La pause liturgique : Graduel Miserere (Mercredi des cendres)

Publié le 10 Fév 2024
communion alleluia sanctus agnus

« Miserere mei, Deus, miserére mei : quóniam in te confídit ánima mea.
Misit de cælo, et liberávit me, dedit in oppróbrium conculcántes me. »

« Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi, car mon âme se confie en toi.
Du ciel, il est venu et il m’a libéré ;
il a livré à la confusion ceux qui m’opprimaient. » (Psaume 56, 2, 4)

 

Commentaire spirituel

Le psaume 56 (55 selon la tradition gréco-latine) est une supplication individuelle dans un contexte particulièrement angoissant. Le psalmiste risque nettement la mort, ses ennemis sont comparés à des lions sans pitié, prêts à dévorer leur proie avec leurs dents acérées comme des lances. Et en même temps c’est un psaume de confiance et même d’absolue confiance puisque la psalmiste n’hésite pas à dire vers la fin de son cantique que son cœur est ferme et à le répéter, comme il a répété sa prière de supplication au tout début : « Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi » « Mon cœur est ferme ô Dieu, mon cœur est ferme ».

On trouve aussi un autre petit refrain structuré de la même manière qui est cette fois un refrain de louange : « Élève-toi au-dessus des cieux, ô Dieu, élève-toi au-dessus des cieux ». C’est beau cette alliance de la prière de supplication avec la réponse de confiance suscitée bien sûr par l’expérience faite de la protection divine, et enfin la louange toute pure et gratuite. Voilà pour le contexte biblique.

On peut juste ajouter cette belle image que le graduel ne reprend pas, car il s’arrête juste avant, de l’ombre des ailes du Très Haut qui protège celui qui se confie en lui. Le Seigneur est comparé à un oiseau aux ailes déployées, assurant un abri sûr à ses petits. Ainsi la tendresse est également présente dans ce chant très riche que l’Église a repris dans un contexte bien particulier qui est celui du mercredi des cendres.

Au moment où nous entonnons ce graduel, nous sommes au seuil de la période liturgique qui est consacrée à la pénitence. Notre âme a pris conscience de son péché, elle a entendu, renouvelée pour elle par la bouche du prêtre, la sentence de condamnation et de mort dont le péché est la cause : « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière » ; elle n’a plus qu’une attitude, celle de l’humilité et de la mendicité. Elle veut réparer et selon la belle formule, mettre ses larmes et sa sueur là où le Sauveur a mis son sang, pour contribuer autant qu’elle peut à son propre salut et au salut de ses frères et sœurs en humanité.

Et elle s’écrie : « Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi ». C’est le premier mouvement de l’âme qui entre en carême. Mais ce n’est pas le seul ni surtout le dernier, car cette supplication se fonde davantage encore que sur la vue de son péché, sur la certitude de l’amour de Dieu pour elle. « Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi, car mon âme se confie en toi ». L’espérance est une des vertus principales du carême comme de toute la vie chrétienne. Et cette espérance est fondée sur la fidélité de Dieu, sur le caractère inamissible de son amour.

Pour nous sauver, Dieu n’a pas lésiné sur les moyens : il a envoyé son Fils, son unique, qui s’est comme dépouillé volontairement de sa condition divine et qui est venu nous rejoindre au fin fond de notre misère pour nous en sortir non pas de façon triomphante et guerrière, mais au contraire en épousant radicalement la souffrance et la mort. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Voilà ce que Dieu a fait pour nous.

Au début du carême, nous sommes donc invités à regarder assidûment dans deux directions : celle de notre péché qui est la cause de tous nos maux ; et celle de l’amour qui seul s’est montré plus fort que ce déferlement de violence, de haine, de boue, de sang dont toutes les générations ont été à la fois témoins, victimes et coupables. Les chants de la messe du mercredi des cendres nous établissent dans la contemplation de ce grand mystère de la rédemption, dont nous sommes tous, avec le Seigneur, les protagonistes.

Le graduel se termine avec la mention des ennemis. Qui sont-ils dans notre situation présente ? Ce sont les ennemis de Dieu, Satan et ses armées de démons, le monde aussi qui se révolte contre Dieu, et enfin la part de nous-mêmes qui résiste à l’action purificatrice de la grâce. Notre chant contient une douce promesse : celle de la victoire totale et définitive du bien sur le mal, de l’amour sur la haine, de la vie sur la mort. On le voit, donc, c’est tout le drame de l’histoire de l’humanité qui se déploie dans un chant comme celui-ci.

 

Commentaire musical

Miserere Partition miserere

Nous sommes en présence d’un graduel du 1er mode, le mode de la paix. C’est bon signe, cela nous indique d’emblée le climat spirituel qui doit régner sur ce chant, comme sur toute la période du carême. Mais cette paix n’est pas anodine, elle n’empêche pas le grand combat de la vie spirituelle. Le tout premier mot du graduel nous situe d’emblée au cœur de ce combat : il s’agit du péché et de la blessure, voire de la mort, qu’il provoque dans l’âme et du pardon de Dieu qui restaure cette âme dans sa pureté originelle.

La première phrase mélodique est très belle et très expressive, elle est tout entière grave et profondément humble. L’intonation s’enroule très modestement autour du Ré qui est la tonique du 1er mode. Elle ne le quitte que deux fois, une juste au-dessus (Mi) et une juste en dessous (Do). L’accent de miserere est au levé.

Ensuite la mélodie s’élève vers le Fa, là encore de façon très expressive sur mei, avant de redescendre au Ré, comme par l’effet du poids du péché et de la douleur d’avoir offensé le Seigneur. Mei, c’est une insistance un peu douloureuse, on sent davantage le regret que l’espérance. L’âme a encore les yeux fixés sur elle-même et sur son péché, tout en invoquant le pardon divin.

Le mot Dieu arrive ensuite, enroulé quant à lui autour du Fa, et très développé sur sa finale, mais toujours au grave. On a toutefois touché le Sol au cours de cette longue vocalise, et on sent que la mélodie va se dégager par la suite. Elle s’anime déjà sur ce nom, comme si l’âme se réchauffait à l’évocation de son seul secours et de son unique refuge.

La deuxième phrase reprend juste les deux premiers mots mais dans une atmosphère plus ardente, plus poignante. L’intervalle de quarte (Do-Fa) qui l’inaugure introduit d’emblée une impression nouvelle, celle de l’intensité de la prière qui va se manifester tout au long de cette chaude montée mélodique. Cette fois l’accent de miserere est au posé et beaucoup plus ferme.

Les Si b apportent leur nuance de douleur et d’accent au levé de mei sur le Do est très beau, c’est comme un cri de de souffrance qui va d’ailleurs se reproduire de façon plus insistance dans l’incise suivante, avant que la mélodie redescende à nouveau, doucement mais avec plus de légèreté, vers le Ré final. On sent que ça a fait du bien à l’âme de pouvoir crier ainsi son repentir vers le Seigneur.

La troisième phrase introduit un nouveau thème, après celui de la componction, celui de la confiance. Elle est marquée surtout par la longue vocalise de confidit, le verbe qui exprime ce sentiment. Il y a plus de légèreté dans cette phrase.

La quatrième phrase repart sur le même motif mélodique que la précédente, avec encore plus de légèreté et de confiance, vers le magnifique déploiement du mot mea qui n’a plus rien de l’accablement des mei des deux premières phrases. C’est au contraire un grand acte de foi, d’espérance et surtout d’amour qui se développe ici. La confiance en Dieu permet ce réajustement.

Le péché doit provoquer en nous, toujours un double mouvement : le repentir, la contrition qui doit être brève et intense, comme une douleur fulgurante qui blesse ; et puis la confiance, le long regard aimant qui se tourne vers le Sauveur. Ce graduel est admirable de psychologie et de théologie spirituelle.

Le verset du graduel se déploie dans une toute autre atmosphère. L’âme a acquis la certitude d’être pardonnée, et elle va chanter sa libération. La mélodie ne se situe plus au grave, ni autour du Ré ni autour du Fa, mais elle monte d’emblée jusqu’au La, dominante du 1er mode, par un intervalle de quinte très allègre qui va lui permettre de rester accrochée autour de cette corde, y compris sur les deux cadences de caelo et de liberavit me. Les longues tenues sur le Do expriment bien la résidence altière du Seigneur qui habite les cieux. Il y a de la joie dans tout ce passage, on doit la sentir et la manifester par un tempo léger, alerte.

La dernière phrase commence de façon syllabique sur dedit in opprobrium. On a relevé avec assez de justesse qu’il y a là comme une nuance de revanche, de mépris à l’égard des ennemis qui sont mentionnés en fin de pièce et qui ont été vaincus par l’action divine.

En tout cas, l’âme ne se départit plus de sa joie, même à l’évocation de ses anciens bourreaux qui la maltraitaient et la foulaient aux pieds (le participe présent conculcantes dépeint une action violente). Qui sont ces ennemis de l’âme ? Le démon bien sûr, le monde et se pompes, ses attraits puissants qui blessent et tuent les amis de Dieu ; le cortège des vices enfin qui déchirent le cœur des fidèles. Tous ces ennemis, extérieurs ou intérieurs, la grâce de Dieu peut les vaincre et c’est là, en ce début de carême, le beau message d’espérance de ce chant.

 

Pour écouter : 

 

>> à lire également : Carême 2024 : des initiatives pour vivre ce temps

Un moine de Triors

Ce contenu pourrait vous intéresser

Chroniques

Pourquoi il n’y a pas la paix

Carte blanche de Judith Cabaud | Sans idéologie et sans préjugés, un constat simple vient à l’esprit : l’histoire ancienne et moderne nous démontre que ni les rois ni les empereurs et autres monarques – despotes ou libéraux – ne nous ont apporté une paix durable. Les Républiques, les confédérations et les parlements non plus. Au contraire.

+

liban paix
ÉgliseAnnée du Christ-RoiLiturgie

Quas Primas (4/4) : Un règne de justice et de grâce : la liturgie du Christ-Roi

DOSSIER | 1925-2025 : « Aux origines de la fête du Christ-Roi » | Le pape Pie XI fixa dans la liturgie la fête du Christ-Roi par l’encyclique Quas Primas. Ses prédécesseurs avaient déjà insisté sur la royauté du Christ et de nombreux laïcs, prêtres et évêques avaient réclamé une telle fête. Les textes propres de ce dimanche évoquent le triomphe de la fin des temps mais aussi le pouvoir du Rédempteur sur les nations de la terre.

+

quas primas liturgie christ-roi

Vous souhaitez que L’Homme Nouveau poursuive sa mission ?