À la haine satanique portée par de jeunes musulmans fanatiques, l’époux d’une victime du Bataclan a apporté la meilleure réponse chrétienne qui soit, laquelle est déjà une victoire spirituelle : « Vous n’aurez pas ma haine » (Fayard, 144 p., 12,90 €). Cette réponse, dont il est difficile de penser qu’elle ne soit pas inspirée surnaturellement, suppose in fine l’amour de ses ennemis et leur pardon, comme nous l’a appris le Christ pour le salut de leur âme et la nôtre. Mais elle n’implique pas, au contraire, l’acceptation de l’erreur idéologique, du mal et de la haine qui les inspirent.
Pas de haine mais une distance
Si ajouter de la haine à la haine fait le jeu dialectique de Satan dans une spirale de la vengeance suicidaire à exclure chrétiennement, il est temporellement recommandé, pour le bien commun de nos cités, de mettre de la distance et des obstacles au déchaînement de cette haine unilatérale. C’est-à-dire non seulement de bâtir des barrages, des murs plutôt que des ponts (sinon des ponts-levis !) à son endroit, mais aussi de répondre parfois par une juste violence (proportionnée) à cette violence et ce désordre illégitimes. « L’homme le plus pieux ne peut pas vivre en paix si cela ne plaît pas à son méchant voisin », dit un proverbe allemand. Si cet homme pieux a charge d’âmes, il est responsable d’un bien commun et d’un pouvoir temporel. Pour l’assumer, au sublime : « Vous n’aurez pas ma haine ! » il doit alors ajouter : « Vous n’aurez pas ma soumission ! ». Ce n’est pas contradictoire mais relève de la charitable correction fraternelle : « Qui aime bien supporte bien ou châtie bien ! », selon les cas.
Si elle est soumise à la règle droite de la raison (conforme à la justice et à la prudence), la violence défensive n’est pas un mal moral pour celui qui l’exerce sans haine et avec courage, alors qu’une non-violence déraisonnable, aussi bien intentionnée soit-elle, peut constituer un mal politique dommageable au salut (temporel et spirituel) de beaucoup. Sauf grâce particulière, le chrétien n’a pas forcément vocation au martyre et doit cultiver la vertu de prudence politique, comme l’a rappelé aussi le Pape François en matière d’immigration.
Si les adeptes de l’islamisme terroriste (suppôts et victimes à la fois du Pervers) ne méritent pas notre haine, a fortiori leurs frères musulmans plus pacifiques, qui suivent pourtant plus ou moins le même Coran avec son jihâd condamnable. Selon un certain principe de réalité développé notamment dans le dernier livre de Pierre Manent (Situation de la France, DDB, 174 p., 15,90 €), leur nombre et leur présence en France impliquent de cohabiter et même de vivre avec eux sous un bien commun relatif (évoquant par exemple l’Algérie française ou le Liban chrétien). À certaines conditions qu’ont paradoxalement dictées à leur façon les « nationalistes » corses pour leur île : à savoir qu’ils se démarquent très explicitement et pratiquement de leurs « coreligionnaires » terroristes.
Savoir discerner
Autrement dit, s’il convient de « terroriser les terroristes », on ne peut « violenter » ensemble et simultanément tous les musulmans dans un manichéisme grégaire, en en faisant des boucs émissaires de la folie meurtrière de leurs « hashashins », au risque d’une terrible guerre civile à outrance. Quand on a encore la force de pouvoir l’exercer (avant la faiblesse terrible de la soumission), la légitime défense est un art du discernement qui implique à la fois de porter les bons coups et de préserver la paix autant qu’on le peut avec les amis ou ennemis potentiels (hôte et hostile n’ont-ils pas la même racine ?). Aux côtés des derniers remparts nécessaires de nos citadelles assiégées (voire déjà quelque peu envahies), il faut en effet jeter aussi des ponts et dresser des hôpitaux mobiles de campagne. Aux côtés des guerres défensives inévitables, il faut la diplomatie. Sans oublier le combat spirituel pour la vérité, qui est fait aussi d’apologétique et d’évangélisation, de disputes et de dialogues interreligieux, comme l’a si bien mené Benoît XVI à Ratisbonne, dans un « discours prophétique », selon le cardinal Tauranson lors de son intervention devant les évêques français réunis à Lourdes le 8 novembre dernier.
En conclusion, s’il faut les unir, il ne faut pas confondre la morale surnaturelle avec la politique temporelle. S’il faut moralement aimer son ennemi, on doit le combattre politiquement avec discernement sans cesser de l’aimer. Si l’on doit intellectuellement et religieusement dénoncer le Coran comme une œuvre dangereuse et malfaisante qui inspire diaboliquement un ennemi qu’on ne hait pas, on ne peut évidemment combattre politiquement tous les musulmans comme des ennemis à abattre. C’est aussi la leçon de Joseph Fadelle dans Le prix à payer (Pocket, 254 p., 6,95 €).