L’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes en désir d’enfants, célibataires ou en couple, est un des thèmes importants de la campagne présidentielle, malheureusement peu débattu. Hamon, Macron et Mélenchon sont pour, Le Pen et Fillon, contre. Les premiers présentent cet élargissement comme la suite logique de la loi Taubira. C’est dans ce contexte que le professeur René Frydman, célèbre gynécoloque et pionnier de la PMA en France, a publié en janvier Le Droit de choisir (Seuil) développant des arguments exposés l’an dernier dans une tribune co-signée par 130 médecins (Le Monde du 17 mars 2016). Il propose un grand « plan de lutte contre l’infertilité » dont les quatre axes majeurs seraient de 1. Développer le don d’ovocytes en permettant le « dédommagement » financier de la donneuse. 2. Permettre « l’analyse génétique de l’embryon » afin d’éviter les échecs d’implantation. 3. Ouvrir la possibilité aux femmes qui le souhaitent de faire congeler leurs ovocytes même si elles n’ont pas de problème d’infertilité. 4. Permettre le don de sperme en vue d’une PMA pour une femme célibataire « sans préjugé de son mode relationnel actuel ou futur ».
Une levée d’interdits ?
L’ensemble de ces revendications sont présentées comme la levée d’interdits paternalistes et incohérents avec les principes gouvernant les lois existantes. Interdits paternalistes et liberticides : dans la logique de l’individualisme libéral et de la toute-puissance de la technique médicale, au nom de quoi l’État viendrait-il limiter le projet d’enfant de l’individu alors même que la technique permettant de satisfaire ce désir existe ? Interdits incohérents avec l’architecture des lois existantes. Ainsi sur l’analyse génétique de l’embryon Frydman déclare que « la position de notre pays est incohérente puisque l’analyse du risque chromosomique fœtale est autorisée aux femmes enceintes qui le souhaitent après quelques semaines de grossesse, dans le cadre du dépistage anténatal alors que ce même examen reste interdit par prélèvement d’une cellule de l’embryon avant qu’il ne soit transféré dans l’utérus. Quelle est la justification de ces positions contradictoires selon l’âge de l’embryon ? ».
Sophismes et contradictions
Cet argument de l’incohérence est à géométrie variable et repose lui-même sur des sophismes et des contradictions. Ainsi le professeur Frydman réitère son attachement au « principe de la non-commercialisation du corps humain ». Or il est manifeste que sa demande de « dédommagement » de la donneuse en vue de pallier le manque d’ovocytes remet en cause le principe de la gratuité et ouvre à la marchandisation. D’ailleurs, cette tribune signée par des médecins spécialisés dans « la lutte contre l’infertilité » peut être vue comme la tentative d’élargir et de libéraliser un marché fort juteux. Ils peuvent bien évoquer toutes ces femmes ayant un désir d’enfant « tenace, profond, viscéral », et à ce titre en souffrance, ne soyons pas dupes de ce qui se joue là : l’extension du domaine du marché procréatique. Signe qui ne trompe pas : la comparaison avec les législations des pays étrangers, ritournelle de la rhétorique libérale en matière économique et « sociétale », est omniprésente dans leur argumentation.
Autre contradiction interne : les signataires réitèrent le « refus d’utiliser ou d’aliéner une autre personne (adulte ou enfant) à son profit quelle que soit sa situation ». Or qui ne voit qu’une loi rendant la PMA accessible à toutes les femmes « objectiverait » les enfants qui en seraient issus ? Cet « enfant du désir d’enfant » (expression suggestive de Paul Yonnet), privé par principe de père, est de facto l’objet d’un droit de l’individu, celui justement de « faire un enfant » selon cette terrible expression, malheureusement passée dans le langage courant pour désigner la procréation d’une nouvelle personne. C’est donc à cette mainmise technique de l’homme sur le vivant à laquelle il faut remonter pour envisager le problème auquel cette énième revendication nous confronte. Hasard du calendrier, cette année l’Église fête en catimini les trente ans de la publication de Donum vitæ, texte prophétique portant sur la PMA, issu de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et signé par le cardinal Ratzinger (le colloque initialement prévu cette année par l’Académie pontificale pour la vie a été étrangement annulé sans report de date). Il est pourtant urgent de relire ce document tant il manifeste la cohérence sans faille de l’Église face à la toute-puissance de la technique médicale mise au service des désirs illimités de l’être humain. Non la vie humaine n’est pas un matériau malléable à volonté ! La vie est un don de Dieu qui ne peut être reçu et transmis que dans l’union charnelle des époux signifiant par là leur amour. Donum vitæ est à la PMA ce qu’Humanæ vitæ est à la contraception : la manifestation que Dieu seul est le maître de la vie et que les époux ne sont que des procréateurs. Don de soi dans l’union conjugale et ouverture à la vie sont indissociables dans le dessein du Créateur.
L’acte créateur de Dieu
Comme l’affirmait saint Jean-Paul II en parlant des raisons théologiques interdisant la contraception : « À l’origine de toute personne humaine, il y a un acte créateur de Dieu : aucun homme ne vient à l’existence par hasard ; il est toujours le terme de l’amour créateur de Dieu. De cette fondamentale vérité de foi et de raison découle que la capacité procréatrice, inscrite dans la sexualité humaine est une coopération avec la puissance créatrice de Dieu. Et il en découle aussi que l’homme et la femme ne sont pas arbitres, ne sont pas maîtres de cette capacité, appelés qu’ils sont en elle et à travers elle, à participer à la décision créatrice de Dieu. Ainsi, lorsque par la contraception les époux enlèvent à leur sexualité conjugale sa capacité procréatrice potentielle, ils s’attribuent un pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu : le pouvoir de décider en dernière instance la venue d’une personne humaine à l’existence. » De là on peut conclure avec le saint pape que promouvoir la contraception mais aussi la PMA « équivaut à estimer que dans la vie humaine peuvent se rencontrer des situations dans lesquelles il serait licite de ne pas reconnaître Dieu comme Dieu ». (Discours du 17 septembre 1983 à Castel Gondolfo, Documentation Catholique, 1983, p. 970)