Dicastère chargé de la liturgie et enseignement : une proximité gênante

Publié le 19 Mar 2023
dicastère

Les responsables du Dicastère, de gauche à droite : Mgr Corrado Maggioni (ancien sous-secrétaire), Mgr Viola (secrétaire), le préfet, Mgr Arthur Roche et Mgr García Macías (sous-secrétaire).

Prêtre du diocèse de Belley-Ars, historien et canoniste, l’abbé Thierry Blot connaît bien le dicastère chargé de la liturgie pour en avoir été le secrétaire pendant vingt ans, à l’époque où il s’appelait « Congrégation pour la Discipline des sacrements ». Il souligne l’incompatibilité entre la fonction de professeur de liturgie et celle d’official au sein du dicastère. Selon lui, l’accumulation des deux charges constitue un conflit d’intérêts.

 

Dans un article de la Nuova Bussola Quotidiana du 27 février 2023, on apprend que deux des responsables du Dicastère pour le Culte divin et la Discipline des sacrements ont une caractéristique commune : ils enseignent à l’Athénée pontifical Saint-Anselme de Rome. Tel est le cas du secrétaire, S. Exc. Mgr Vittorio Viola, qui y enseigne la liturgie depuis 2000 et y occupe toujours la chaire de professeur de liturgie sacramentelle. Il y a ensuite l’un des deux sous-secrétaires, S. Exc. Mgr Aurelio García Macías, évêque. Lui-même et l’autre sous-secrétaire, Mgr Krzysztof Marcjanowicz, sont docteurs en liturgie de Saint-Anselme.

Cette situation n’est pas nouvelle puisque l’ancien sous-secrétaire, le R.P. Corrado Maggioni, montfortain, continuait lui aussi à enseigner à Saint-Anselme pendant qu’il travaillait au Dicastère.

À propos de ces personnes qui servent au Dicastère chargé de la liturgie de l’Église tout en enseignant comme professeurs ou chargés de cours à l’université pontificale Saint-Anselme, on peut soulever la question du risque d’un « conflit d’intérêts », par analogie avec des réalités politico-économiques, d’où l’incompatibilité entre ces deux fonctions.

Ainsi, Mgr Viola, le numéro deux du Dicastère, en tant que professeur, a le droit de participer au Conseil de l’institut Saint-Anselme. Étant donné la spécificité de la liturgie, une matière très sensible, qui, il faut être réaliste, donne lieu à un brassage d’idées différentes, voire contradictoires, expressions d’un pluralisme d’options fondamentales ou d’« écoles », on peut légitimement craindre que des prises de position particulières exercent une influence unilatérale sur la liturgie mondiale en tissant des liens bien trop étroits avec le dicastère chargé de la liturgie.

Opinions souvent diverses, sauf sur un point : à l’égard de la liturgie tridentine, du « vetus ordo », celle qui domine chez les enseignants de l’institut Saint-Anselme consiste à prôner son éradication dans la liturgie de l’Église d’aujourd’hui (1) et de demain (2).

Le service de la Curie romaine, d’une part, et l’enseignement, d’autre part, au moins en ce qui concerne la liturgie, devraient être dissociés. Ces professeurs et chargés de cours qui servent à la Curie romaine devraient être mis en disponibilité pendant toute la période de leur service. Celui qui sert dans le Dicastère pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, chargé de la liturgie de l’Église, doit avoir comme seule référence les normes liturgiques en vigueur et comme seul objectif de les appliquer en laissant de côté ses propres idées qui, en revanche et légitimement, sont celles de l’enseignant et du chercheur (3).

Il est dommage que, dans le cadre de la réforme de la Curie romaine, en ce qui concerne au moins le dicastère chargé de la liturgie, on n’ait pas songé à spécifier une telle incompatibilité qui est source de subjectivisme et de relativisme, ce qui a pour effet d’affaiblir considérablement la valeur et l’impact des décisions du Dicastère (4) qui, il faut le rappeler et le souligner, est un organe de gouvernement. Gouverner ou décider, et non pas ouvrir des débats en multipliant les entretiens médiatisés ou les colloques, est même sa principale raison d’être.

En effet, à la différence du professeur de liturgie, on ne demande pas à un official d’un dicastère – et bien entendu a fortiori à l’un de ses responsables détenteur de la signature – ce qu’il pense de telle norme liturgique, mais qu’il l’applique avec diligence, équilibre et conviction, pour le bien commun de l’Église. Un tel service, qui inclut une réserve absolue – il s’agit en l’occurrence du secret pontifical –, peut apparaître plus austère, voire humainement moins gratifiant que l’enseignement, mais il est indispensable à la vie de l’Église.

De plus, pour le membre de la Curie, cette abnégation comporte sa propre fécondité spirituelle, car les renoncements que ce service implique, pour un évêque ou un prêtre, sont l’expression de son amour inconditionnel de l’Église qui s’apparente à celui du Christ-Époux à l’égard de l’Église-Épouse : « Le Christ a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée » (Ép 5, 25-27).

Dans ses vœux à la Curie romaine de 2013, le pape François affirmait : « Sainteté pour vous signifie vie immergée dans l’Esprit Saint, ouverture du cœur à Dieu, prière constante, humilité profonde, charité fraternelle dans les relations avec les collègues. Elle signifie aussi service pastoral discret, fidèle, accompli avec zèle ».

Enfin, ce détachement souvent admirable qui fait la grandeur du service à la Curie romaine est aussi et surtout une source de crédibilité et de confiance qui, il faut le dire clairement, sont bien entamées de nos jours dans le contexte du motu proprio Traditionis Custodes. On ne peut que souhaiter une telle prise de conscience, ce qui permettrait aux responsables de la liturgie de l’Église d’adopter, à l’égard du « vetus ordo », cette attitude juste et équitable prônée par l’ancien préfet du dicastère, le cardinal Robert Sarah, qu’il résumait dans cette réflexion très juste : « Nul n’est en trop dans l’Église de Dieu » (entretien au Figaro du 13 août 2021).

 

  1. Cela concerne l’utilisation des églises paroissiales et les prêtres diocésains ordonnés après le 16 juillet 2021 : « Si un évêque diocésain a accordé des dispenses dans les deux cas mentionnés ci-dessus, il est obligé d’en informer le Dicastère pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, qui évaluera les cas individuels. » Rescrit du 21 février 2023.
  2. Il s’agit aussi de marginaliser les communautés dites « Ecclesia Dei », en vue d’une extinction à moyen ou long terme.
  3. À condition, toutefois, qu’elles soient scientifiquement établies et non le fruit d’idéologies plus ou moins déviantes.
  4. Une telle mesure pourrait être inscrite dans le nouveau Règlement de la Curie romaine, voire dans celui du dicastère chargé de la liturgie.

 

A lire également : Le style du pape François : démarche pastorale, confusion doctrinale

Abbé Thierry Blot +

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