Le premier dimanche de l’Avent inaugurant un nouveau cycle liturgique, demeure bien souvent absorbé par les ventes de Noël, la clôture du trimestre scolaire ou l’organisation des vacances. Il convient certainement de (re)découvrir la radicalité évangélique de son message.
Alors que la Sainte Église abandonne son faste et sa pompe habituels pour prendre les habits d’une joyeuse pénitence, la célébration de la venue (adventum) du Seigneur se résume la plupart du temps aux disputes pour savoir si l’on fait une rivière ou un lac dans la crèche, au choix de la BD ou du DVD qui plaira à l’ado blasé, où à la réflexion sur les invitations protocolaires aux immanquables agapes des nombreuses tribus du milieu « observant ».
La voix du Baptiste semble résonner encore et toujours dans le vide. Oui, l’assistance sera nombreuse aux messes de minuit, laissant les prêtres seuls pour la célébration de la plus triste eucharistie annuelle : la messe du jour ; oui de bonne résolution seront prises le samedi 23 décembre, oubliées le 24 et rangées soigneusement le surlendemain dans l’armoire à bondieuseries : il ne faut pas se voiler la face, le fait est fréquent.
Pourtant, il y aurait bien un moyen de se passionner pour cette rentrée politico-martiale. En effet, les humains sont facilement ennuyés par la vie de leur âme invisible. Le Bon Dieu le sait bien. C’est pourquoi Il a préparé un appât. Là où la spiritualité échoue, la politique réussira.
Comme un élève passionné d’une matière mais dégoûté par une autre doit trouver un rapport entre les deux pour progresser, il convient de retrouver la dimension politique et martiale de ce premier dimanche de l’Avent. Aujourd’hui, Dieu entre personnellement dans l’histoire et vient bâtir sa cité, obligeant chacun à choisir son camp.
La geste de Dieu parmi les hommes
Le jourd’hui n’est pas seulement la convocation de l’ost chrétien pour l’offensive hivernale du christianisme contre la tiédeur, mais aussi et surtout l’entrée de Dieu dans l’Histoire, sa déclaration de prétention au trône universel. Les militants de son parti ne sauraient rester indifférents à cette fracassante entrée en campagne. L’hymne de l’Avent le proclame : Il vient guérir les maux de l’Univers.
Le premier d’entre eux est le péché originel commis par Adam et Eve et transmis à toute leur descendance. Le deuxième mal, ce sont les péchés personnels. En outre, dans son ensemble, la société souffre d’ignorer le monde spirituel. Le péché n’est que le symptôme de ce mal bien plus profond.
« Ayez une âme, on en réclame » clamait Rostand : « de mornes jeunes gens aux grimaces de vieux, se sont, après un temps de veulerie infâme, aperçus que n’avoir pas d’âme c’est extrêmement ennuyeux » (1). Voilà que l’on parle de panache. Cela a une autre allure que la poussière de sacristie qu’évoque immanquablement l’expression : « vie spirituelle. »
L’amitié divine n’est pas autre chose que le dévouement quasi « raspaillen » à la cause perdue de l’Incarnation : Dieu qui se fait homme pour mourir sur une Croix et lancer douze Apôtres, une poignée de saintes femmes et à peine plus de disciples, à la conquête du monde pour y établir son règne. Une mission, un chef, des moyens. Ici les moyens sont réels mais invisibles et semblent parfois bien insuffisants.
Après avoir maintes fois annoncé sa venue, Dieu a attendu d’être presque totalement oublié pour venir au rendez-vous qu’Il avait fixé par la bouche du prophète Daniel : « Soixante-dix semaines ont été déterminées sur ton peuple et sur ta ville sainte. » (2) Seuls les pauvres de Yavhé, le petit reste fidèle du troupeau l’attendait encore.
Le scénario romanesque ne s’arrête pas là. Pour ajouter au comble du grand mystère qu’est déjà l’abaissement de Dieu jusqu’à la nature humaine, Il décide de naître dans une crèche, entouré d’animaux de trait. Comme dans une épopée, l’héritier de l’univers reçoit l’hommage des petits et des grands, inaugurant son règne par une majesté voilée de proximité.
Mort sur une croix, paraissant avoir perdu le combat suprême, Il ressuscite, semblable aux preux d’antan échappés des geôles adverses, relevant leurs bannières sur une terre oubliée avant de revenir en triomphateurs dans leurs capitales.
C’est ce tableau final que l’Évangile met déjà en exergue. « En toutes choses, il faut considérer la fin » (3) dit l’adage. Sûr du succès promis par le Roi, le chrétien continue le combat qui semble perdu. Pour l’honneur ? Certainement. Pour rien ? Parce que l’Amour n’est pas l’intérêt. Par-dessus tout ? Parce que l’enjeu le dépasse. Comme les vieux jacobites écossais maintenaient leur fidélité au principe de légitimité de la lignée des Stuart.
Dieu, aurait pu dire Péguy, regarde cette fidélité apparemment trompée par le triomphe momentané des puissances infernales, et Il se réjouit certainement.
Deux amours ont bâti deux cités
Le Seigneur vient encore aujourd’hui. Les pères de l’Église avaient coutume de distinguer trois avènements : celui dans la chair décrit plus haut, celui dans la vie de chaque être humain et le retour en gloire à la fin des temps.
Si ce dernier ne fait pas de doute, le deuxième est un combat permanent.
Il convient de reprendre les choses par leur aspect politique : « Deux amours ont bâti deux cités, l’amour de soi jusqu’à la haine de Dieu et l’amour de Dieu jusqu’à la haine de soi. » (4)
Ainsi apparaît le véritable enjeu de l’avènement du Christ. Être pour ou contre lui signifie être contre ou pour soi-même. Dans l’ordre social cela se résume dans l’opposition entre le théocentrisme et l’anthropocentrisme. C’est la vision de l’art médiéval en deux dimensions car représentant le point de vue divin sur les choses contre la manière contemporaine qui place l’homme au centre.
Là se situe véritablement la ligne de fracture entre l’esprit du Christianisme, l’esprit du baptême de Jean et l’esprit de la modernité. Ce que le Pape Paul VI décrivait ainsi : « La religion du Dieu qui s’est fait homme » et « la religion de l’homme qui se fait Dieu ». (5)
« Je suis celui qui suis et tu es celle qui n’est pas » rappelait le Christ à Sainte Catherine de Sienne. (6)
Voila ce que l’Église veut rappeler aux militants du Ciel en ce premier dimanche de l’Avent : remettre chaque chose à sa place, c’est-à-dire à celle que Dieu lui a donnée. Instaurer la paix du Christ par le règne du Christ.
Or la paix c’est la tranquillité de l’ordre. Ordonner signifie disposer en vue d’un but. C’est faute d’accepter cette fin que la société se délite. La restauration de l’ordre divin est donc urgente car le Seigneur vient !
- Le Panache
- Dan, IX, 24.
- Jean de La Fontaine, Le renard et le bouc.
- Saint Augustin, La Cité de Dieu, XIV,28,1.
- Discours de clôture du Concile Vatican II
- Vie, par le bienheureux Raymond, 1re part., ch. 10.