« J’ai avorté, je vais bien, merci ! ». Elles se disent filles des 343 salopes, celles qui, en 1971, avaient signé dans Le Nouvel Observateur une tribune où elles affirmaient s’être fait avorter, pratique encore illégale à l’époque. Elles pensent que « si en France, on ne meurt plus en avortant depuis 1975, en revanche, on est encore sommée d’en crever… de honte et de culpabilité. » Elles ont créé le site www.jevaisbienmerci.net pour dire haut et fort que l’avortement est un droit et non un drame, pour dire qu’elles ont avorté et qu’elles s’en portent fort bien, merci pour elles.
Le 17 janvier, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement, s’était émue, lors de la célébration du 38e anniversaire de la loi Veil à la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis), de la présence massive sur Internet de sites de désinformation sur l’IVG, comprenez, de sites pro-vie. « Trop bien référencés », ces sites sont souvent les premiers consultés par les femmes qui désirent se renseigner sur l’avortement. Najat Vallaud-Belkacem, considérant toute pensée différente de la sienne comme de la désinformation, avait donc annoncé la création prochaine d’un site officiel sur la question et appelé à la mobilisation afin d’étouffer un discours « faux » et « culpabilisateur » sur l’avortement.
Les témoignages ont fleuri, de femmes heureuses et fières d’avoir pu disposer de leur corps, et de celui de leur enfant par la même occasion. Les séquelles psychologiques invoquées par les militants pro-vie ne seraient que foutaises, et tant pis pour toutes ces femmes qui ont versé des larmes en prenant conscience de l’acte qu’elles avaient posé. Tant pis pour celles qui, des années après s’être fait cureter l’utérus par un médecin sans conscience, comptent de jour en jour l’âge de celui ou celle qui pourrait être à leurs côtés si seulement elles avaient su… si seulement elles avaient pu…
Sur www.jevaisbienmerci.net, la chose a pourtant l’air si simple… Une image montre une femme, deux aiguilles à tricoter ensanglantées dans les mains. La légende indique : « Des moyens pour l’IVG !!! Le grand retour du fait-maison ! Les filles, remettez-vous au tricot ! ».
L’indécence couplée à l’immondice…
Mais les filles des 343 salopes ne sont pas seulement drôles, elles sont aussi informées et désireuses de partager leur science, aussi proposent-elles un vade-mecum : « Comment repérer ces sites qui vous manipulent ? ».
Elles citent www.ivg.net, www.sos-tout-petits.org, www.laissezlesvivre.free.fr et dénoncent tous ces sites qui dédramatisent la grossesse, expliquent que l’avortement n’est pas un acte anodin, publient des témoignages de femmes qui regrettent leur geste. Une petite dizaine de critères sont référencés, qui devraient permettre à toutes les femmes d’échapper aux mensonges…
« Ce blog a pour vocation d’être un espace de parole pour les femmes, qu’elles puissent en toute tranquillité témoigner, sans craindre que leurs témoignages ne soient l’objet de jugement ou de débat », lit-on sur le même site. On se réjouit quelques secondes de cette belle affirmation de la liberté d’expression avant de lire la suite du texte : « Notre blog est modéré a priori. Nous ne publions pas de texte tenant un discours clairement anti-ivg ou clamant que l’IVG est un drame. » Autrement dit, les témoignages ne sont pas jugés… sauf lorsqu’ils sont jugés non conformes à l’idéologie qui meut ces filles de salopes (ce n’est pas moi qui le dis…).
Des couleurs vives, une ligne graphique « jeune », un semblant d’humour, des témoignages-chocs… L’avortement n’est plus seulement une réponse douloureuse mais jugée nécessaire à une situation de détresse, l’avortement c’est cool. L’avortement, c’est citoyen, moderne, jeune, tendance.
Et tant pis pour celles dont le cœur est brisé à vie.