Évangélisation ou politique, faut-il choisir ? Ce n’est pas la question qui m’est posée mais c’est celle qui me vient à l’esprit à la suite d’une lettre que j’ai reçue. En fait, l’auteur de la missive me déclare :
« Je crois que le renouveau de la France passe d’abord par la conversion des coeurs et non d’abord par un changement de la structure politique ».
Ce que je récuse, dans cette affirmation, c’est l’usage du mot « d’abord ». En donnant un ordre de priorité et non un ordre d’importance, on peut se condamner à l’inaction politique au prétexte que l’on est encore bien loin de la conversion des cœurs.
La politique, une urgence
Dans Gaudium et Spes, les Pères conciliaires mettent la politique parmi les cinq urgences, dont il faut s’occuper pour le plus grand bien de la société temporelle. Or les trois constitutions dogmatiques de Vatican II démontrent à loisir que les mêmes Pères sont convaincus que le plus important est la conversion de tous. Cette coexistence harmonieuse de l’urgent et de l’important, on la retrouve chez tous les papes postérieurs au Concile. Et cette coexistence nécessaire conduit tout naturellement à unir dans la vie quotidienne la conversion de soi et l’action dans la cité. S’il y a une doctrine sociale de l’Église et si l’on trouve ses fondements dans la troisième partie du Catéchisme de l’Église catholique consacrée à la vertu théologale de charité, c’est bien le signe qu’il faut mener de concert évangélisation et action dans la cité.
Une fois cela bien compris, chacun devra organiser l’utilisation de son temps pour faire au mieux. De même, chacun devra tenir compte de ses forces et de ses qualités propres pour éviter la paresse ou le surmenage, pour donner toute sa mesure sans présumer de ses possibilités. Dans le même texte, les Pères conciliaires rejettent « toutes les formes politiques, qui font obstacle à la liberté civile ou religieuse », ce qui confortera plus tard tous ceux qui ont agi pour la chute des régimes communistes de l’Europe de l’Est. Or parmi eux, il y avait des chrétiens (pas forcément tous bien convertis) et des athées attachés au respect des libertés. Je suis bien convaincu que l’essentiel restera toujours la conversion des cœurs mais la chute du rideau de fer a permis à des hommes et des femmes de retrouver le chemin d’une vie spirituelle, en quelque sorte réservée précédemment à ceux dont la foi pouvait s’affirmer héroïquement. Certes notre pays n’est pas dans l’état des pays encore sous régime communiste, mais, comme beaucoup en Occident, il vit dans la dérive totalitaire du libéralisme financier, athée, amoral, apatride.
Réfléchir en chrétien
Notre régime politique actuel ne semble pas en mesure de freiner cette dérive, et je ne vise pas l’équipe d’aujourd’hui car les précédentes n’ont rien freiné, mais je suis bien obligé de constater qu’il n’a pas été possible d’empêcher le passage de lois destructrices de l’ordre naturel, votées dans la légalité. Dès lors il faut encourager les catholiques, qui le peuvent, à réfléchir dans le droit fil de la doctrine sociale de l’Église
« aux modalités concrètes par lesquelles une communauté politique (…) organise le bon équilibre des pouvoirs publics (…) selon le génie propre de chaque peuple » et cela toujours pour « servir à la formation d’un homme cultivé, pacifique, bienveillant à l’égard de tous » (Gaudium et Spes n. 74, § 6).
Cela ne dispense pas, bien au contraire, de se convertir.