C’est une bien curieuse et étonnante approche du théâtre et de son mystère que nous offre ici Arnaud Denis dans son Personnage désincarné. Imaginez un personnage incarné par un comédien qui se révolte contre son auteur parce qu’il refuse le destin qui lui a été tracé dans la pièce. Il s’engage alors un étrange dialogue entre ces deux protagonistes à travers lequel apparaissent progressivement deux autres personnages toujours fictifs mais étonnament réels dans les personnes de l’auteur et du comédien. Miroir à l’envers de ce qui se joue au théâtre dans cette incarnation du personnage par la personne du comédien, la pièce met en lumière le débat intime qui se noue chez le comédien quand il doit en quelque sorte donner sa personne au personnage qu’il représente. La fusion-confusion des deux mènerait le comédien à la folie, mais une distanciation trop grande interdirait tout jeu. Il s’agit de devenir un autre en tant qu’autre tout en restant soi-même, véritable acte de co-naissance. Mais cet autre lui-même n’a de réalité qu’à travers la fiction créative de l’auteur qui le fait vivre. Elle est réellement là cette distance sans laquelle il ne pourrait y avoir de théâtre, c’est-à-dire ce qui se donne à voir comme re-présentation. La tension dramatique de cette pièce en est extrême et le jeu respectif de Marcel Philippot et d’Audran Cattin emporte les spectateurs dans une déstabilisation à la hauteur de ce qui se trame sur scène : le théâtre, jusqu’où ?
Théâtre de la Huchette, 23, rue de la Huchette, Paris Ve, jusqu’au 17 décembre. Du mardi au vendredi à 21 h, le samedi à 16 h. Rés. : 01 43 26 38 99.`