Fiducia Supplicans : les rebondissements d’une déclaration

Publié le 17 Jan 2024
liberté religieuse
Depuis sa publication en décembre dernier, la déclaration Fiducia Supplicans a provoqué une vague de protestations au sein de l’Église, mais aussi des échanges entre la Curie romaine et les épiscopats pour s’accorder malgré la grave controverse doctrinale ouverte sur les bénédictions des couples, des unions et des personnes en situation « irrégulière » ou ayant un partenaire de même sexe. Retour sur les moments clés.

 

Le 18 décembre 2023 aura sonné comme un coup de tonnerre dans l’Église du monde entier. Pour la première fois, un texte relativise la gravité des unions irrégulières et homosexuelles en autorisant leur bénédiction : « Il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage. » Il s’agit du document Fiducia supplicans, publié par le Dicastère pour la Doctrine de la Foi. L’argumentation repose essentiellement sur une distinction entre les bénédictions « liturgiques et ritualisées » et les bénédictions « pastorales et spontanées ». 

 

Des réactions partout dans le monde 

La résistance est immédiate, à commencer par le diocèse d’Astana au Kazakhstan, dont la renommée de l’évêque auxiliaire n’est plus à faire : Mgr Schneider, et son archevêque Mgr Peta publient un communiqué dès le 19 décembre. Dans les jours qui suivent, les conférences épiscopales africaines leur emboîtent le pas : Malawi, Togo, Cameroun, Ghana, Rwanda, Burundi, Congo, Kenya, Côte d’Ivoire, Bénin, Mozambique, Zambie et Zimbabwe. Ce continent où certains pays connaissent encore la peine de mort pour les personnes homosexuelles, se scandalise : l’Église bénit des unions qui signent la mort de l’âme.

C’est ainsi que le Symposium des conférences épiscopales en Afrique et à Madagascar (Sceam) émet le 11 janvier une déclaration selon laquelle il rejette les bénédictions de « couples » de même sexe et de couples irréguliers. Seules la conférence des évêques d’Afrique du Nord (Cerna) et l’Afrique du Sud n’ont pas souhaité se joindre au Symposium pour cette déclaration. Le Pape affirme le 13 janvier que Fiducia supplicans ne s’appliquera pas à l’Afrique, à cause de son contexte. 

En France, c’est Mgr Aillet qui lance la réaction avec une note publiée le 29 décembre, suivi le 1er janvier 2024 par les évêques de la province de Rennes. Ils appellent à bénir les personnes individuellement, et non les « couples ». Certains évêques, et notamment Mgr Giraud, archevêque de Sens-Auxerre, tentent au contraire d’expliquer la démarche du Dicastère pour la Doctrine de la Foi.

La Conférence des évêques de France intervient le 10 janvier pour affirmer qu’elle « reçoit cette déclaration comme un encouragement aux pasteurs à bénir généreusement les personnes qui s’adressent à eux en demandant humblement l’aide de Dieu. » La CEF autorise donc la bénédiction des personnes et non des couples, sans pour autant se prononcer sur l’ambiguïté du texte du Dicastère. 

En Europe, si la conférence épiscopale de Hongrie ainsi que 500 prêtres anglais se prononcent contre les bénédictions de tels « couples », l’Église d’Allemagne, de Croatie, du Danemark, de Lituanie, de Belgique, d’Italie, d’Irlande, de Suisse, d’Espagne, d’Écosse, de Finlande, de Slovaquie et de Norvège vont au contraire dans le sens du Pape François.

La Pologne interprète la déclaration en affirmant que les bénédictions peuvent être accordées aux personnes ayant des inclinations homosexuelles mais vivant dans l’abstinence totale. L’Ukraine, en la personne de l’archevêque majeur Sviatoslav Shevchuk, estime que ces bénédictions ne concernent que l’Église latine, et non les Églises catholiques orientales. 

L’Amérique du Sud est divisée : les conférences épiscopales du Brésil, de l’Uruguay et du Pérou s’opposent à ce qui est accepté en Argentine et au Mexique. En Amérique du Nord, Mgr McGrattan, président de la conférence épiscopale des évêques du Canada accueille favorablement Fiducia supplicans. De même pour la conférence des évêques catholiques des États-Unis. Il faut néanmoins noter la réaction de Mgr Chaput, archevêque émérite de Philadelphie, pour qui « l’ambiguïté délibérée ou persistante (…) n’est pas de Dieu». L’Église d’Australie rejette quant à elle la déclaration du Vatican. 

En Asie, les évêques de Hong Kong, de Singapour et des Philippines s’inscrivent dans la démarche du pape François d’ouvrir les bénédictions aux couples irréguliers ou de même sexe. 

Devant une telle levée de boucliers, et plus généralement un tel besoin de chaque évêque d’expliquer la déclaration à ses fidèles, le Vatican s’est vu obligé de clarifier sa déclaration par un nouveau communiqué publié le 4 janvier 2024 : « Nous rédigeons ce communiqué de presse pour aider à clarifier la réception de Fiducia supplicans, tout en recommandant une lecture complète et attentive de la Déclaration pour mieux comprendre le sens de sa proposition. » Malgré les réactions provoquées par ce document, le Dicastère reste ferme sur ses positions en exigeant l’obéissance : « Il est clair qu’il n’y aurait pas de place pour se distancer doctrinalement de cette Déclaration ou pour la considérer comme hérétique, contraire à la Tradition de l’Église ou blasphématoire. » 

 

Dates clefs :  

  • 18 décembre 2023 : publication de Fiducia supplicans 
  • 19 décembre 2023 au 3 janvier 2024 : réactions partout dans le monde 
  • 4 janvier 2024 : publication du Vatican pour clarifier la réception de Fiducia supplicans 
  • 10 janvier : communiqué de la Conférence des évêques de France 
  • 11 janvier : communiqué du Symposium des conférences épiscopales en Afrique et à Madagascar (Sceam) 
  • 13 janvier : Déclaration du Pape selon laquelle Fiducia supplicans ne s’appliquera par au continent africain 

 

>> Retrouvez notre dossier Fiducia Supplicans

Anne Marguet

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