Le Christ Roi et la clôture de l’Année de la miséricorde

Publié le 30 Nov 2016
Imiter Jésus dans son pardon inconditionnel L'Homme Nouveau

En la fête du Christ Roi, le 20 novembre dernier, le Pape a donc clôturé l’Année de la miséricorde, source certainement de très grandes grâces que l’on ne découvrira qu’au Ciel, même s’il y en eut beaucoup de visibles. Le Pape commente comme toujours les textes de l’Écriture du jour, en l’occurrence l’épisode du Bon Larron. A priori, ce récit évangélique peut surprendre, même s’il est effectivement question de Royaume. Le Messie apparaît sans pouvoir ni gloire, et Jésus mourant ne porte aucun des signes royaux. Bien plus, tous ses attributs de crucifié sont aux antipodes de ceux d’un roi terrestre digne de ce nom. Surtout là, il est vraiment le signe de contradiction. D’aucune dignité apparente, il a pour palais une croix et en guise de trésor il a été vendu pour trente sicles. On touche là la profondeur du mystère de la Croix qui sera toujours « un scandale pour les Juifs et une folie pour les païens ».

La grande leçon de la Croix

La Croix nous donne une grande leçon. Le Royaume du Christ n’est pas de ce monde, comme l’a dit Jésus à Pilate. Il est venu pour nous sauver et il sera toujours un époux de sang, car « sans sang », nous dit l’Épître aux Hébreux, « il n’y a pas de Rédemption ». Et pour montrer que la Rédemption et le pardon sont au cœur du message évangélique, le Pape s’appuie sur le passage des Colossiens qui constitue la seconde lecture. La grandeur du Christ ne sera jamais dans la puissance, comme le croyaient les Juifs du temps de Jésus et même les Apôtres (cf. Act 1, 6), elle réside uniquement dans l’Amour et un amour qui sauve et qui guérit parce qu’il va jusqu’aux racines mêmes du mal. Le Christ s’est plongé dans le fossé abyssal de la souffrance et de la mort, du mépris et de l’abandon, justement parce qu’« il aima les siens jusqu’au bout ». Le Pape proclame donc en cette fête du Christ Roi la victoire singulière du Christ obtenue par les seules puissances de l’amour, de l’obéissance et de l’humilité. Et cette victoire singulière attestant de la seigneurie d’amour du Christ demeure source de joie profonde pour tous ceux qui « se lavent dans le sang de l’Agneau ».

Cette victoire d’amour du Christ appelle de notre côté une réponse qui doit orienter notre vie entière et qui décidera de notre sort éternel. On le voit bien dans le passage de l’Évangile du jour qui nous présente diverses réponses face à Jésus crucifié. D’abord on constate que la foule toujours versatile reste loin de Jésus, inquiète, anxieuse et n’osant pas croire au mystère qui dérange. Plus près, il y a ceux qui se moquent de Jésus et le tiennent en dérision : les Juifs, les Romains et un larron. Pire ! Ils sont provocateurs et réagissent selon la logique du monde qui n’est autre que celle de Satan : « Qu’il se sauve lui-même » ! En face de cette terrible tentation, Jésus se tait, pardonne et aime. En ce sens il nous est le grand modèle, car cette tentation se présente à nous constamment et sous multiples formes toujours plus perverses. Nous ne résisterons à cette tentation qu’en regardant et imitant Jésus, en croyant en la miséricorde infinie de Dieu, mais pour cela nous devons être nous-mêmes miséricordieux envers le prochain. Enfin, il y a le Bon Larron qui a tout compris simplement en regardant Jésus. Il ne s’est pas fermé sur lui-même comme Judas, il a regardé Jésus et s’est adressé à lui. Et Jésus lui adressa alors cette réponse sublime et magnifique : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi en paradis ». Demandons au Bon Larron qui « a tout volé y compris son paradis » au dire de saint Augustin et surtout à Marie l’Immaculée de croire qu’il est toujours possible de recommencer et de se relever avec Jésus crucifié et roi de l’Univers.

L’homélie du Pape

La solennité de Notre Seigneur Jésus-Christ Roi de l’Univers couronne l’année liturgique ainsi que cette Année sainte de la miséricorde. L’Évangile présente, en effet, la royauté de Jésus au sommet de son œuvre de salut, et il le fait de manière surprenante. « Le Messie de Dieu, l’Élu, le Roi » (Lc 23, 35-37) apparaît sans pouvoir et sans gloire : il est sur la croix où il semble être plus vaincu que victorieux. Sa royauté est paradoxale : son trône c’est la croix ; sa couronne est d’épines, il n’a pas de sceptre mais un roseau lui est mis dans la main ; il ne porte pas d’habits somptueux mais il est privé de sa tunique ; il n’a pas d’anneaux étincelants aux doigts mais ses mains sont transpercées par les clous ; il n’a pas de trésor mais il est vendu pour trente pièces.

Vraiment le royaume de Jésus n’est pas de ce monde (cf. Jn 18, 36) ; mais en lui, nous dit l’Apôtre Paul dans la seconde lecture, nous trouvons la rédemption et le pardon (cf. Col 1, 13-14). Car la grandeur de son règne n’est pas la puissance selon le monde mais l’amour de Dieu, un amour capable de rejoindre et de guérir toute chose. Par cet amour, le Christ s’est abaissé jusqu’à nous, il a habité notre misère humaine, il a éprouvé notre condition la plus misérable : l’injustice, la trahison, l’abandon ; il a fait l’expérience de la mort, du tombeau, des enfers. De cette manière, notre Roi est allé jusqu’aux limites de l’univers pour embrasser et sauver tout être vivant. Il ne nous a pas condamnés, il ne nous a même pas conquis, il n’a jamais violé notre liberté mais il s’est fait chemin avec l’humble amour qui excuse tout, qui espère tout, qui supporte tout, (cf. I Co 13, 7). Seul cet amour a vaincu et continue à vaincre nos grands adversaires : le péché, la mort, la peur.

Aujourd’hui, chers frères et sœurs, nous proclamons cette singulière victoire par laquelle Jésus est devenu Roi des siècles, le Seigneur de l’histoire : par la seule toute puissance de l’amour qui est la nature de Dieu, sa vie même, et qui n’aura jamais de fin (cf. I Co 13, 8). Avec joie nous partageons la beauté d’avoir Jésus comme notre Roi : sa seigneurie d’amour transforme le péché en grâce, la mort en résurrection, la peur en confiance.

Mais ce serait peu de choses de croire que Jésus est Roi de l’univers et centre de l’histoire sans le faire devenir Seigneur de notre vie : tout ceci est vain si nous ne l’accueillons pas personnellement et si nous n’accueillons pas non plus sa manière de régner. Les personnages que l’Évangile de ce jour nous présente nous y aident. En plus de Jésus, trois figures l’accompagnent : le peuple qui regarde, le groupe qui se trouve près de la croix et un malfaiteur crucifié près de Jésus.

Accepter le scandale de l’amour

D’abord le Peuple : l’Évangile dit qu’il « restait là à observer » (Lc 23, 35) : personne ne dit un mot, personne ne s’approche. Le peuple est loin, il regarde ce qui se passe. C’est le même peuple qui, en raison de ses besoins, se pressait autour de Jésus, et qui maintenant garde ses distances. Face aux circonstances de la vie ou devant nos attentes non réalisées, nous pouvons nous aussi avoir la tentation de prendre de la distance vis-à-vis de la royauté de Jésus, de ne pas accepter complètement le scandale de son humble amour, qui inquiète notre moi, qui dérange. On préfère rester à la fenêtre, se tenir à part plutôt que s’approcher et se faire proche. Mais le peuple saint, qui a Jésus comme Roi, est appelé à suivre sa voie d’amour concret ; à se demander, chacun, tous les jours : « Que me demande l’amour, où me pousse-t-il ? Quelle réponse je donne à Jésus par ma vie ? »

Il y a un second groupe qui comprend plusieurs personnes : les chefs du peuple, les soldats et un malfaiteur. Tous ceux-là se moquent de Jésus. Ils lui adressent la même provocation : « Qu’il se sauve lui-même ! » (cf. Lc 23, 35, 37, 39). C’est une tentation pire que celle du peuple. Ici, ils tentent Jésus comme a fait le diable au début de l’Évangile (cf. Lc 4, 1-13), pour qu’il renonce à régner à la manière de Dieu mais qu’il le fasse selon la logique du monde : qu’il descende de la croix et batte ses ennemis ! S’il est Dieu, qu’il montre sa puissance et sa supériorité ! Cette tentation est une attaque directe contre l’amour : « Sauve-toi toi-même » (vv 37, 39) ; non pas les autres, mais toi-même. Que prévale le moi, avec sa force, avec sa gloire, avec son succès. C’est la tentation la plus terrible, la première et la dernière de l’Évangile. Mais face à cette attaque contre sa manière d’être, Jésus ne parle pas, ne réagit pas. Il ne se défend pas, il ne cherche pas à convaincre, il ne fait pas une apologétique de sa royauté. Il continue plutôt à aimer, il pardonne, il vit le moment de l’épreuve selon la volonté du Père, certain que l’amour portera du fruit.

Pour accueillir la royauté de Jésus nous sommes appelés à lutter contre cette tentation, à fixer le regard sur le Crucifié, pour lui devenir toujours plus fidèles. Que de fois, aussi parmi nous, les sécurités tranquillisantes offertes par le monde sont recherchées. Que de fois n’avons-nous pas été tentés de descendre de la croix. La force d’attraction du pouvoir et du succès a semblé être une voie facile et rapide pour répandre l’Évangile, oubliant trop vite comment opère le règne de Dieu. Cette Année de la miséricorde nous a invités à redécouvrir le centre, à revenir à l’essentiel. Ce temps de miséricorde nous appelle à regarder le vrai visage de notre Roi, celui qui resplendit à Pâques, et à redécouvrir le visage jeune et beau de l’Église qui resplendit quand elle est accueillante, libre, fidèle, pauvre en moyens et riche en amour, missionnaire. La miséricorde, en nous portant au cœur de l’Évangile, nous exhorte aussi à renoncer aux habitudes et aux coutumes qui peuvent faire obstacle au service du règne de Dieu, à trouver notre orientation seulement dans l’éternelle et humble royauté de Jésus, et non dans l’adaptation aux royautés précaires et aux pouvoirs changeants de chaque époque.

Le Bon Larron

Un autre personnage apparaît dans l’Évangile, plus proche de Jésus, le malfaiteur qui le prie en disant : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume » (v. 42). Cette personne, simplement en regardant Jésus, a cru en son règne. Il ne s’est pas fermé sur lui-même, mais, avec ses erreurs, ses péchés et ses ennuis il s’est adressé à Jésus. Il lui a demandé de se souvenir de lui et a éprouvé la miséricorde de Dieu : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (v. 43). Dieu se souvient de nous dès que nous lui en donnons la possibilité. Il est prêt à effacer complètement et pour toujours le péché, parce que sa mémoire n’enregistre pas le mal commis et ne tient pas pour toujours compte des torts subis, à la différence de la nôtre. Dieu n’a pas la mémoire du péché, mais de nous, de chacun de nous, ses enfants bien aimés. Et il croit qu’il est toujours possible de recommencer, de se relever.

Nous aussi, demandons le don de cette mémoire ouverte et vivante. Demandons la grâce de ne jamais fermer les portes de la réconciliation et du pardon, mais de savoir dépasser le mal et les divergences, ouvrant toute voie d’espérance possible. De même que Dieu croit en nous-mêmes, infiniment au-delà de nos mérites, nous aussi sommes appelés à infuser l’espérance et donner leurs chances aux autres. Parce que, même si la Porte Sainte se ferme, la vraie porte de la miséricorde reste pour nous toujours grande ouverte, le Cœur du Christ. Du côté percé du Ressuscité jaillissent jusqu’à la fin des temps la miséricorde, la consolation et l’espérance.

Beaucoup de pèlerins ont passé les Portes saintes et, loin du bruit des commentaires, ont goûté la grande bonté du Seigneur. Remercions pour cela et rappelons-nous que nous avons été investis de miséricorde pour nous revêtir de sentiments miséricorde, pour devenir aussi des instruments de miséricorde. Continuons notre chemin ensemble. Que la Vierge nous accompagne, elle aussi était près de la croix, elle nous a enfantés là comme tendre Mère de l’Église qui désire nous recueillir tous sous son manteau. Sous la croix elle a vu le bon larron recevoir le pardon et elle a pris le disciple de Jésus comme son fils. Elle est la Mère de miséricorde à qui nous nous confions : toute situation, toute prière, présentée à ses yeux miséricordieux ne restera pas sans réponse.

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