Faut-il faire son deuil de la notion de chrétienté ?

Publié le 09 Nov 2013
Faut-il faire son deuil de la notion de chrétienté ? L'Homme Nouveau

Président de l’Association « Écouter avec l’Église », le père Michel Viot organise le 24 novembre prochain un colloque sur le thème :  « Fête du Christ-Roi, faut-il faire son deuil de la notion de chrétienté ». Nous avons profité de cette occasion pour lui poser plusieurs questions à ce sujet et évoquer avec lui son dernier livre, Dieu et à l’État (Via Romana, 82 p., 9 €). 

Vous organisez un colloque le 24 novembre qui porte sur la chrétienté. Pourquoi ?

Parce que je me refuse à être syndic de faillite et que je crois non seulement au retour à la chrétienté mais aussi à cette nécessité. Je ne donnerai que deux exemples mais pourrais en fournir d’autres. La doctrine sociale de l’Église n’est envisageable qu’entre pays chrétiens et dans un monde à majorité chrétienne. Et deuxième exemple, seule la chrétienté peut s’opposer à l’islam radical dans l’intérêt des chrétiens, des juifs et des musulmans modérés qui sont encore en majorité dans notre pays, mais pour combien de temps ?

Vous évoquez également « la menace de l’instauration d’une fausse démocratie qui va inaugurer un système totalitaire » Que voulez-vous dire exactement ?

Sans être un idolâtre des sondages, force est de constater que le gouvernement comme sa majorité parlementaire ne sont plus soutenus que par une minorité de Français. La dégradation morale du monde politique qui a commencé bien avant l’arrivée de ce gouvernement, est cependant passée avec lui à une vitesse supérieure. S’il est nécessaire de mentir un peu quand on dirige un pays, tout comme dans la finance, il ne faut pas exagérer. Sinon on fait du Madoff ! Et c’est l’impasse. Prison dans un cas. Règles démocratiques impossibles à suivre, en particulier pour une alternance avec des opposants non indemnes, eux aussi, de mensonges, dans l’autre cas. Et sur ce point particulier, je pense très précisément aux questions économiques et sociales. On trouve alors des dérivatifs propres à semer le trouble dans tous les camps, la loi Taubira et les projets « scolaires » de monsieur le ministre Vincent Peillon, par exemple. Dans les deux cas on utilise des moyens de régime totalitaire comme le refus de prendre en compte la liberté de conscience et l’embrigadement des enfants par l’école appelée à jouer un rôle quasi messianique. Monsieur Peillon est sur cette question d’une franchise absolue dans son livre La Révolution française n’est pas terminée paru en 2008. Il va même jusqu’à parler de transsubstantiation des élèves pour les élever au rang de citoyens ! C’est bien le langage de Robespierre qui s’y connaissait en matière de démocratie totalitaire. Le mépris de la liberté de conscience est de par sa nature même appelé à s’accentuer et à se multiplier.

À ce colloque, plusieurs personnalités prendront la parole. Qui sont-elles ?

– Abbé Guillaume de Tanoüarn, Docteur en philosophie, membre de l’Institut du Bon Pasteur, directeur du Centre Saint-Paul sur « Le Christ Roi de nos consciences » ;

– Jean-François Chemain, Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, diplômé d’études approfondies de Droit international, agrégé et Docteur en Histoire, professeur d’Histoire-Géographie en ZEP sur « Une autre histoire de la laïcité » ;

– Guillaume de Thieulloy, Docteur en études politiques, directeur de publication de Nouvelles de France et de L’Observatoire de la Christianophobie sur : « Aujourd’hui la chrétienté » ;

– Nicolas Warembourg, Professeur agrégé des Facultés de droit, sur : « La Royauté selon Ponce Pilate, procurateur romain ».

Dieu et l'%C3%89tat Viot
Vous venez de publier un livre consacré à Dieu et à l’État (Via Romana, 82 p., 9 €), et plus spécifiquement à la fête du Christ-Roi. Quelle lecture faites-vous de Quas Primas ?

Une lecture historico-critique, tout comme pour la Bible. Mon avertissement au lecteur, page 8, l’explique. Cela dit, le fond de cette encyclique demeure d’actualité. Un chrétien se doit de travailler au règne du Christ dès ce monde. S’il peut accepter aujourd’hui un État laïc, ce ne peut être que dans le sens de neutre sur le plan religieux, ne privilégiant pas de religion mais ne se mêlant pas de ce qui les regarde. Je reprendrai une partie de citation de Benoît XVI dans son allocution au Président de la République italienne en 2005. Après avoir reconnu la légitimité d’une saine laïcité de l’État (ce qui suppose qu’il peut en exister une malsaine comme actuellement en France) et accepté des réalités temporelles avec les normes qui leur sont propres, le pape précise « sans exclure toutefois les références éthiques qui trouvent leur fondement ultime dans la religion ».

Un État incapable d’accepter cette mise au point de notre pape émérite prouverait son incapacité à être laïc et justifierait la revendication chrétienne d’avoir un État plus respectueux de sa religion sans pour autant en faire la religion officielle. Pour être encore plus précis à souhaiter le modèle de Constantin avec l’édit de Milan de 313 et non celui de Théodose avec l’édit de Thessalonique en 380. Voir l’excellente étude de Mgr Roland Minnerath, archevêque de Dijon « La laïcité une idée chrétienne », dans La Religion dans la République laïque, Téqui, 2005, pages 65 à 78.

Vous dédiez ce livre à Benoît XVI « restaurateur de la fête du Christ-Roi ». Mais où et quand Benoît XVI a-t-il restauré cette fête qui n’a pas disparu du calendrier réformé, même si elle a perdu son sens immédiatement social pour une compréhension plus eschatologique, comme le montre son déplacement à la fin du calendrier liturgique et les transformations apportées aux hymnes de cette fête ?

Benoît XVI a toujours combattu l’idée d’une rupture doctrinale dans l’Église catholique avec le concile Vatican II. Ce dernier a surtout développé une doctrine du Christ-Roi renvoyant aux fins dernières, à l’eschatologie comme vous le dites justement dans votre question. Le Concile n’a pas pour autant ignoré Quas Primas. Je le rappelle dans les pages 55 à 63 de ma brochure en citant des textes conciliaires. Je cite le paragraphe 11 de Dignitatis humanæ et Gaudium et spes en son paragraphe 39. Cela dit, je reconnais que l’on n’a pas tenu assez compte de cette « continuité » dans l’Église quand on prêchait le Christ-Roi. Que Benoît XVI, le pape de la continuité, ait choisi cette fête pour clore l’Année de la foi 2012-2013 ne peut que signifier le lien indissoluble entre Quas Primas et Vatican II et redonner à cette fête toute sa plénitude et par conséquent la restaurer. Il faudrait bien sûr tirer les conclusions qui s’imposent pour les hymnes, paroles et musique. Il existe encore de bons poètes et musiciens chrétiens qui ne pourraient qu’être inspirés par cette fête restaurée. Miracle de l’Église !

Comment conciliez-vous le droit à la liberté religieuse de Vatican II avec les exigences politiques et sociales contenues dans Quas Primas ?

Votre dernière question est la plus difficile et demanderait un très long développement. Pour être aussi clair que possible, je me dois de dire en préalable que l’on a abusé de ce texte tant chez ses détracteurs que chez ceux qui prétendaient le défendre. Dès le paragraphe 1, il est clairement dit que la question est posée et développée dans le cadre très précis des relations des individus avec la société, et de ce fait ce sont les États qui sont visés. Le Concile ne prône pas la liberté religieuse au sein de l’Église catholique. Chaque catholique est tenu d’obéir au magistère. Et en rappelant le combat de Pie XI pour la liberté des consciences et non pas la liberté de la conscience comme il aimait à le rappeler, Dignitatis humanæ peut et doit être lue dans la continuité de l’enseignement de ce grand pape. Voir page 23 de ma brochure une citation de Pie XI de l’encyclique du 29 juin 1931 Non abbiamo bisogno, rédigée en italien contre les prétentions du régime fasciste à embrigader la jeunesse. Le pape parle de liberté des consciences contre ce totalitarisme et peut-être aurons-nous à utiliser ce texte contre Vincent Peillon à moins que le Pape François ne produise une encyclique en français. Dignitatis humanæ dit la même chose au paragraphe 3 :

« C’est donc faire injure à la personne humaine et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès lors que l’ordre public juste est sauvegardé ».

Le deuxième chapitre concernant la liberté religieuse à la lumière de la révélation ne signifie pas non plus que l’Église admet le droit à l’erreur. Enseignant la vérité qui est en Jésus-Christ seul elle ne peut bien évidemment reconnaître aucun droit à l’erreur. Elle réprouve simplement la contrainte en demandant de prendre pour modèle Jésus et ses apôtres. La coercition qu’elle ne s’autorise pas, elle ne la demande pas non plus à l’État afin d’éviter tout abus. Le texte conciliaire exprime avec d’autres mots ce que voulait le cardinal Pie que l’on peut considérer comme un père spirituel de Quas Primas. Pour lui, dans les années 1870, le rétablissement du règne du Christ en rendant sa primauté à la religion catholique en France ne voulait pas dire qu’il fallait interdire les autres cultes.

Je cite une de ses conclusions sur ce sujet page 52 de ma brochure « les autres cultes jouiront de toutes les garanties assurées par la foi ». Et non pas la loi, remarquez la différence ! C’est dans la foi chrétienne elle-même qu’il fonde la tolérance, tout comme Louis XVI en 1787. Alors que Napoléon Ier la fondait lui, sur son indifférence religieuse. Sur ce point capital Dignitatis humanæ est fidèle au cardinal Pie que l’on ne saurait taxer de modernisme ! Et c’est cette pensée qui, je le répète, inspirera Quas Primas.

J’invite aussi à relire le paragraphe 15 de la déclaration conciliaire qui replace très clairement la revendication de la liberté religieuse dans la confrontation avec certains États. Ce texte fut signé par Paul VI le 7 décembre 1965 et le rideau de fer existait toujours.

Pour le colloque du 24 novembre, tout renseignement complémentaire à l’adresse ecouteravecleglise@gmail.com

Le Père Michel Viot a publié deux livres aux éditions de L’Homme Nouveau : 

De Luther à Benoît XVI

La Révolution chrétienne.

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