refondation politique L'Homme Nouveau

Par principe, je ne suis pas très porté sur le genre de la « lettre ouverte ». J’en ai tant lu qui s’adressent à tous, sauf réellement à leurs destinataires, que je suis devenu un peu méfiant. Cet état d’esprit a été renforcé par le fait que notre pays, et singulièrement le petit monde médiatique, ignore généralement le débat, surtout avec ceux qui n’ont pas l’heur d’appartenir aux grands groupes en place. Le « Small is Beautiful » de E.F. Schumacher n’est pas une référence très pratiquée dans notre société libérale.
Mais si aujourd’hui je dépasse ma méfiance instinctive pour vous écrire, c’est que j’ai lu avec intérêt, quoique sans surprise, l’appel de Marianne (n° 622 du 21 au 27 mars dernier) à soutenir Témoignage chrétien. J’écris sans surprise, non par sous-entendu moqueur, mais parce que j’ai remarqué par le passé que vous aviez, à plusieurs reprises, lancé des appels similaires pour soutenir des titres, même quand ceux-ci ne vous ménageaient pas leurs critiques. L’argument habituel utilisé dans vos colonnes est celui de la défense du « pluralisme et de l’indépendance de la presse », dans un monde qui, malheureusement, a pris l’habitude de marcher au pas.
Concernant Témoignage chrétien, votre collaboratrice, Perrine Cherchève, s’appuie sur le même argument, ce qui prouve une constance dans vos choix. Elle en ajoute d’autres, bien sûr, tels que le souvenir du passé résistant des fondateurs de Témoignage chrétien ou celui des divers combats menés par cet organe de presse (« l’indépendance de l’Indochine et de l’Algérie, la création d’un État palestinien, le droit à l’avortement, le mariage de prêtres, etc. »). Elle relaie surtout l’urgent besoin d’argent de Témoignage chrétien qui, écrit-elle « n’a plus que 8 000 abonnés » et « ne doit pas disparaître. Surtout au moment où les positions du Vatican (…) ébranlent la conviction des croyants ».
Permettez-moi, Monsieur le Directeur, après ce rappel un peu fastidieux d’une réalité que vous connaissez bien, d’en venir à l’objet de cette lettre. Il s’agit d’une demande, d’une simple demande. Au nom du pluralisme et de l’indépendance de la presse ! Pourriez-vous lancer un appel similaire en faveur du journal dont je suis le rédacteur en chef, L’Homme Nouveau.
Puisque certainement vous ne connaissez pas ce titre, permettez-moi de nous présenter. Notre situation est certes moins critique que celle de Témoignage chrétien. Nous avons un peu plus d’abonnés, mais pas dans une marge suffisante pour nous permettre d’être à la hauteur, par exemple, de Marianne.
Fondé en 1946, L’Homme Nouveau est né de la volonté d’un prêtre, le père Fillère, qui fut pourchassé par la Gestapo pendant l’Occupation allemande. Son crime ? Avoir dénoncé avant-guerre le totalitarisme brun. Après le second conflit mondial, il n’a pas cru devoir tomber dans les bras d’un autre totalitarisme, rouge celui-là. Cela explique peut-être le fait que ce nom n’évoque rien pour vous.
À partir de 1962, et jusqu’en 1998, L’Homme Nouveau a été dirigé par Marcel Clément. Réfractaire du S.T.O., dans la clandestinité dès 1942, Marcel Clément appartenait à une équipe chargée d’établir le coût de l’Occupation allemande en France. C’est à ce titre qu’il a présenté au Gouvernement provisoire un rapport sur cette question en 1944. À la demande du gouvernement français il fut également, par la suite, chargé d’établir l’état des dommages commis par le Japon envers la France. Ces quelques rappels historiques pour vous montrer que nos origines ne diffèrent guère de celles de Témoignage chrétien et que notre ancienneté est à peine moindre.
Pourtant, des différences, il y en a, et je suis persuadé que vous ne pouvez n’y être que sensible, au nom justement de la défense du pluralisme de la presse. L’une de ces différences tient au fait que L’Homme Nouveau appartient uniquement à ses collaborateurs et à ses lecteurs (1). Contrairement à Témoignage chrétien, nous n’avons jamais reçu l’aide de capitaux extérieurs. Ainsi, nous n’avons pas bénéficié de l’apport de capital d’un Jacques Maillot, ancien P.-D.G. de Nouvelles Frontières, ou de grands groupes comme Bayard, Le Monde diplomatique et Le Monde. Pas plus que de quelque hypothétique caisse noire du Vatican.
 

C’est que, voyez-vous, nous ne pensons pas que la liberté de la presse puisse passer par ce type de soutien. Nous essayons – certes, ce n’est pas facile chaque jour –, d’être en cohérence avec nous-mêmes. Nous ne sommes pas socialistes, parce que nous estimons que le socialisme finit toujours en un capitalisme d’État. Nous ne sommes pas capitalistes, parce que nous voyons que le capitalisme ne l’est pas assez, réservant la propriété à quelques-uns, là où il faudrait la diffuser à tous. La propriété privée largement répandue nous semble être un facteur, non pas d’enrichissement, mais au moins de responsabilité et de liberté. Et il nous apparaît qu’il s’agit là de deux faces de la dignité de l’homme.
Mais notre autre grande différence avec Témoignage chrétien tient au fait que nous sommes à l’aise avec notre catholicité. Pour faire court, nous ne croyons pas, mais alors pas du tout, que parce qu’il est l’homme en blanc, le Pape doive être pris comme une cible systématique. C’est un genre de sport que nous ne pratiquons pas. Nous le laissons à ceux qui cherchent la facilité et, pourquoi ne pas le dire, le conformisme. À l’heure où l’ensemble des médias critique l’homme en blanc, dans un unanimisme inquiétant, nous réaffirmons que le tir à vue ne respecte pas les opinions et n’appartient pas aux règles du débat.
Nous nous étonnons même que l’on reproche à Benoît XVI de parler du préservatif alors que l’on ne cesse de dénoncer dans le même temps les soi-disant silences de Pie XII. Si dans quarante ans, la bonne presse d’opinion dénonce rétroactivement le scandale d’un préservatif non fiable contre le sida, que dira-t-on, alors, du pape Benoît XVI si jamais il se tait aujourd’hui ?
Notre choix à nous, ce qui fonde notre spécificité et notre ligne éditoriale, tient au fait que nous prenons le temps d’écouter cet homme en blanc qui est devenu la cible si facile et si visible du petit monde médiatique. Nous l’écoutons parce que, outre les principes de notre foi, nous nous méfions des caricatures et des lynchages. Notre honneur nous commande de ne pas y participer.
Vous imaginez bien que cette situation ne nous place pas dans une position commode dans notre époque. Vous imaginez bien que de ce fait il est vital, au nom du pluralisme de la presse que vous défendez tant, que notre petite voix puisse continuer à exister, voire à se développer.
Certain de votre compréhension, je suis persuadé que Marianne ne s’arrêtera pas sur sa lancée et qu’après avoir appelé à soutenir Témoignage chrétien, votre publication appellera aussi à soutenir L’Homme Nouveau.
Fort de cette certitude, je vous prie de me croire, Monsieur le Directeur, votre lecteur attentif.

1.Je vous conseille à ce sujet de lire l’ouvrage de G.K. Chesterton que nous venons d’éditer : Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste (Éd. de L’Homme Nouveau, 240 p., 22 e).
 

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