La pause liturgique : Graduel Veníte fílii (13ème dimanche ordinaire, 7ème dimanche après la Pentecôte)

Publié le 01 Juil 2023
Grégorien

Venez, mes fils, écoutez-moi ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur.

Approchez-vous de lui et vous serez illuminés et vos visages ne seront pas confondus.

(Psaume 33, 12, 6)

 

Thème spirituel : la crainte de Dieu

Le beau psaume 33 (34 selon l’hébreu) auquel est emprunté notre graduel, est un cantique d’action de grâce (« Je bénirai le Seigneur en tous temps, sa louange sans cesse à mes lèvres ») qui se prolonge en exhortation à partir de son verset 12, celui précisément que le compositeur a retenu au début du graduel.

Avec ce verset, on est en pleine littérature sapientielle : le poète se fait maître de doctrine et même père de famille. Il invite ses enfants à se rassembler autour de lui afin de leur délivrer un message qui concerne leur vie spirituelle, leur vie d’enfants de Dieu. Ce message a pour thème général la vie bienheureuse. Il nous prend tous par notre intérêt. Quand on nous invite au bonheur, on ne se récuse pas.

« Où est l’homme qui désire la vie, épris de jours où voir le bonheur ? » (verset 13)

Pourtant, la grande différence entre cette invitation biblique et les messages alléchants des panneaux publicitaires du monde moderne éclate d’emblée lorsqu’on lit les versets qui précèdent et qui suivent immédiatement ce verset 13 : ce qui précède, c’est le texte de notre graduel :

« Venez, fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. » ;

et ce qui suit, ce sont les versets 14 et 15 :

« Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses ; Évite le mal, fais le bien, recherche la paix et poursuis-la. »

Voilà les slogans de la parole de Dieu dans la littérature de sagesse. On est loin du « faites-vous plaisir » qui se décline sous toutes les formes du naturalisme matérialiste de notre époque.

Le vrai bonheur se fonde sur la crainte de Dieu. Cette vérité est assez mal reçue de nos jours. On prône la proximité de Dieu, on insiste sur sa bonté et sa miséricorde et on a tendance à oublier sa transcendance et sa grandeur. Ce mot de crainte sonne mal à nos oreilles et on l’identifie à tort à la peur ou à l’humiliation. En réalité, la littérature biblique distingue plusieurs sortes de crainte, et notamment une bonne crainte et une mauvaise crainte. La mauvaise, c’est la crainte de l’esclave, la crainte servile qui redoute le châtiment et s’abstient du mal par peur de la punition. Et la bonne crainte, c’est la crainte filiale ou la crainte de l’épouse (on pourrait tout autant dire de l’époux), crainte qu’on pourrait qualifier d’amoureuse. C’est la crainte qui redoute non pas le châtiment, mais de déplaire à celui qu’on offense en agissant mal. Cette crainte est belle, elle demeure crainte mais elle est toute imprégnée d’amour et de délicatesse. C’est en ce sens que saint Jean affirme que l’amour bannit la crainte. C’est évidemment à cette crainte qu’invitent le psalmiste et le compositeur de notre graduel. La simple mention « venez mes fils » doit nous mettre sur la piste. L’idéal de l’éducation n’est certainement pas qu’un fils ait peur de son père. Mais le petit enfant possède naturellement la crainte d’amour qui le fait trembler, non de peur mais plutôt d’admiration, devant son père. Et si le père sait se servir de cette transcendance pour aimer son enfant, alors ce dernier n’aura jamais peur de son père, il l’aimera et cet amour se traduira en révérence et en profond respect. Le fils mettra toute sa joie à obéir et à plaire à son père, comme il fera tout pour ne pas le décevoir. Voilà la vraie crainte. Elle n’a rien d’humiliant, au contraire, elle porte les âmes vers la paix, vers le bonheur. Mais on comprend qu’ainsi envisagée, elle est finalement plus exigeante pour celui qui l’occasionne (le père) que pour celui qui la ressent. Ou plus exactement, la crainte devient le lieu de rencontre entre les deux amours, celui du père qui sert son enfant, et celui du fils qui lui fait confiance. C’est un secret de bonheur, il est vrai si difficile à atteindre ici bas ! Mais quelle belle image fournie par le verset 6 du psaume, retenu par le compositeur, et qui montre l’enfant s’avançant en toute confiance vers son père, le visage sans défense et tout illuminé, sûr de recevoir une caresse de la tendresse qui l’accueille et ne sait pas punir ! La crainte d’amour fait que l’enfant lit dans le cœur de son père, il a cette pureté qui lui permet de voir en vérité, et il s’avance en pleine confiance, recevant de son père la lumière qui s’inscrit sur son propre visage.

La crainte filiale et l’amour paternel ne se réalisent en plénitude qu’entre Jésus et son Père. Là, il n’y a aucune ombre de peur ou de méfiance. Nous avons besoin de savoir que cet idéal existe, qu’il définit même les relations entre les personnes divines, et qu’il tend à se reproduire dans notre vie d’enfants de Dieu, sur terre et dans l’éternité. L’Église nous redit ces belles paroles maternelles qui nous encouragent tant : « Venez, mes fils, écoutez-moi ; je vous enseignerai la crainte du Seigneur. Approchez-vous de lui et vous serez illuminés et vos visages ne seront pas confondus. »

Venite filii Partition graduel

Commentaire musical

C’est encore une mélodie du 5ème mode qui vient habiller ce beau graduel au message joyeux et clair. Il est plutôt court, composé de quatre phrases musicales assez sobres mais qui s’épanouissent bien dans le verset, selon des formules mélodiques types parfaitement adaptées au texte.

L’intonation est douce, aimante. Elle insiste d’emblée sur le caractère affectueux du message paternel ou maternel. Elle se déploie en une belle courbe partant du Ré, s’appuyant doucement sur la tonique Fa sur l’accent de veníte, montant légèrement jusqu’au La, manifestant un bel élan d’amour rendu par l’épisème situé sur l’accent de fílii que l’on doit interpréter avec beaucoup de complaisance, et redescendant doucement vers le Fa sur la cadence finale de fílii.

Puis la mélodie s’élève après l’intonation. L’intervalle La-Do qui inaugure l’incise suivante, sur audíte me, donne à ce passage un caractère un peu plus solennel, tempéré pourtant par la présence du Sib qui succède au Si naturel plus vigoureux. C’est désormais la corde Do, dominante du 5ème mode, qui représente le point d’ancrage de la mélodie. La cadence se pose en La, de façon un peu imprécise du point de vue de la modalité, mais avec une grande douceur affectueuse bien rendue par le dernier demi-ton Sib-La.

L’invitation se fait toujours doucement pressante dans la phrase suivante qui démarre au plan mélodique sur la même corde La où la première phrase s’était achevée. On revient sur timórem vers la dominante Do mais non pour y rester. À nouveau, en effet, la mélodie s’incurve, se parant d’une belle nuance de gravité, spécialement sur les mots docébo vos qui représentent la responsabilité du maître vis à vis des disciples. Il ne faut rien précipiter dans cette descente, bien mettre en valeur l’accent au levé de docébo, et poser délicatement et fermement le pronom vos, sur lequel un beau sursaut mélodique très expressif du profond respect paternel ou maternel, va ensuite se déployer pour conclure le corps du graduel, empruntant une formule type des graduels du 5ème mode.

Et avec le verset, on va demeurer dans l’atmosphère habituelle des graduels du 5ème mode, grâce à ces formules types pleines d’élan et de lumière. On peut noter notamment le bel élan initial, sur accédite, avec son arpège Fa-La-Do, classique mais rendu très expressif par son syllabisme, qui atteint la corde dominante, s’y épanouit et se déroule à partir d’elle en un mélisme très entraînant qui correspond parfaitement au message du texte : venez ! La mélodie, après une incursion profonde dans les notes graves, monte et s’enthousiasme progressivement, se gonfle de joie et d’ardeur communicative, dépasse bientôt le Do pour atteindre le Ré puis le Mi dans la troisième incise. C’est alors le sommet de toute la pièce, qui arrive heureusement sur les mots ad eum, désignant le Seigneur, mentionné dans la première phrase. Il n’est vraiment question que de lui dans tout ce graduel et le but de ce chant est précisément de nous le faire craindre, c’est-à-dire aimer à la manière d’un enfant ou d’une épouse. On peut penser à la course du petit enfant, tout joyeux, vers son père qui lui tend les bras. Il s’y jette avec bonheur, et son élan est la meilleure preuve de son amour filial. L’enthousiasme mélodique se poursuit sur la vocalise très heureuse de etilluminámini, bien lancée par le passage syllabique à l’unisson sur la corde Do qui sert de tremplin, en crescendo et accelerando progressifs vers l’accent somptueux du verbe qui jaillit comme une magnifique gerbe de lumière. On a là l’expression d’un grand bonheur. C’est la lumière divine qui se reflète sur le visage des enfants de Dieu. La phrase se termine sur une cadence en La, après une retombée légère sur la finale de illuminámini. Cette première phrase, parfaitement adaptée au texte, est une splendeur de légèreté, de vie, de mouvement joyeux.

En contraste, la dernière phrase apparaît plus sobre. Le syllabisme de fácies vestræ est plus large que celui de et illuminámini. Il abouti au La, donc au grave, et prélude à la formule type de la fin de la pièce qui se déploie simplement, sans caractère spécifique, mais de façon quand même chaleureuse et cohérente avec l’ensemble, sur non confundéntur. Le non est bien posé, de même que les syllabes accentuées deconfundéntur. À mesure qu’on approche de la fin, on élargit le mouvement. Les intervalles de tierce et de quarte du début nous y ont aidé tout naturellement. Ainsi s’achève ce chant de lumière et de confiance qui traduit si heureusement la joie sans mélange des enfants de Dieu.

Pour écouter ce graduel :

un moine de Triors

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