Christianophobie : la réaction de Michel De Jaeghere

Publié le 14 Fév 2012
Christianophobie : la réaction de Michel De Jaeghere L'Homme Nouveau

Dans le dernier numéro de L’Homme Nouveau, le journaliste et écrivain Michel De Jaeghere, auteur notamment chez Renaissance Catholique d’un livre Enquête sur la christianophobie qui popularisa, à partir de 2001, cette expression, revient sur le débat entre l’abbé Grosjean et l’abbé de Tanoüarn que nous avions publié après les différentes manifestations liées aux spectacles dévoyant la figure du Christ. Nous publions ici la première partie de la réponse de Michel De Jaeghere, le texte intégral de son intervention étant à lire. On peut se le procurer en commandant le dernier numéro de L’Homme Nouveau (à commander auprès de nos bureaux, 10, rue Rosenwald, 75015 Paris, tél. : 01 53 68 99 77 ou en version numérique sur ce site).

Sur les réserves qu’inspire à M. l’abbé Grosjean le concept de christianophobie

Je ne suis pas certain d’avoir inventé le terme. Au moins l’ai-je popularisé à partir de 2001 à l’occasion d’une conférence que j’avais prononcée sur le sujet à l’Université d’été de Renaissance catholique, puis lors du congrès organisé à la Mutualité de Paris par M. l’abbé de Tanoüarn en 2005, enfin quelques mois plus tard lors de la publication de mon livre (1). Il ne s’agissait pas, dans mon esprit de « victimiser » les catholiques, d’entrer dans une logique « communautaire », moins encore de prétendre pour eux à la palme du martyre, mais de récupérer le vocabulaire de l’adversaire (ce qu’on appelle communément un argument ad hominem) pour faire toucher du doigt le fait que les mêmes qui traquaient les phobies de toutes sortes au nom du sacro-saint principe de lutte contre toutes les formes de discrimination n’avaient aucun scrupule à éprouver des phobies, et à mettre en œuvre des discriminations, quand il s’agissait pour eux de mettre en cause le christianisme. J’ai d’ailleurs essayé d’expliquer pourquoi dans mon livre.

Le terme qui commençait, alors, à être utilisé ici ou là, était celui de « cathophobie ». Je l’ai récusé, justement, parce qu’il me semblait renvoyer à un réflexe victimaire et communautaire qui me paraissait à proscrire. La déploration par les catholiques du mal qu’on peut leur faire ne mène à rien. Moins encore lorsqu’elle s’accompagne de comparaisons désabusées avec la condition privilégiée dont bénéficieraient les autres religions. Le catholicisme « identitaire », au terme duquel l’amour de ce que l’on est risque de supplanter celui que l’on doit à Dieu, est une tentation à laquelle nous devons résister : on croit défendre la vérité, on ne défend, en dernier ressort que soi-même.

Dans christianophobie, au contraire, il y avait le mot Christ, et c’était une manière de dire que la haine qu’elle manifestait dépassait nos personnes.

Christianophobie

L’objet de mon livre était de tenter d’expliquer pourquoi, face à une Église qui ne prétendait plus imposer un quelconque modèle social ou politique, qui se contentait de « proposer » sa foi dans le concert du pluralisme libéral, on assistait à une remontée de la culture anti-chrétienne d’une violence saisissante. Le phénomène avait été diagnostiqué, avant moi, par le cardinal Billé, alors président de la Conférence épiscopale et par l’historien René Rémond, qui en avait même fait un livre (par ailleurs médiocre), Le Christianisme en accusation

 (2000).

Ma principale conclusion était que la racine de la christianophobie était la haine du Christ, qu’à son origine, il y avait la christophobie d’un monde moderne dont les principes directeurs (ceux du consumérisme hédoniste et libertaire) étaient à l’opposé de l’Évangile. Il est bien vrai que cette hostilité ne fait pas des chrétiens d’Occident des martyrs. Il reste qu’il condamne certains d’entre eux (je pense notamment à un certain nombre d’intellectuels, d’écrivains, d’universitaires ou de journalistes) à une relégation sociale et professionnelle qui, pour ne pas être sanglante, peut être parfois rude, le comble étant que les autorités de l’Église y participent souvent elles-mêmes en alignant leurs jugements sur ceux de leurs adversaires.

Il demeure aussi que sont organisées, de temps à autre, des « chasses à l’homme » contre certains chrétiens. Le docteur Dor a été emprisonné pour avoir récité le chapelet dans la rue. L’Italien Rocco Buttiglione a été récusé par la commission européenne pour délit de christianisme. Des prêtres ont été faussement accusés de pédophilie, déshonorés et parfois condamnés pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Des écoles (hors contrat) font l’objet de harcèlement juridique ou médiatique. Des communautés religieuses sont montrées du doigt comme sectaires par la presse. Cela n’est pas rien et cela dessine, à mon avis, le visage de ce que pourrait être à l’avenir, par amplification de ces phénomènes, une « persécution sèche ».

Face à cette situation, mon livre ne visait pas à inciter les catholiques à se plaindre (ce qu’il a pu les conduire d’ailleurs à faire, malentendu qui m’a amené à abandonner par la suite le sujet) mais à les engager à être prêts à faire face à une hostilité qui ne peut à mes yeux que croître, en renonçant à l’illusion assez répandue selon laquelle, en édulcorant un peu le christianisme, on pourrait le rendre acceptable. Je crois profondément qu’à l’image de l’Antéchrist de Soloviev, ce que le monde moderne est prêt à accepter, c’est un christianisme purement humanitaire, un christianisme sans le Christ.

Jean-Paul II, puis Benoît XVI ont invité chacun à leur manière les jeunes, lors des JMJ, à affronter cette forme minimale du martyre, ce qu’on pourrait appeler, en référence à Thérèse de l’Enfant-Jésus, « la petite voie de la persécution », et qui consiste à affronter le ridicule et la marginalisation. Ce n’était pas là inciter les chrétiens à bomber le torse en assimilant leur condition à celle des chrétiens persécutés du Tiers-Monde, mais les préparer à faire face à ce qui les attend, et à ce que Dieu (je crois) nous demande : face à une persécution qui n’attente pas à nos vies, mais seulement à notre confort, notre réputation, notre respect humain, être prêts à lui faire, au moins, ce sacrifice.

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